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Et sa civilisation première partie de


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C. — La condition économique.

L’agriculture. — La société comprend quatre classes : les lettrés, les agriculteurs, les artisans, les marchands. Mais, dès ses origines, la civilisation chinoise apparaît comme spécifiquement agricole. Aujourd’hui encore, on estime qu’au moins 75 % de la population se livre à l’agriculture. L’empereur, au printemps, traçait solennellement le premier sillon de l’année, cérémonie que tous les chefs de provinces et de districts répétaient en son nom dans leurs subdivisions respectives. On a maintes fois vanté l’habileté, l’ingéniosité, la patience des paysans chinois. Dans les régions fertiles, l’agri­culture devient du jardinage. L’irrigation est large­ment pratiquée. En dépit des méthodes archaïques, la terre donne souvent plusieurs récoltes annuelles. Grâce à l’extrême densité de la population, le travail est surtout fait à la main ou à l’aide d’instruments primitifs. L’engrais humain est abondamment employé. L’activité des paysans est réglée d’une manière rituelle. p.94 Ils continuent de faire ce que leurs ancêtres ont tou­jours fait. Le calendrier, base de toute vie agricole, était l’une des grandes préoccupations de l’État. On a relevé son extraordinaire précision, due à l’expérience acquise à la suite d’observations séculaires. Dans un pays dont la philosophie sociale et politique comporte un conformisme humain à l’ordre de l’Univers, l’exis­tence des paysans est faite plus qu’ailleurs d’une rigoureuse obéissance aux ordres de la nature. La passivité, trait de civilisation agricole, fait que le paysan chinois accepte avec stoïcisme les fléaux que lui envoie le Ciel — signes évidents d’un mauvais gouvernement. Mais son pouvoir de récupération et sa vitalité lui permettent, après les dévastations causées par la séche­resse ou l’inondation, de remettre les choses en état avec une surprenante rapidité. Dans son imprévoyance, le paysan a, depuis des siècles, abattu les forêts, se privant ainsi d’un moyen de protection contre les inondations. Beaucoup de terrain est perdu du fait des tombes qui parsèment la campagne, et aussi des pistes et des chemins, souvent tracés au gré des passants.

En ce qui concerne l’amodiation des terres, la Chine a pratiqué bien des régimes. Le plus anciennement décrit — son authenticité est d’ailleurs mise en ques­tion — est le système du tsing t’ien, correspondant à une division des terres en carrés de neuf parties égales, la partie centrale appartenant à l’État. Ce régime aurait été aboli au IVe siècle av. J. C. et rem­placé par un système comportant une division sim­plement faite à l’aide de routes et de canaux, sans réserve au profit du souverain. A plusieurs reprises, des réformateurs ont instauré des régimes agraires qui ont permis à la Chine de faire toutes les expériences économiques concevables, depuis le libéralisme absolu jusqu’au socialisme d’État. Si l’on fait abstraction p.95 de ces mouvements, parfois profonds et durables, le système normal est resté celui du fermage. Sans doute, la propriété individuelle a toujours existé en Chine. Mais il est difficile de parler de propriété individuelle dans un pays dont le régime social est fondé sur la prééminence des clans et des familles. Le propriétaire est soit un particulier — fonctionnaire, marchand, industriel — résidant à la ville, soit une collectivité : clan, monastère, association philanthropique, guilde. Le domaine, souvent très vaste, est donné à bail à tout un peuple de petits fermiers. La rente est payée en argent ou en nature. Elle atteint un taux parfois incroyable. On connaît des cas dans lesquels le pro­priétaire se réservait jusqu’à 72% des profits 1. Si l’on songe que, sur une surface de terrain souvent fort exiguë vit une famille nombreuse 2, on aura une idée de la condition misérable de la majorité des pay­sans. Cet état de choses se prolonge depuis des siècles et engendre les conséquences sociales les plus funestes, dont la principale est le banditisme. Poussé par la misère, le paysan en est réduit à vendre ses filles et à se joindre à une troupe d’êtres aussi dénués que lui. Grossie de sans travail et de déserteurs, cette horde p.96 de gens naturellement paisibles et honnêtes devient une armée vivant de pillage et semant la terreur. A toutes les époques, la Chine a connu cette plaie. Et néanmoins, depuis des siècles, des familles innom­brables vivent ainsi dans leur village d’origine, sur un lot de terre composé de parcelles minuscules souvent éparpillées aux quatre coins du pays, sans cesse divisées et réduites à travers les générations successives par le jeu de la succession au culte des ancêtres.

