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Et sa civilisation première partie de


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IV. — La société.

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A. — La famille.



p.78 Depuis des siècles, la famille chinoise est du type patriarcal. Mais l’on admet aujourd’hui, d’une part, qu’il a existé un type primitif de famille utérine, d’autre part, que des différences profondes ont jadis séparé l’organisation familiale du peuple, des paysans, de celle des nobles, des seigneurs. En fait, la Chine féodale, entre le VIIIe et le IIIe siècle av. J. C., présente un type de famille noble formant transition entre la famille agnatique indivise et la famille proprement patriarcale. Mais la famille paysanne est elle même une vaste com­munauté indivise dans laquelle le principe de la sépa­ration des sexes — principe lié sans doute à une divi­sion du travail entre les groupes masculins et fémi­nins — sert de fondement à de strictes coutumes d’exogamie. On s’est demandé si la dualité de l’orga­nisation familiale était d’origine autochtone ou s’expli­quait par une dualité de civilisations dont l’une, celle des nobles, aurait été apportée par un envahisseur. Des problèmes sont ainsi posés sur lesquels la sinologie sociologique projette aujourd’hui des lueurs nouvelles, mais qu’il ne saurait être question d’exposer ici. Juri­diquement, la famille traditionnelle offre des règles dont les unes remontent à l’époque des communautés paysannes, et les autres s’expliquent par des usages féodales ayant eux mêmes conservé des traces des coutumes plébéiennes. C’est seulement en 1931, avec la promulgation des deux derniers livres du Code civil, qu’on a cessé de reconnaître la force contraignante de certaines institutions immémoriales, la succession au culte des ancêtres, par exemple, ou l’obligation, depuis longtemps tombée en désuétude et déjà p.79 supprimée en 1910, de se marier dans une famille d’un nom différent du sien. Mais la reconnaissance des effets juridiques attachés à la situation du gendre vivant dans la famille de sa femme atteste la survivance dans les mœurs d’une institution directement issue de la maison paysanne, qui est chose féminine.

A la base du régime social figure le clan, tsou, com­posé d’un certain nombre de familles, kia. Le clan comprend tous les individus issus d’une même souche, tsong. Il a un nom, sing, et se réclame d’un ancêtre illustre, dieu ou héros. Les clans d’origine purement chinoise ont dû être fort peu nombreux et les noms, correspondants attribués à chacune des familles sup­posées incluses dans le clan, n’ont guère dépassé quatre cents 1. Le clan possède à titre de copropriété divers biens parmi lesquels le sseu t’ang ou temple des ancêtres. On y conserve les registres généalogiques, tsong p’ou ou tsou p’ou, ainsi que les tablettes des défunts, rangées selon un ordre particulier, l’ordre tchao mou, d’après lequel le groupe agnatique est distribué par géné­rations alternées. Cet ordre régit les vivants comme il a régi les morts. — Le clan a un chef : c’est le mâle le plus ancien du nom. Il est consulté pour tout ce qui intéresse la vie de la communauté et décide souve­rainement, avec l’assistance d’une sorte de conseil de famille des membres les plus âgés. Il est responsable de l’activité sociale du clan et des familles qui le com­posent. — La responsabilité collective de chaque groupe p.80 est du reste un trait caractéristique du régime social et politique de la Chine. — Il aide moralement et maté­riellement les individus dans le besoin et qui, préci­sément parce qu’ils font partie du clan, ont le droit de compter sur cette assistance. Situation qui n’a pas laissé d’engendrer de fâcheuses habitudes de para­sitisme et de népotisme contre lesquelles le gouver­nement actuel cherche à réagir.

