B. — Arts.
Une étude même élémentaire devrait mentionner l’architecture et l’art des jardins, la sculpture, la peinture et la calligraphie, la musique, les étoffes, le travail du bronze, du jade, des pierres dures, des émaux, du verre, de l’ivoire, du bois, la céramique, etc. Jusqu’à une époque récente, les Chinois ont été très raffinés pour tout ce qui constitue le décor de la vie. Mais les arts majeurs ont été le bronze, la sculpture, la peinture, la céramique.
En Chine plus que partout ailleurs, l’expression artistique a toujours été fortement intégrée dans l’ensemble des valeurs spirituelles de la race. Un vase rituel Tcheou, une sculpture Wei, une peinture T’ang, une céramique p.137 Song, sont le reflet des courants religieux, philosophiques, littéraires, de ces époques. Le bouddhisme a renouvelé l’art chinois tout entier. Le taoïsme lui a fourni d’inépuisables motifs de décoration. Si puissant est le caractère « unitaire » de la civilisation chinoise, qu’il est arbitraire d’isoler ses divers modes d’expression, qu’il s’agisse d’un poème, d’une peinture, d’un vase ou d’un traité de morale. La valeur symbolique des œuvres est interchangeable. Pour ne citer qu’un exemple, le travail du jade est à la fois une « somme » artistique et philosophique.
Un autre trait remarquable est la permanence des formes et des thèmes décoratifs. A la vérité, lorsqu’un art déterminé a atteint un degré de perfection reconnu, des générations d’artistes, loin de vouloir innover, mettent leur point d’honneur à copier les modèles. Des traités de peinture enseignent minutieusement la façon de peindre « à la manière de... ». En art, comme en littérature, les Chinois sont indifférents au plagiat. D’où une monotonie inévitable et, assez rapidement, la dégénérescence des modes d’expression devenus stéréotypés. Les grandes formes d’art ont atteint leur apogée par vagues successives : le bronze sous les Tcheou, la sculpture sous les T’ang, la peinture sous les Song, la céramique sous les Ming et les Ts’ing. Là encore, il y a des rythmes qui ne diffèrent pas du rythme général de l’histoire.
Bronze. — A l’exception des poteries datant de la civilisation néolithique de Yang chao, les plus anciennes œuvres d’art chinois connues à ce jour sont les bronzes rituels des dynasties Chang et Tcheou (XVIe III s. av. J. C.). Les formes, puissantes et d’une ampleur d’exécution sans égale, sont commandées par les cérémonies religieuses de l’époque. L’austère majesté de p.138 ces œuvres laisse une impression profonde. C’est là probablement ce que l’art purement chinois a produit de plus grand et de plus achevé. L’ornementation s’inspire des conceptions primitives sur la divination, le yin et le yang, la valeur des symboles, des correspondances. On a souvent noté que formes et décoration exercent leur influence sur les modes d’expression artistique postérieurs. Passées les périodes archaïques, l’art du bronze a décliné rapidement. Tout en attestant souvent une grande perfection technique, les œuvres des dynasties récentes demeurent froides et sans vie. On ne peut guère faire exception que pour les statuettes Ming, qui ont de la finesse et du charme.
Sculpture. — La sculpture sur pierre apparaît sous les Han. Des missions archéologiques françaises (Lartigue, Segalen, Gilbert de Voisins) ont révélé les bas-reliefs des tombeaux de la vallée de la Wei et du Sseu-tch’ouan, datant d’environ un siècle av. J. C.. Groupes d’animaux, scènes de chasse et de guerre, ornementation décorative, attestent déjà le sens artistique et la technique des anciens artisans. C’est aussi un art puissant et rude, spécifiquement chinois 1.
Les premiers siècles de l’ère chrétienne ont vu, à travers l’Asie centrale, des échanges et des brassages intenses de cultures différentes. Le point de rencontre a été la Kachgarie 2, ce pays « de langue indo européenne, de religion bouddhique, et de civilisation indo iranienne » 3. C’est par là que se sont avancés vers la Chine, d’abord l’art gréco bactrien (miroirs de bronze p.139 avec décoration en relief, feuillages et animaux), puis l’art gréco bouddhique, dont une formule, celle du Gandhara, a influencé la sculpture chinoise des Wei. De nombreuses missions (sir Aurel Stein, von Le Coq, Pelliot) ont révélé les somptuosités de cette floraison artistique de l’Asie centrale, région aujourd’hui si aride. Les chefs d’œuvre de Khotan, de Turfan, de Touen houang sont entrés dans nos musées. Sculpture et fresques montrent des combinaisons d’influences d’une étonnante variété, aussi bien dans l’art religieux que dans le profane (bouddhas et bodhisattvas drapés à la grecque, figures féminines, scènes de chasse et de guerre).