L’artisanat. — L’industrie, au sens moderne, était pratiquement inconnue dans la Chine ancienne. Il existait, en revanche, un artisanat très actif et déve­loppé dans tout le pays et surtout dans les villes. Là, les artisans, comme on le voit encore de nos jours, se groupaient selon leur spécialité dans certains quar­tiers ou dans certaines rues. Avec un outillage souvent rudimentaire, ils produisaient, non seulement les objets courants nécessaires à l’existence, mais encore de véri­tables œuvres d’art. Il ne saurait être question d’énu­mérer ici ces productions de l’artisanat chinois. Mais leur variété atteste qu’en dépit de la pauvreté des masses, il a toujours existé en Chine une catégorie de gens aisés ou riches susceptibles de faire vivre les industriels de toutes les régions du pays. Toute grande ville renferme en abondance des représentants de corps de métiers dont les productions remplissent d’innom­brables boutiques : barbiers, cordonniers, teinturiers, fourreurs, chapeliers, photographes, libraires, fabri­cants d’étoffes, de meubles, d’articles pour funérailles, bijoutiers, orfèvres, graveurs, fabricants de tapis, droguistes, la liste pourrait être indéfiniment allongée. Au visiteur occidental, beaucoup de villes chinoises offrent une saisissante image de ce qu’ont dû être les industries de l’Europe avant l’apparition du machinisme.

p.97 L’artisanat était et est encore organisé sous la forme corporative. Des guildes, souvent puissantes, réunis­saient les petits artisans, travaillant en famille ou en association non capitaliste. Enfin, si la Chine ancienne n’a jamais connu la grande industrie, elle a su dès une haute antiquité l’art d’exploiter, par des moyens primitifs, de nombreuses mines de houille, de sel, de minerais divers. La construction des jonques était une entreprise florissante dans les provinces du Sud­-Est.

Le commerce. — L’éloignement de la Chine et son isolement géographique l’ont tenue longtemps à l’écart du commerce international. Si actif que le trafic ait pu y être à certaines époques, les « Routes de la Soie » à travers l’Asie centrale et les voies maritimes entre l’Arabie et la Chine méridionale n’ont servi qu’à un échange de marchandises de luxe, d’une importance minime eu égard à l’étendue de l’empire et au chiffre de sa population. En revanche, le pays a connu de tout temps un intense commerce intérieur. Dans les villes et aussi à la campagne, le nombre des petits commerçants, la variété des commerces, sont aussi remarquables que l’abondance des artisans et la diver­sité des métiers. L’habileté commerciale du Chinois est proverbiale. Innombrables sont ceux qui, partis de la plus humble condition, ont su réaliser de grosses fortunes dans des entreprises commerciales, chez eux ou à l’étranger. En dépit du mépris des lettrés, qui affectaient de les reléguer au bas de l’échelle sociale, juste avant les soldats, les marchands ont toujours été, avec les agriculteurs, un facteur essentiel de la civilisation chinoise.

Cette intense activité commerciale s’exerçait, comme de nos jours encore, par le moyen de guildes. On ne p.98 saurait trop insister sur le rôle qu’ont joué de tous temps ces organisations. Le Chinois isolé n’a jamais été qu’une exception. Par tempérament et par nécessité, il lui faut toujours intégrer son activité, qui est grande, dans les cadres d’une unité sociale déterminée : famille, clan, associations, guildes, sociétés secrètes 1.