Les individus de même nom (sing) sont censés être tous de même souche (tsong). Mais la correspondance entre le sing et le tsong est loin d’être absolue. Les cas dans lesquels cette correspondance n’existe pas se sont multipliés au cours des âges. Il arrive aussi bien que deux personnes de nom différent se trouvent être de même souche. Finalement, il s’est constitué peu à peu des clans particuliers, régionaux ou locaux, qui parviennent à établir leur généalogie jusqu’à une génération plus ou moins lointaine (on ne remonte guère, pour les effets juridiques, au delà de la neu­vième). Plusieurs clans centralisent parfois leurs regis­tres généalogiques et parviennent ainsi à découvrir, par recoupement, un auteur commun. Les registres, rédigés avec une grande précision par le chef du clan, sont importants à plus d’un titre. Ils ont longtemps tenu lieu de l’état civil officiel ; ils contiennent des règles, jadis souveraines, sur le statut familial des membres du clan, notamment au point de vue des rapports de parenté ; l’indignité d’un individu est attestée par sa radiation du registre, fait qui le laisse sans appui, sans protection, parce qu’en Chine, l’indi­vidu isolé n’est plus rien.

A l’intérieur de chaque famille, dont le chef est sou­mis à l’autorité du chef de clan, fonctionne également le régime patriarcal. La parenté y obéit aux mêmes règles que dans le clan. La famille comprend tous les p.81 individus vivant sous le même toit, chaque ménage habitant, avec ses enfants, un pavillon distinct. De larges familles occupent parfois des villages entiers, auxquels elles donnent leur nom. La principale obli­gation qui pèse sur les membres inférieurs de la famille est l’interdiction de partager le bien familial et d’avoir un établissement séparé tant que les parents sont encore vivants. Cette règle n’a été atténuée que dans ces dernières années par les tribunaux, avant de dispa­raître du Code en vigueur.



Le mariage demeure, bien entendu, la base essen­tielle et sacrée de toute famille. Avec la mort, il est l’acte le plus solennel. Le mariage obéit à des règles strictes, et d’abord, jusqu’à une époque récente, à celle de l’exogamie, qui exigeait que l’on ne prît pas femme dans son propre tsong, c’est à dire que l’on épousât une femme d’un nom différent, du moins quand la correspondance entre le tsong et le sing était établie. Traditionnellement, le mariage est arrangé par des entremetteurs. Ceux ci, au nombre de leurs bons offices, ont celui de recueillir, pour les soumettre à un examen horoscopique, les cartes établies par les deux familles et contenant, pour chacun des fiancés possibles, quatre groupes de deux caractères cycliques exprimant l’année, le mois, le jour et l’heure de la naissance. C’est la céré­monie dite de l’« échange des huit caractères ». Viennent ensuite les fiançailles, qui précèdent obligatoirement le mariage, souvent de plusieurs années. Ces institu­tions sont gouvernées par des règles strictes d’origine rituelle et conservées dans la série des codes dynas­tiques. La jeune fille est amenée dans la famille de son mari, qu’elle aidera à célébrer le culte de ses ancêtres. Elle sort juridiquement de sa propre famille dans la­quelle, jusqu’à une époque très récente, elle n’avait même pas de droits de succession. Après la mort de p.82 son mari, ou simplement de son fiancé, la jeune femme ou la jeune fille continue d’être rattachée exclusi­vement à sa nouvelle famille. C’est à elle qu’elle doit demander la permission de contracter de nouvelles fiançailles ou un nouveau mariage. On a souvent insisté sur la condition inférieure des filles dans la famille classique. Le fait est exact 1. Mais une fois mariée, et bien que soumise à l’autorité tyrannique de sa belle mère, la jeune femme occupe une position nettement supérieure à celle, par exemple, d’une femme de harem. Si elle a un fils, elle est entourée de respect et d’attentions. La mère a, dans toutes les classes, un statut social et juridique élevé. Elle a rempli en effet sa fonction essentielle, qui est de donner à son mari un héritier mâle capable d’assurer à son tour la continuité du culte des ancêtres. Pour tout individu, en Chine, avoir une descendance est la mani­festation la plus nette de la piété filiale, cette vertu honorée jusque dans ses traits les plus excessifs. Si, à un certain âge, la femme légitime n’a pas de fils, ce fait est suffisant — mais nullement nécessaire — pour autoriser le mari à prendre une ou plusieurs concubines. L’aîné des fils des concubines sera le suc­cesseur légitime au culte des ancêtres. Le statut de la concubine résulte d’un véritable contrat passé avec le chef de famille, sans que ce contrat soit en quoi que ce soit assimilable à un mariage véritable. Entre 1912 et 1925, la jurisprudence avait édifié une remarquable construction juridique destinée à consolider les effets de ce contrat, surtout en ce qui concernait la brusque rupture des relations et le renvoi injustifié, tandis que ces mêmes effets au point de vue purement familial étaient nettement circonscrits.