Sous les Wei, les Souei et les T’ang, les influences grecques, indiennes, iraniennes, iront en s’atténuant. Surgira alors la grande période d’une sculpture bouddhique chinoise épurée, spiritualisée, celle qui s’est épanouie dans les centres de Yun kang et de Long men (fin du VIIe siècle). A la même époque, fleurira également une sculpture « laïque », marquée par un retour au réalisme des Han (lions, chevaux polychromes, groupes militaires, statuettes féminines). Les bas-reliefs du tombeau de l’empereur T’ai-tsong, avec leurs guerriers tartares et leurs chevaux mongols, des pièces telles que les chevaux cabrés de la collection Eumorfopoulos, ou les danseuses en terre cuite de la collection Koechlin — véritables « Tanagras » — égalent les plus belles productions de l’art grec ou de l’art gothique.
Après cela, la « vague » de la sculpture est épuisée en Chine. La décadence est déjà complète sous les Leang (début du Xe siècle). Les groupes trop célèbres des tombeaux des Ming, empâtés, mous, sans style, ne soutiennent pas la comparaison avec l’art des Wei et des T’ang.
p.140 Peinture. — C’est aussi sous les T’ang que « les diverses influences, indigènes ou étrangères, qui devaient constituer la peinture classique, semblent s’être définitivement associées » 4. Mais la peinture a en Chine une histoire certainement plus ancienne, bien qu’il ne soit pas possible d’en déterminer les étapes avec précision 1. Les grottes de Touen houang nous ont fait connaître la peinture hagiographique sino bouddhique et les premiers portraits, sévères fonctionnaires « confucéens », princesses charmantes offrant déjà la grâce des silhouettes féminines qui enchanteront l’art des Song. Une autre école sera spécialisée dans la peinture réaliste : chevaux, scènes militaires, oiseaux et fleurs. Dès cette époque, la perspective caractéristique. de la peinture chinoise est établie : perspective cavalière, inspirée des anciens bas reliefs, et superposant les plans verticalement, à la manière des cartes géographiques.
Sous les Song, c’est surtout l’art du paysage qui se développe. On a mis en lumière l’influence profonde qu’ont eue, sur les paysagistes chinois, les correspondances entre le sentiment de la nature proprement dit et les conceptions religieuses et philosophiques de l’univers. Mystiques confucéenne, taoïste et bouddhique amenèrent l’artiste à voir les choses « non comme des objets concrets, mais comme des symboles flottants, derrière lesquels s’évoquait cette immensité insaisissable et subtile dans la contemplation de laquelle s’épuisait la pensée du sage » 2. Cette formule parfaite explique pourquoi l’art chinois, surtout la peinture, est si étroitement lié aux autres modes d’expression p.141 de la pensée. Il y a — à partir des Song — une symbolique du paysage en vertu de laquelle chaque mouvement de terrain, chaque forme de montagne, chaque sinuosité des eaux, chaque fleur, chaque arbre, possèdent leur signification idéale. Les théoriciens de la peinture sont intarissables sur ce sujet. La technique mise en œuvre répondit à ces préoccupations. Ce fut le triomphe de la peinture monochrome à l’encre de Chine, du lavis, de la perspective aérienne traduite par des dégradés de teintes légères, le tout aboutissant à une sorte « d’impressionnisme intellectuel » qui n’a d’équivalent dans aucun pays. C’est ainsi qu’il faut comprendre la peinture chinoise. Enfin, les mêmes raisons expliquent l’étroite parenté de la peinture et de la calligraphie, les caractères ayant, eux aussi, cette vertu symbolique et évocatrice que la peinture ne fait qu’accentuer. Mais cette parenté n’est strictement vraie qu’à partir du moment où furent systématisées les notions cosmogoniques, religieuses, philosophiques, dont écriture et peinture devenaient des symboles parallèles. Ce n’est que sous les Song que cette systématisation fut complète.
Les grands maîtres Song dont il nous reste des œuvres — les attributions sont incertaines — sont l’empereur Houei-tsong (1101 1125), Ma Yuan, de l’époque de Hang tcheou, son fils Ma Lin, Hia Kouei, Leang K’ai, Mou K’i.
La peinture des Yuan continue celle des Song. Mais l’influence mongole se traduit également par des œuvres plus simplifiées, d’une certaine austérité religieuse et militaire, plus riches de couleur. Les guerriers et les chevaux de Tchao Mong fou (1254 1322), ses scènes de chasse et d’histoire, sont les plus hauts chefs-d’œuvre de l’époque.
Tout en imitant leurs prédécesseurs dans la p.142 reproduction des paysages et des scènes religieuses ou guerrières, les artistes Ming sont de délicieux peintres de fleurs et d’oiseaux. Ils ont laissé d’exquises figures de jeunes femmes et des portraits funéraires d’une puissante facture. — Sous les Ts’ing, la peinture devient académique 1.