Pour s’en tenir aux guildes, elles sont l’une des plus remarquables manifestations du génie des Chinois pour l’association et la coopération. Car c’est un trait paradoxal de ce peuple qu’il concilie aisément un indi­vidualisme dégénérant maintes fois en dissensions et en anarchie, surtout dans le domaine politique, avec un goût de l’action collective qui lui permet souvent d’obtenir des résultats remarquables 1. Les guildes en offrent un parfait exemple. Il n’est guère d’activité sociale qui n’ait recours à cette forme de groupement. Non seulement les artisans et les marchands ont les leurs, mais aussi les bateliers, les pêcheurs, p.99 les barbiers, les charpentiers, les cuisiniers, les acteurs, les domestiques, les conteurs. Même les aveugles, les mendiants, les voleurs, ont leurs associations profes­sionnelles, si l’on peut dire. Beaucoup d’entre elles sont purement locales, mais un grand nombre ont une acti­vité régionale et plusieurs ont des ramifications sur tout le territoire. Elles ont leurs règles, très strictes et rarement méconnues. Elles perçoivent des cotisations et. des amendes, reçoivent souvent des dons substantiels. Dans l’industrie, leur rôle rappelle celui des corpora­tions françaises sous l’ancien régime. Les guildes com­merciales ont une organisation plus complexe et leur activité est comparable à celle qu’ont exercée des institutions similaires dans les Républiques italiennes. Dans la Chine impériale, les chambres de commerce se sont maintes fois substituées au gouvernement dans les attributions qui revenaient normalement à celui-ci. Elles fixaient les prix, unifiaient les transactions, levaient des impôts, des péages, construisaient des routes, des petits, des canaux, organisaient des foires et des marchés, entretenaient des institutions de bien­faisance. En matière de communications, de monnaie, de banque, d’effets de commerce, les guildes ont eu un rôle constructeur certain. Souvent riches et puis­santes, elles ont tenu une place essentielle dans la vie provinciale et municipale. Même leur action s’est fait plus d’une fois sentir sur la politique extérieure du pays, par exemple dans l’organisation du boycottage des marchandises étrangères.

En dehors de l’action des guildes, le commerce traditionnel offre quelques traits demeurés intacts. Les affaires se font normalement par des intermédiaires. Tout service rendu, quel qu’il soit, implique une rému­nération sous forme de commission. Cet usage est tellement répandu dans toutes les classes de la société p.100 qu’il déconcerte les Occidentaux. Si un marchand veut offrir sa marchandise à domicile, il devra, en entrant, payer une petite somme aux domestiques et, en sortant, leur remettre une commission sur le prix qu’il a touché. Personne n’aurait l’idée de s’insurger là contre. Enfin, dans le commerce de détail, la fixation du prix résulte d’une longue discussion quasi rituelle entre vendeur et acheteur. Il serait incorrect, de part et d’autre, d’indiquer un chiffre ferme dont le refus par l’une des parties ferait perdre la face à l’autre. En Chine, tout doit se régler par voie de compromis, de concessions mutuelles. Pour laisser une marge suffi­sante à ces concessions, l’acheteur offre un prix qu’il sait manifestement trop faible et le vendeur émet un chiffre qu’il sait manifestement trop élevé. Au bout d’un temps raisonnable et de débats qui font partie du code du savoir vivre, l’accord se fait sur un chiffre intermédiaire, celui-là même que vendeur et acheteur avaient envisagé dès le début de la transaction, mais qu’il eût été incorrect de dévoiler brutalement et sans ménager la « face » de chacun. Mais promesse faite est normalement promesse tenue. Sous cet aspect, l’honnêteté commerciale des Chinois de la vieille école leur a mérité les justes éloges des négociants étrangers en rapports avec eux.

V. — La vie religieuse et la pensée philosophique



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« La philosophie chinoise a toujours été tellement conditionnée par le développement religieux des diffé­rentes périodes que l’histoire de la pensée chinoise ne peut être proprement comprise sans être étudiée en même temps que celle des religions chinoises. » Ainsi s’exprime M. Hu Shih (Hou Che) dans une étude sur la religion et la philosophie dans l’histoire de p.101 Chine 1. Cette vue est exacte, et c’est seulement pour la facilité d’exposition que nous séparons ici l’examen de la pensée philosophique de celui de la vie religieuse. Dans les conceptions de Confucius ou de Mö tseu, aussi bien que dans celles des philosophes taoïstes, on peut voir le prolongement de ces courants propre­ment religieux qui se forment dès les temps histo­riques de la civilisation. Jusqu’à l’arrivée du boud­dhisme, c’est une pensée spécifiquement chinoise qui s’épanouit à travers la variété des écoles. Et tous les éléments destinés à alimenter pour les âges à venir les spéculations des lettrés apparaissent entre le Ve et le IIIe siècle av. J. C. L’âge d’or de la philosophie chi­noise se trouve ainsi coïncider avec la période la plus éclatante de la philosophie grecque. La propagation du bouddhisme, très active à partir du début du IVe siè­cle ap. J. C., marque une seconde période de l’évolution philosophico religieuse. Durant huit siècles, le boud­dhisme absorbe l’activité d’un grand nombre de pen­seurs, tandis que les tenants des conceptions purement nationales s’efforcent de les préserver. En fait, des emprunts mutuels altèrent les traits primitifs des sys­tèmes indigènes et des systèmes importés. Une troi­sième période, commençant au début du XIIe siècle, est caractérisée par une renaissance des idées chinoises, parmi lesquelles s’élaborent les éléments d’un néo-­confucianisme qui a persisté jusqu’à nos jours.