p.83 Une institution d’origine immémoriale est celle consistant à faire venir un gendre dans la famille du beau père : c’est le mari-gendre, ou gendre appelé, tchouei fou, qui prend, en principe, le nom de la famille de sa femme. A l’inverse, il existe la pratique coutu­mière très répandue de faire venir très jeunes dans les familles les filles qui épouseront plus tard les gar­çons de ces familles.

On trouve à la fois, dans la Chine classique, la répu­diation des femmes et le divorce par consentement mutuel. Les textes visant la répudiation étaient, jusqu’à une date toute récente, de très anciennes dispositions rituelles. Il y avait sept cas de répudiation, parmi lesquels le bavardage inconsidéré de l’épouse, sa jalousie, une maladie mauvaise, la négligence à s’acquitter de ses devoirs envers ses beaux parents. Mais la femme pouvait éviter la répudiation si elle invoquait l’une des « trois exceptions », à savoir : elle avait porté durant trois ans, avec son mari, le deuil des parents de ce dernier ; — les deux époux, à l’ori­gine humbles et pauvres, étaient devenus riches et considérés ; — la femme n’avait plus de famille pouvant la recueillir. — Pour une femme veuve, il était traditionnellement regardé comme un acte de haute vertu de ne pas se remarier. Il existait même des coutumes — elles se sont perpétuées jusqu’à nos jours — d’après lesquelles la jeune fille dont le fiancé était décédé avant le mariage contractait avec l’ombre du défunt une sorte de mariage spirituel. On élevait des monuments à ces femmes vertueuses et fidèles.

Les règles du registre généalogique déterminent le statut juridique des enfants, qu’ils soient nés de la femme légitime ou d’une concubine. La filiation adop­tive est prise en considération, mais ses effets sont précisés par la loi, désireuse d’éviter que le fils adoptif, p.84 appartenant à une autre souche, tsong, que l’adoptant, puisse « troubler le sang », louan tsong, par suite d’une institution illégale d’héritier. En pareil cas, il y a lieu au retour obligatoire de l’adopté dans sa famille pater­nelle, tandis que le retour n’est que facultatif si l’adop­tant vient à avoir un fils du sang postérieurement à l’adoption. L’enfant adoptif possède des droits de suc­cession aux biens, mais non au culte, de l’adoptant. Enfin, la loi impériale connaissait un cas particulier d’adoption, celui de l’enfant abandonné de moins de trois ans, recueilli et élevé par l’adoptant. Cet enfant prend alors le nom de son bienfaiteur. Il peut en rece­voir des biens, mais, n’étant pas de même tsong, ne peut succéder à son culte. C’est un des cas dans lesquels, à l’identité de nom, sing, ne correspond pas l’identité de tsong.