Céramique. — Les plus anciens spécimens connus, ceux de Yang chao, datent du IIIe millénaire av. J. C. On ne possède presque rien des époques Yin et Tcheou et les premières pièces représentées en nombre sont celles trouvées dans les tombes Han : poteries émaillées, statuettes, reproductions de maisons et de chariots. Sous les T’ang, la technique est déjà très avancée ; une sorte de porcelaine fait son apparition. Les émaux sont de couleurs variées. Les Song reviennent à un art dépouillé. Plusieurs centres de production existaient qui avaient chacun leur spécialité. Ting tcheou, au Tche li, fabriquait d’admirables pièces monochromes à l’émail blanc, Long ts’iuan, au Tchö kiang, les « céladons », Kien yang, au Fou kien, les bols à thé dits « fourrure de lièvre », etc. Cette production se continue sous les Yuan. Mais il était réservé à la dynastie Ming, puis aux Ts’ing, de donner à la céramique l’apogée de son classicisme. Pendant trois siècles, la manufacture de Kin tö tchen, au Kiang si, produisit une prodigieuse quantité de pièces magnifiques qui ont assuré à la Chine une primauté universelle dans cette forme d’art. La variété des modes d’exécution, des formes, p.143 des décors, des couleurs a conduit à établir des classifications qui ont fait l’objet de très nombreuses études en Chine et en Europe. La virtuosité technique atteinte sous les Ming ne sera dépassée que sous K’ang hi et K’ien long. C’est alors la grande époque des monochromes (sang de bœuf, peau de pêche, bleus), des craquelés, des flambés, des porcelaines à décor peint blanc et bleu, des pièces à fond noir, de la « famille verte » (K’ang hi), de la « famille rose » (K’ien long), des pièces décorées d’après des modèles venus d’Europe. Après cette floraison éblouissante, l’art de la céramique, celui qui aura eu en Chine sa plus longue durée, tombe en décadence. On continue bien de répéter, avec plus ou moins d’habileté, les modèles des règnes antérieurs, mais ce sont des pièces faites en série, aux formes lourdes, aux émaux criards. Même un amateur peu éclairé peut distinguer un vase Tao kouang d’un vase K’ien-long. De nos jours, on ne produit plus que de la céramique grossière. La dernière « vague » de l’art chinois a expiré vers le milieu du XIXe siècle.
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C. — Sciences.
L’inventaire des connaissances scientifiques des Chinois (mathématiques, géométrie, astronomie) antérieurement au premier essor de la science grecque a été fait avec beaucoup de soin 1. Pour les époques plus proches, et surtout pour les siècles de l’ère chrétienne, la valeur exacte de la contribution de la Chine aux sciences mathématiques, physiques, chimiques, naturelles, ne pourrait être appréciée que par des spécialistes de la science et de la sinologie. Les travaux sont fort rares en ce domaine. D’une manière générale, il p.144 semble que cette contribution soit mince et, en tous cas, sans comparaison avec les résultats acquis en Occident. On a déjà noté que les Chinois n’ont pas l’esprit scientifique. Ils sont gênés par leur langue et leurs méthodes de raisonnement, prisonniers de leur culte du passé, réfractaires au progrès matériel. Leur activité a toujours été surtout littéraire et artistique. Ils n’ont excellé que dans les sciences morales et sociales. Néanmoins, ils ont produit des travaux remarquables, souvent d’une grande précision, dans la géographie 2, l’archéologie, l’épigraphie. On cite d’eux de fort bons ouvrages de mathématiques. Surtout, ils sont de parfaits observateurs. Leurs livres de médecine et de botanique en témoignent. Grâce à quoi, et aussi par la vertu de leur ingéniosité naturelle et de leur habileté manuelle, ils sont parvenus, sans dépasser le stade de l’empirisme, à obtenir des résultats surprenants dans les techniques. Après tout, ils ont creusé des canaux, bâti des palais, lancé des navires, porté le coulage du bronze et la cuisson de la céramique à un haut degré de perfection, soigné certaines maladies avec une efficacité certaine (acupuncture). Mais tout cela n’est pas la « science », au sens absolu du terme.
On leur a attribué des inventions retentissantes : boussole, poudre à canon, papier, imprimerie. Pour les deux dernières, au moins, la preuve est acquise.
Les Chinois sont d’ailleurs perméables aux connaissances scientifiques. Au XVIIe siècle, ils ont subi l’attrait des sciences occidentales que leur révélaient les Jésuites. De nos jours, ceux qui s’adonnent aux sciences pures ou appliquées en acquièrent rapidement la maîtrise (mathématiques et médecine).
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Carte générale de la Chine [partie occidentale].
Provinces avec leurs capitales ; villes principales ; principales lignes de chemin de fer
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Provinces avec leurs capitales ; villes principales ; principales lignes de chemin de fer
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