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A. — La vie religieuse.

On affirme communément qu’il existe en Chine trois religions : le confucéisme, le bouddhisme et le taoïsme. On pourrait aussi bien nommer le christia­nisme et l’Islam. Mais il faudrait d’abord s’entendre p.102 sur le sens que l’on donne au mot « religion ». Daris le cas de la Chine, la controverse est assez vaine.

Aspects de la vie religieuse. — Il n’est pas besoin d’avoir vécu longtemps dans ce pays pour noter l’ab­sence d’une vie religieuse profonde. Qu’observe t on dans la plupart des familles ? Avant tout, des formes variées de superstition. Pas de méditation, ni de prières. Pas d’assistance régulière à des offices. Les manifes­tations extérieures comportent, dans la maison, quel­ques images de divinités hétéroclites, une sorte d’autel supportant les tablettes des ancêtres, un récipient où s’accumule la cendre des bâtonnets d’encens. Dans certaines circonstances, surtout quand il y a un mort, on fait venir les desservants du temple le plus proche, souvent même ceux de plusieurs temples appartenant à des religions différentes. A des époques fixées, la famille va visiter les tombes, ou se rend à des pèleri­nages qui sont aussi des lieux de fêtes et de marchés. Si l’on demandait à cette famille à quelle confession elle appartient, cette question lui paraîtrait incom­préhensible. Un autre trait de la vie religieuse des Chinois est une tolérance parfaite, sinon une indiffé­rence, envers les divers cultes. Au plus grand nombre, l’idée qu’il peut y avoir des « guerres de religion » sem­blerait inconcevable ou ridicule. Ce n’est pas pour leurs croyances que les missionnaires ont été persé­cutés. C’est pour leur qualité d’étrangers, importa­teurs de coutumes regardées comme « barbares » par la communauté, soupçonnés de vouloir détruire la civilisation traditionnelle, ou encore de préparer les voies aux soldats et aux marchands étrangers. Mais tolérance et éclectisme sont les traits marquants de la vie religieuse des Chinois.



Cette vie religieuse est relativement pauvre en p.107 éléments mythologiques et métaphysiques. On croit bien qu’il y a des dieux, des génies, des esprits, que les morts possèdent une forme de survie, mais, pour la majorité, ces croyances sont infiniment vagues. Le Chinois moyen ne saurait imaginer un dogme tel que celui de la transsubstantiation. Un dogme, cela suppose une confession définie, une croyance ferme, c’est à-­dire des éléments peu compatibles avec la mentalité chinoise. « Ni dogme, ni clergé ne président à la vie religieuse des Chinois. Elle consiste en une foule de menues pratiques — ce sont des pratiques religieuses, car elles sont obligatoires : mais il est bien difficile de savoir quel degré d’efficacité chacun prête à cha­cune d’elles — et en une masse de croyances confuses — ce sont des croyances religieuses, car elles sont d’ordre collectif : mais il est bien difficile de dire quelle foi chacune d’elles inspire à chacun 1. » — Dépourvue de dogmes, la vie spirituelle des Chinois comporte surtout des rites, des pratiques qu’on répète mécaniquement comme on se conforme à des rites de politesse. Il y a des formes pour les actes religieux comme pour les actes de la vie laïque. La seule chose qui compte est de suivre ces formes, dont le respect conditionne l’effi­cacité. Car si l’on se livre à une pratique de caractère religieux, c’est pour en obtenir un résultat. Non pas un résultat dans une autre vie, comme le recherchent les religions de l’Inde ou de la Méditerranée. Mais un résultat immédiat, un profit, pourrait on dire, car un acte religieux, c’est aussi une opération commerciale. Le but principal des honneurs rendus aux morts, c’est d’assurer la tranquillité de leurs descendants. Ainsi, le rite est tout, et non la croyance, dans la vie reli­gieuse des Chinois. Des rites bien ordonnés, des céré­monies somptueuses recueillent l’appréciation des p.108 connaisseurs. Ce n’est nullement manquer de défé­rence envers les missionnaires catholiques que d’avancer que les pompes extérieures du culte sont un important élément de succès de leur prosélytisme en Chine. Mais si l’on considère la mentalité des Chinois, il n’y a pas lieu de croire que sous leurs pratiques rituelles se cache un sentiment très profond. Ils sont avant tout sceptiques et areligieux. On se tromperait fort, en revanche, en voyant en eux des athées. Pour nier Dieu, ou les dieux, il faut une force de conviction qui fait généralement défaut à ce peuple de dilettantes. Au surplus, la Chine ne possède t elle pas un immense panthéon de dieux et de démons, édifié par les spécu­lations des théologiens et des philosophes de toutes les époques ? En regard de la grandiose unité de leur civilisation, la vie religieuse des Chinois est faite d’un nombre prodigieux d’éléments disparates empruntés à toutes les croyances, à toutes les pratiques, à toutes les formes de la superstition. Telle est du moins la vie religieuse de la masse, au sein de laquelle les indi­vidus attachés par conviction profonde à une confes­sion nettement définie et autonome ne constituent qu’une faible minorité.