Le droit successoral, à l’intérieur de ces puissantes unités sociales que sont le clan et la famille, est remar­quable par le nombre et la précision de ses règles tech­niques, provenant des rituels et conservées dans la législation impériale. Jusqu’en 1931, ce droit reposait sur une distinction fondamentale entre la succession au culte et la succession au patrimoine. Pour assurer le maintien du culte, c’est à dire la continuité du tsong, il était nécessaire d’instituer comme héritier le fils aîné de la femme légitime, ou, à défaut, d’une concubine. L’héritier institué devait être du même tsong que l’ins­tituant et choisi selon l’ordre légal, ce qui comporte deux conditions : l’alternance des générations (ordre tchao mou) et l’ordre « de proche à proche », conduisant à l’institution à titre d’héritier des fils des frères jus­qu’aux parents du plus petit deuil. Il était permis exceptionnellement de déroger à l’ordre de proche à proche, jamais à l’ordre tchao mou. Un père dont le fils marié est décédé, et qui n’a pas d’autre fils, peut, p.85 exceptionnellement, instituer un héritier au défunt en vue d’attendre la naissance d’un petit fils. Jadis, on estimait que les branches cadettes d’une famille devaient se dépouiller de leurs héritiers au profit de la branche aînée si celle ci en manquait. Mais le législateur, afin de faciliter l’institution d’un héritier dans les familles n’ayant qu’un fils unique, avait organisé une forme de succession dite à deux branches. — La succession au culte était une question préjudicielle de la succes­sion aux biens. En principe, le patrimoine du défunt est recueilli par le fils ou l’héritier légalement institué. La veuve en a l’administration provisoire. Cette solidarité des deux ordres de succession n’est pas absolue, et d’au­tres personnes — fils adoptif, gendre appelé — peuvent recevoir une quote part de l’hérédité, étant entendu que la part la plus importante des biens est réservée à l’héritier du culte pour lui permettre de s’acquitter de son obligation. Les filles avaient ainsi certains droits successoraux éventuels et recueillaient même l’ensemble des biens du défunt lorsqu’il n’existait aucun héritier mâle susceptible de succéder au culte selon l’ordre légal. — Toutes ces règles étaient très strictes et la pratique des testaments, rendue inutile, fort peu répandue. Avec celles du mariage, elles avaient abouti à faire de la famille une institution harmonieuse et puissante. C’est à sa forte structure familiale que la Chine doit la durée de sa civilisation et le maintien de son unité sociale à travers les vicissitudes de son histoire politique.



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B. — Le gouvernement

On sait que le prince sage, idéal de l’École confu­céenne, atteste qu’il a reçu le mandat du Ciel par son aptitude à faire régner dans l’Empire une harmonie qui fait de l’État une vaste famille. Le devoir essentiel p.86 du souverain est d’observer et de comprendre la par­faite régularité de l’Univers, et, par son exemple, d’amener ses sujets à vivre selon les lois d’un ordre social dérivé de l’ordre universel. Ce n’est qu’après la chute de l’Empire, en 1911, qu’on s’est occupé de droit constitutionnel. La constitution impériale n’était pas écrite. Le pouvoir du prince se justifie par son pres­tige et son habileté à rendre sensibles les principes d’ordre et de hiérarchie qui gouvernent l’Univers comme l’individu. Les règles de la succession au trône sont les mêmes que celles de la succession privée. Mais la notion d’un pouvoir héréditaire n’est pas une notion chinoise. Ce qui compte avant tout, ce sont les mani­festations par lesquelles le Ciel montre qu’il confère, maintient ou retire son mandat. La survenance de prodiges, ou simplement de faits en contradiction avec l’ordre normal des choses, atteste que la faveur du Ciel s’éloigne de l’empereur, que la vertu dynas­tique est prête à s’éteindre. Le prince redevient alors un simple particulier que ne protège plus aucun interdit. On peut le tuer — c’est la théorie du régicide légitime de Mencius — et attendre que de l’anarchie subséquente surgisse un nouveau prince dont le prestige et le succès seront la preuve qu’à son tour il a reçu le mandat du Ciel.