La religion primitive. — Le confucéisme. — Dès les temps primitifs, la vie religieuse des Chinois est celle d’un peuple de paysans. Les cérémonies et les fêtes se déroulent d’après un cycle agraire et saisonnier. La plus ancienne peut être de toutes les croyances chinoises, là plus profonde aussi, en tout cas celle qui a joué — et joue encore — un rôle capital dans la vie spirituelle, sociale et politique de la Chine, c’est la conception d’un ordre universel embrassant à la fois l’homme et la nature. C’est surtout la notion d’une solidarité constante entre l’individu et l’univers, d’une p.109 interaction continue de l’ordre universel et de l’ordre social. C’est à cette conception qu’on peut rattacher l’importance du calendrier traditionnel qui fixe les jours fastes et néfastes, permet de savoir à quels mo­ments on doit rester chez soi, à quels moments on peut voyager, entrer à l’école, prendre un bain, conclure une transaction commerciale, manger les légumes ou les fruits de saison. Pour observer la solidarité néces­saire entre l’homme et la nature, la géomancie, fong chouei 1, qui traduit un constant souci d’orientation spatiale, n’a pas moins d’importance que le calendrier. De même, pour connaître le destin de chaque individu, le préserver du mauvais sort, il faut recourir à la divi­nation et à l’examen de son horoscope. Le plus célèbre livre de l’École confucéenne, le Yi king, est un traité de divination. Celle ci se fit d’abord à l’aide d’écailles de tortues qu’on flambait ou qu’on touchait avec un fer chaud. Les fissures produites par la chaleur étaient interprétées par des spécialistes 2. On se servait aussi d’une plante, l’achillée, dont on soumettait des brins à un nombre défini de coupes. Plus tard on utilisera un système compliqué de diagrammes, tel que celui qui nous a été précisément conservé dans le Yi king. Enfin, les songes, les prodiges, feront également l’objet d’interprétations.



A la croyance en la solidarité de l’homme et de la nature, peut être également rattachée l’obligation sacrée qui s’impose à tout Chinois de se faire enterrer dans le pays natal, de reprendre ainsi contact avec la p.110 terre des ancêtres, notion complémentaire qui fait du reste apparaître un autre ordre de croyances et de pratiques. Les cérémonies et les fêtes agraires des anciens Chinois se déroulaient dans les Lieux Saints. La commu­nion sexuelle en était à l’origine le rite principal. La notion de l’opposition des sexes dans l’ordre humain, comme dans l’ordre naturel, les principes d’action concurrente et antithétique dont cette notion est la base, principes fondamentaux de l’organisation chi­noise, se traduisent par les catégories du yin, élément féminin, et du yang, élément masculin. Dans ces Lieux Saints, s’élaborèrent peu à peu diverses croyances religieuses et divers cultes. La Terre était représentée comme une mère. La substance familiale était regar­dée comme éternelle à l’égal de la Terre. « Une mort ne la diminuait point, ni une naissance ne l’augmentait : mais tout membre du groupe passait, par la naissance ou la mort, à une forme différente d’existence » 3. Le culte des ancêtres — demeuré probablement l’élément le plus permanent et le plus caractéristique de la vie religieuse des Chinois — dérive de cette conception. Autour de ces croyances fondamentales, s’ordonnèrent les inventions de la mythologie populaire et du folk­lore, auxquels devaient s’incorporer plus tard les apports des légendes taoïstes, bouddhistes et autres. L’ensemble de ces éléments a donné à la Chine son pan­théon de dieux, de démons, d’esprits, de génies innom­brables. Pendant la période féodale, les éléments pri­mitifs de la religion paysanne se transformèrent et se précisèrent. Avec la fondation de l’Empire, tous ces éléments se fondirent en une sorte de religion officielle ou d’État, dont les principes se dégagèrent lentement du travail des ritualistes et des lettrés, c’est à dire de l’École confucéenne. C’est à cette école que l’on p.111 doit d’avoir formulé, pour les siècles à venir, la thèse de la solidarité de l’homme avec l’univers, si magni­fiquement exprimée dans le texte du Tai hio, cité plus haut. Sur la base de cette thèse, les spéculations méta­physiques des lettrés touchant le yin et le yang, ainsi que les catégories secondaires des cinq Éléments, aboutirent à réduire « la vie religieuse à un ensemble de pratiques symboliques qui, dans leur esprit, étaient destinées à régler les rapports sociaux d’une façon conforme aux exigences communes de la tradition et de la raison » 1. Ces pratiques, ce sont celles que sanc­tionnent les rites, la musique, les châtiments, les lois. Envisagé sous son aspect proprement religieux, le confucéisme comporte une série de cultes adminis­tratifs dont les fonctionnaires, à tous les degrés, sont les prêtres. L’empereur seul a le droit de sacrifier au Ciel, au « Seigneur d’en haut », Chang ti, duquel il tient son mandat. Durant des siècles, ces sacrifices eurent pour théâtre les cinq montagnes sacrées, dont la plus illustre était le T’ai chan, dans la province de Chan tong. Le célèbre temple de Pékin, le T’ien t’an, a vu se dérouler les dernières cérémonies annuelles en l’honneur du Ciel sous le régime républicain. On sacrifiait aussi à la Terre, aux génies des montagnes et des fleuves, aux dieux protecteurs des villes et des moissons, à Confucius et à ses disciples, au dieu de la littérature et à celui de la guerre 2. Chaque famille p.112 avait ses dieux domestiques. Le dieu du fourneau est resté populaire et son image se rencontre dans toute demeure paysanne. Mais, pour l’État comme pour les particuliers, le culte des ancêtres était la grande affaire. Ce culte apparaît dès les origines dans la famille paysanne. Plus tard, dans la famille noble, pendant la période féodale, il subira des transformations de carac­tère politique. Sans insister sur ces points, notons qu’il a pris et garde encore une place telle qu’on peut y voir comme le fond de la religion chinoise. Les pra­tiques de ce culte sont minutieusement réglées par les rituels. Une vaste littérature est consacrée aux funé­railles et aux obligations du deuil. C’est la durée de ces obligations qui, dès les plus anciens codes dynas­tiques et jusqu’en 1931, a servi de base à la classifi­cation de la parenté. Les devoirs essentiels qui forment l’armature de la vie sociale dérivent du culte des an­cêtres. C’est pour eux qu’est édictée la plus stricte piété filiale. C’est pour continuer le culte qu’on est tenu de se marier, d’avoir des fils, de préserver son intégrité physique. Il est difficile d’exagérer la force contraignante de ces obligations 1. Mais il serait erroné de voir dans le culte des ancêtres une sorte d’idolâtrie. Les Jésuites avaient bien observé qu’il ne s’agissait là p.113 que d’une commémoration, comportant des pratiques conciliables avec celles de la religion. Bien que leur thèse ait été condamnée à Rome, probablement pour le plus grand dommage de l’influence chrétienne en Chine, — c’est la Querelle des Rites, — elle demeure, pour tout observateur objectif, conforme à la réalité.

Telle est dans son essence cette « religion confu­céenne » sur laquelle on peut dire que Confucius et son école ont imprimé une marque indélébile. « L’hon­nête homme » chinois, écrit justement M. Granet 2, se forma par l’enseignement du Maître. Il apprit de lui que le véritable esprit religieux consiste à accom­plir, selon les règles séculaires de sa nation, son devoir de citoyen et à développer en soi un sentiment désin­téressé de l’Ordre Universel ; il acquit la sagesse qui fait se détourner des pratiques et théories mystiques, de la magie et de la prière, des doctrines de puissance ou de salut personnel... » Confucius demeure lui-même honoré, non pas comme un dieu, mais comme une sorte de saint, patron de cette religion spécifiquement natio­nale, dont on peut dire qu’elle ne renferme à peu près rien des éléments normaux qui définissent une religion et qui est, en somme, révérence parler, une religion agnostique.