Ainsi l’empereur de Chine ne saurait être comparé à aucun autre type de souverain. Surtout, il n’a rien du despote que font apparaître les monarchies orientales. L’idéal est qu’il demeure immobile, comme l’Étoile Polaire autour de laquelle tournent les autres étoiles, dit l’École confucéenne, en assurant par son seul exemple, et avec un minimum de contraintes, le main­tien de l’ordre social à l’image de celui de l’Univers. Un admirable texte du Tai hio, traité attribué au petit-­fils de Confucius ou à l’un des disciples du Sage, contient p.87 la substance de la philosophie chinoise du gouverne­ment :

« Les anciens Rois qui désiraient faire resplendir le T’ö (l’Efficace) dans l’empire commençaient par bien gouverner leur domaine ; désirant bien gouverner leur domaine, ils commençaient par mettre de l’ordre dans leurs familles ; désirant mettre de l’ordre dans leurs familles, ils commençaient par se cultiver eux­-mêmes ; désirant se cultiver eux mêmes, ils commen­çaient par rendre conforme aux règles leur vouloir (leur cœur) ; désirant rendre leur vouloir conforme aux règles, ils commençaient par rendre sincères leurs sentiments ; désirant rendre sincères leurs sentiments, ils commençaient par pousser au plus haut degré leur sagesse.

— Pousser sa sagesse au plus haut degré, c’est scruter les êtres. Quand ils avaient scruté les êtres, leur sagesse était poussée au plus haut degré ; quand leur sagesse était poussée au plus haut degré, leurs sentiments étaient sincères ; quand leurs senti­ments étaient sincères, leur vouloir était conforme aux règles ; quand leur vouloir était conforme aux règles, eux mêmes étaient cultivés ; quand eux mêmes étaient cultivés, leurs familles étaient en ordre ; quand leurs familles étaient en ordre, leur domaine était bien gouverné ; quand leur domaine était bien gouverné, l’empire jouissait de la Grande Paix.

— Depuis le Fils du Ciel jusqu’aux gens du peuple, tout le monde doit avoir pour principe : cultiver sa personne. » 1

On ne saurait surestimer la portée d’une telle doc­trine, pas plus qu’on n’en pourrait contester la perma­nence. Le 6 janvier 1936, le général Chiang Kai-shek, président du Conseil exécutif, prononçait un discours qui n’est, d’un bout à l’autre, qu’une exaltation du texte confucéen. Et sans doute l’orateur voit surtout dans le Tai hio le principe et la justification de ce mou­vement de la « Vie Nouvelle » que j’indiquerai plus p.88 loin. Mais il en fait aussi la base d’une révolution psycho­logique et d’une reconstruction nationale qui ne sont en fait que la renaissance et la redécouverte de concep­tions séculaires, déjà prônées par le président Sun Yat sen, et dans lesquelles le général Chiang Kai-shek admire « des perles précieuses de sagesse qui ne se trouvent que dans la philosophie politique chinoise ». Les enseignements du Tai hio, dit il encore, « repré­sentent l’essence de cette philosophie. Leur ligne de raisonnement est à la fois logique et scientifique ». Il ajouta que, depuis plusieurs années, il s’était fait une règle de relire tout le volume au moins une fois par an, convaincu qu’il était plus que jamais de la sagesse qui y est incluse. — Il est difficile de donner une illustration plus frappante de cette tendance des hommes qui gouvernent la Chine à se retourner vers les enseignements des Sages.