Le taoïsme. — Le taoïsme se présente comme un courant très ancien de la pensée chinoise, dérivé du même fond d’où sont sorties les conceptions confu­céennes, mais en opposition avec celles ci dès la période féodale. Les écrits taoïstes les plus anciens se rattachent surtout à la littérature philosophique. L’aspect reli­gieux de la doctrine apparaît plutôt dans une immense collection d’écrits groupés sous la rubrique de néo-­taoïsme. La religion du Tao (le mot a le sens général p.114 de : Voie), dont les éléments proviennent des anciennes écoles de divination (le fondateur légendaire en serait Houang ti, l’Empereur Jaune, que la chronologie place vers 2 700 av. J. C.), admet elle aussi la thèse de la participation de l’homme à l’Ordre Universel. Elle fait de cet Ordre une réalité concrète considérée sous l’aspect d’une « puissance de réalisation ». Cette réalité est une harmonie de contraires qu’on ne peut définir, mais dont on peut prendre conscience, soit par dialectique, soit par contemplation. Les adeptes du taoïsme sont à la fois de redoutables polémistes, menant la lutte contre les idées reçues — celles des lettrés confucéens — et des mystiques. Mysticisme mélangé de méditation et de pratiques magiques. « Ce sont ces pratiques qui, avec l’extase, formaient le fond de la religion des sectes taoïstes » 1. Une méta­physique qui fait apparaître un monisme naturaliste, une morale préconisant la discipline ascétique, une lo­gique vigoureuse, autant de traits par lesquels le taoïsme se distingue du confucéisme. Il se répandit en Chine sous l’aspect de mouvements sectaires qui prirent parfois un caractère politique 2. L’activité de ces sectes contribua à enrichir d’éléments nouveaux le fonds primitif de la doctrine. Les pratiques magiques se multiplièrent. Le panthéon taoïste se peupla de milliers de divinités nouvelles 3. Un clergé s’organisa, d’une p.115 manière assez peu rigoureuse, du reste, avec des monas­tères d’hommes et de femmes. Des temples se cons­truisirent en grand nombre, une liturgie complexe s’édifia. Les empereurs, responsables de l’ordre universel, eurent recours aux prêtres taoïstes pour propitier les innombrables divinités représentant les puissances de la nature. Le taoïsme fit presque figure de religion officielle.

Mélange de hautes spéculations et de sorcellerie — les Chinois sont férus d’occultisme — le taoïsme subit, dès le IVe siècle, l’influence du bouddhisme. Il se mora­lisa, établit une classification des bonnes et des mau­vaises actions. Plus tard, sans doute « par contagion de l’idée bouddhique d’une rétribution posthume des actions humaines » 4, il élabora un code des péchés, institua des enfers. Mais, si l’on ajoute encore à ces emprunts ceux que le taoïsme a fait au bouddhisme dans l’ordre de la métaphysique et de la présentation de la doctrine, on doit reconnaître qu’il n’a jamais obtenu les mêmes succès que le bouddhisme en ce qui concerne l’organisation de son clergé et son rôle comme religion officielle.

Le bouddhisme. — A la différence du confucéisme et du taoïsme, le bouddhisme est, en Chine, une reli­gion étrangère. Ses premières apparitions sont contem­poraines des premières années de l’ère chrétienne, soit environ cinq siècles après la mort du Bouddha, mais l’évangélisation de la Chine par les moines bouddhistes ne se fit réellement sentir que vers le milieu du IIe siècle. La plupart des premiers missionnaires sont des Iraniens. Le bouddhisme, a t on noté, pénétra en Chine sous une forme presque aussi iranienne qu’indienne, « d’où le développement qu’y prit le culte semi-iranien des p.116 bodhisattvas, notamment l’amidisme dont l’influence fut si grande sur la philosophie mahâyâniste chinoise et l’art bouddhique de l’Extrême Orient » 1. Mais la grande expansion du bouddhisme fut favorisée par l’arrivée au trône chinois de dynasties tartares, notam­ment celle des T’o pa, entre le IIIe et le Ve siècles. Sous les Wei, puis sous les T’ang, des moines indiens s’intro­duisent en Chine tandis que des pèlerins chinois, tels que Fa hien en 399, Hiuan tsang en 629, Yi-tsing en 671, se rendent aux Indes et, en même temps que des relations de voyages, rapportent quantité d’ouvrages qui, traduits, aideront à une large diffusion de la reli­gion nouvelle. Une immense littérature bouddhique en langue chinoise se constituera ainsi, qui forme une part importante de la littérature générale. A partir de cette époque, le bouddhisme connaît en Chine une prospérité éclatante. Le pays se couvre de temples et de monas­tères. Des souverains adhèrent publiquement à la reli­gion étrangère. Une secte surtout devient populaire, la secte tch’an, celle qui propage le mysticisme mahâyâ­niste 2, et dont la doctrine se rapprochait de l’extase taoïste, inspirant, comme celle ci, les peintres et les poètes. Au VIe siècle se forme le bouddhisme tibétain, qui s’assimile des croyances indigènes et fera l’objet, au XIe et surtout au XVe siècle, de réformes profondes d’où est sorti le lamaïsme, aujourd’hui religion de la majorité des Tibétains et des Mongols. Notons encore la faveur marquée dont le bouddhisme sera l’objet de la part de Kubilai-khan et de ses successeurs, aux XIIIe et XIVe siècles.

Au peuple, les bouddhistes chinois enseignent, sous la forme d’apologues, la doctrine du karman, p.117 c’est à dire celle des transmigrations successives de l’âme et de ses réincarnations dans des séries de formes humaines, animales ou divines. La loi de cette transmigration est une loi morale, chaque nouvelle vie étant faite de la somme des actions bonnes ou mauvaises accomplies dans les existences antérieures. Pour obtenir une réin­carnation heureuse, il faut pratiquer les vertus boud­dhiques, dont la plus haute est la charité. Ceux qui veulent s’élever jusqu’à la sagesse totale doivent renoncer au monde, entrer dans les ordres. Ils s’enga­geront ainsi sur la route qui doit les conduire à l’état de bodhisattva. Celui-là est un homme qui, après avoir, pendant des vies innombrables, amassé beaucoup de mérites, a fait vœu de devenir bouddha, c’est à dire de recevoir l’illumination, d’acquérir la sainteté suprême qui lui permettra de faire son salut et celui du monde, en s’évadant enfin du cycle des renaissances perpé­tuelles. Câkyamuni avait été le premier bouddha, fondateur de la religion. Mais d’autres existent déjà en puissance, qui se révéleront au cours de périodes cosmiques ultérieures, tels Maitreya, Amitâbha dont le culte, l’amidisme, est devenu, en Chine et au Japon, une religion nouvelle 1, Avalokiteçvara, qui, en Chine, s’est féminisé pour devenir la célèbre et gracieuse image de Kouan yin, douée de la puissance de conso­lation, de délivrance, de purification, d’intercession. Ainsi s’est créé ce panthéon bouddhique aux divinités innombrables, dans les traits desquelles se retrouvent, p.118 « avec les traditions de l’art du Gandhara, un lointain reflet de la beauté grecque » 2, panthéon qui s’est juxtaposé au panthéon taoïste pour peupler de dieux la Chine confucéenne et agnostique.

Le « positivisme superstitieux ». — Ce n’est pas que les lettrés n’aient cherché à réagir contre cette reli­gion étrangère, susceptible de compromettre la civi­lisation traditionnelle. Han Yu (768 824) est resté célèbre par ses diatribes enflammées. A certaines époques, les bouddhistes firent l’objet de véritables persécutions. En fait, la puissance de la civilisation était telle que, si forte qu’ait pu être l’empreinte laissée par le bouddhisme, les assises posées par l’École confu­céenne n’ont pas été entamées. Sous les Song, au XIIe siècle, s’élabora un système composite de carac­tère rationaliste, tenant compte des pratiques reli­gieuses taoïstes et bouddhiques dont il élimine le mysti­cisme, aboutissant enfin à une sorte de subjectivisme moral, plus ou moins accommodé au traditionalisme et fortement imprégné de tendances évolutionnistes. C’est ce « pragmatisme syncrétique », selon l’expression de M. Granet, qui constitue depuis des siècles le fond de la vie religieuse des Chinois. « Aucun des renouveaux religieux n’affecta gravement les vieilles croyances de la Chine. Ils eurent surtout pour effet d’accroître, avec le nombre des dieux, l’indifférence en matière de dogme. Les Chinois adoptèrent définitivement une espèce de positivisme superstitieux qui accepte toutes les for­mules religieuses, dans la mesure où elles se montrent efficaces, qui les utilise toutes un peu, pour essayer, — car après tout, elles peuvent à un moment donné, dans un cas particulier, et pour tel individu, être bonnes à p.119 quelque chose — mais qui ne s’attache, au fond, qu’à respecter les traditions » 3.

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