Le prince, considéré à la lettre comme le père d’une immense famille, celle de ses sujets, tient son mandat du Ciel, et c’est au Ciel qu’il rend ses comptes, au cours d’une cérémonie annuelle qui n’a disparu qu’après la chute de l’Empire. Il est avant tout une sorte de lien mystique entre le Ciel et la Terre. Il règne plus qu’il ne gouverne. L’exécution de ses ordres est assurée par cette énorme machinerie qu’est la bureaucratie officielle. Dans ce domaine, les Chinois ont été des créateurs de génie. Dans tous les pays, le formalisme et la paperasserie des administrations sont des thèmes de plaisanteries faciles. En Chine, la hiérarchie des fonctionnaires et les attributions des bureaux ont eu, de tout temps, le caractère grandiose, solennel et quasi sacré de phénomènes de la nature. Un rituel, le Tcheou li 1, décrit avec minutie les institutions administratives attribuées aux Tcheou. L’organisation qu’il retrace, imprégnée de symbolisme primitif et de philosophie p.89 politique confucéenne, s’est, dans ses grandes lignes, perpétuée jusqu’à nos jours. Sous des noms différents, un grand nombre d’organes et de fonctionnaires de la dernière dynastie exerçaient leurs attributions d’après les principes de ce rituel 2. A ne l’envisager que dans ses traits essentiels, l’administration impériale se pré­sentait sous l’aspect suivant. A la capitale, sous l’au­torité directe du souverain, se trouvait d’abord un Grand Conseil ou Conseil d’État ne comprenant qu’un petit nombre de membres. Il était en charge des plus importantes affaires de l’État. Mais en réalité, surtout dans les dernières années de la dynastie mandchoue, l’organe le plus actif était le Nei ko, Grand Secrétariat ou Chancellerie impériale, composé de six membres. Sous la toute puissante impératrice Ts’eu Hi, le Nei ko était devenu un foyer d’intrigues et de corruption qui n’a pas peu contribué à la chute de la dynastie. Les audiences impériales avaient ordinairement lieu avant le lever du jour. A côté de ces deux plus hauts organismes du gouvernement, un grand nombre d’ins­titutions : conseils, bureaux, ministères, etc., se parta­geaient l’administration centrale. Les plus importants étaient les Six Ministères — déjà décrits dans le rituel de Tcheou, où ils sont rattachés à un système cosmo­gonique — à savoir : le Li pou (ministère des Fonc­tionnaires, ou de l’intérieur), le Hou pou, en charge des finances, du recensement, des institutions civiles, le Li pou, ou ministère des Cérémonies, le Ping pou (ministère de la Guerre), le Hing pou, ministère des Châtiments, le Kong pou, ministère des Travaux publics. Les attributions du ministère des Fonctionnaires et celles du ministère des Cérémonies avaient une p.90 importance particulière. Le premier était l’organe régulateur de la bureaucratie qui administrait l’Empire. Depuis des siècles, les fonctionnaires sont recrutés à l’aide d’un système d’examens très compliqué et qui, en dépit de ses défauts, reste une création remarquable du génie chinois. En bien comme en mal, ce système a joué un grand rôle dans l’histoire sociale et politique de la Chine. Ces examens, exclusivement littéraires, de plus en plus difficiles à mesure que l’on désirait s’élever dans la hiérarchie, faisaient de chaque fonc­tionnaire un perpétuel candidat depuis sa jeunesse jusqu’à un âge fort avancé 1. C’était d’après les résul­tats de ces examens que le ministère proposait à l’em­pereur les nominations, promotions, rétrogradations, révocations, honneurs, titres, décorations, etc., évé­nements capitaux qui jalonnaient l’existence de toute l’élite, c’est à dire des lettrés 2. Système démocratique, car il permettait l’accès des hautes fonctions de l’État aux plus pauvres d’entre les citoyens. Il a du reste été conservé, avec de profonds remaniements, comme base de l’organisation politique actuelle. — Quant au ministère des Cérémonies, on se tromperait à n’y voir qu’une sorte de bureau du protocole. C’était en fait un organisme d’inspiration confucéenne. Les cérémonies, les rites, par leur accomplissement correct, créent et traduisent la parfaite harmonie entre l’ordre universel et l’ordre social. Le caractère li, imparfai­tement rendu par les termes « rites » ou « cérémonies », p.91 possède un vaste contenu éthique. D’où la nécessité d’un ministère spécial pour la préservation des modes d’expression par lesquels se manifestent les relations sociales de nature publique et privée. — Une division du ministère des Cérémonies, le Yue pou, bureau de la Musique, veillait à la conservation des principes de la musique officielle, regardée, dans la théorie confu­céenne, comme propre à assurer le fonctionnement harmonieux de la société.

Dans cette bureaucratie, il n’y avait point de place pour un ministère des Affaires étrangères. L’humanité était considérée par les Chinois comme formant une vaste unité politique et de culture. Pour les « Barbares », incapables de comprendre l’ordre universel, il existait un organisme chargé de leurs relations avec la Chine, le Li fan yuan, devenu la Commission des affaires mongoles et tibétaines. Ce n’est que le 31 janvier 1861 que, sous la pression des Puissances européennes, la Chine consentit à reconnaître qu’il pouvait exister des gouvernements étrangers admis d’une manière. permanente à traiter avec l’Empire sur un pied d’éga­lité, conformément aux règles du droit international. Ainsi fut créé le Tsong li ko kouo che wou ya men, devenu plus tard le Wai wou pou, puis le Wai kiao pou, ou ministère des Affaires étrangères.

Une institution remarquable de l’ancienne orga­nisation politique — du reste conservée dans le régime actuel — était le bureau des Censeurs, dont les ori­gines remontent au IIIe siècle avant J. C. Son rôle était de critiquer le gouvernement, d’en signaler les erreurs et les fautes, de faire même à l’empereur des remontrances sur sa conduite, de contrôler les fonc­tionnaires, de dénoncer la corruption et les abus. Le bureau des Censeurs, T’ou tcha yuan, le ministère des Châtiments Hing pou, et la Cour suprême de justice, p.92 Ta li sseu, formaient ensemble les « Trois Hautes Cours », San fa sseu, juridiction d’appel suprême pour tous les procès criminels dans lesquels la peine capitale était encourue. Une organisation analogue se retrouvait dans les provinces, les plus vastes des divisions administratives du territoire chinois, dans les préfectures et les districts (hien). Du vice roi ou du gouverneur, jusqu’au simple chef de village, tous les fonctionnaires étaient regardés comme exerçant dans leur sphère l’autorité patriarcale que l’empereur mani­festait à la tête de l’État. Tous, formés à la discipline confucéenne, étaient censés gouverner leurs administrés par leur exemple. Chacun d’eux était responsable envers son supérieur des fonctionnaires placés sous ses ordres. Une grande autonomie était du reste laissée à ces institutions provinciales et locales. Dans l’ordre économique, notamment, le gouvernement central n’intervenait que dans une mesure modeste. Il faut observer que cette décentralisation, conjuguée avec l’initiative de nombreuses institutions semi-­officielles ou privées, au premier rang desquelles se placent les chambres de commerce, a toujours eu en Chine des avantages marqués. C’est sur elle que le gouvernement actuel s’appuie pour réaliser la recons­truction du pays.

En dépit de son excellence, l’organisation adminis­trative de la Chine impériale présentait de graves défauts. L’un des plus notoires était la corruption 1. Les traitements des fonctionnaires étaient très faibles. Chacun d’eux était contraint de faire vivre, non seu­lement sa famille — la vaste famille chinoise, où les parents les plus lointains comptent sur le parent riche pour les aider — mais encore toute une clientèle p.93 d’auxiliaires, de secrétaires, d’aspirants fonctionnaires. Il était de plus obligé de payer des sommes substantielles — euphémiquement présentées comme des « cadeaux de courtoisie » — à tous ceux qui l’avaient aidé à obtenir son poste. Bien des gens parvenaient à de hautes charges, qui avaient su éviter la longue voie des examens. La recommandation et le pot de vin étaient élevés à la hauteur d’institutions. Pour faire face à ces lourdes dépenses, les fonctionnaires n’avaient d’autres ressources que de pressurer leurs administrés. Ces procédés étaient si ancrés dans les mœurs que lorsqu’un fonctionnaire quittait son poste, le plus bel éloge qui pouvait lui être décerné était celui de n’avoir commis que les exactions raisonnables et pour ainsi dire rituelles. On lui élevait alors un arc de triomphe.



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