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Et sa civilisation première partie de


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Caractères physiques. — Le problème examiné dans la section précédente s’est trouvé récemment compli­qué par la découverte aux environs de Pékin de crânes et d’ossements appartenant à un type d’homme pré­historique que l’on tendrait à ranger parmi les plus anciens types connus. Mais sans étudier ici ce point particulier, il suffit d’indiquer que dès l’époque néo­lithique les habitants de la Chine du Nord ne diffé­raient pas beaucoup, anthropologiquement, de leurs descendants actuels. Si l’on considère la race chinoise proprement dite, c’est à dire celle qui vit dans les « Dix huit provinces », il s’en faut qu’elle soit homogène. On la classe généralement parmi les races mongoloïdes. Mais on a observé un grand nombre d’individus du type négroïde, d’autres de type aryen ou de type sémite. On rencontre même des Chinois qui ont la peau presque blanche et les yeux bleus. Les hommes du Nord sont souvent de haute stature, tandis que, vers le Sud, ils sont de taille moyenne ou petite. Sans entrer ici dans une discussion anthropologique, on peut indiquer les caractères généraux d’une race qui comporte en réalité de très nombreuses variétés, dont beaucoup doivent être rattachées aux invasions étrangères. Ces caractères sont une taille moyenne, une peau jaunâtre, des yeux noirs et légèrement bridés, des pommettes assez fortes, une grande bouche, les che­veux noirs, la barbe et la moustache peu abondantes. Au point de vue esthétique, si les Chinois pris en masse sont peu conformes aux canons occidentaux. on p.63 rencontre souvent des hommes aux traits fins (dans le Sud), ou à la noble prestance (dans le Nord). Dans presque toutes les classes de la population, les jeunes femmes sont fréquemment jolies, au sens européen du mot. Les filles de Sou tcheou ont une réputation méritée de beauté. A Chang haï, dans la haute société chinoise, on rencontre des femmes en qui une élégance raffinée, une rare distinction, une vaste culture natio­nale et étrangère, s’allient à la beauté la plus parfaite. Il existe encore des races dites « barbares », par exemple, dans les régions montagneuses du Sseu tch’ouan et du Yun nan, les Lolos et les Miao tseu. Enfin, les popu­lations des territoires extérieurs, Mandchourie, Mon­golie, Sin kiang, Tibet, présentent des types origi­naux et une grande variété de croisements. Il est donc possible de conclure que l’unité ethnique de la Chine est infiniment moins marquée que son unité de culture.

Caractères moraux. — La variété des types phy­siques chez les Chinois, l’ancienneté de la race, l’am­pleur et la durée des phénomènes de leur histoire, les traits de leur civilisation, essentiellement paysanne, ceux de leur organisation sociale et politique, sont autant de raisons qui expliquent la complexité des caractères qui constituent leur « être moral ». Complexité telle qu’elle aboutit à des constatations paradoxales. Un même individu accuse à la fois une mentalité de primitif et des traits du plus subtil raffinement. Chez un autre, des qualités éminentes cohabiteront, appa­remment sans heurts, avec des défauts sordides qui sont précisément la négation de ces qualités. C’est par cet aspect — mais non pour cette seule raison — que les Chinois ont, aux yeux des Occidentaux, la répu­tation d’être « énigmatiques ». La description ci-après, p.64 correspondant à une moyenne, comporte un nombre indéterminé d’exceptions.

Le Chinois est généralement intelligent, et nom­breux sont les gens qui font preuve de vastes capacités intellectuelles. Les facultés de sa mémoire sont fort développées. Il a d’ailleurs plutôt l’esprit de finesse que l’esprit géométrique, et l’intuition est chez lui supérieure à la logique. Son imagination, souvent vive, le porte vers les modes d’expression artistique et litté­raire, dans lesquels il a excellé de tous temps. Il est friand de poésie, de constructions abstraites, de for­mules livresques et stéréotypées, de systèmes et de plans, de nourritures creuses. Il croit volontiers qu’une chose existe, ou est à demi réalisée, par le seul fait qu’il lui a donné une expression verbale ou écrite. Il n’a pas l’esprit scientifique. Cela tient en partie à l’infériorité d’une logique dont la caractéristique est l’indifférence aux principes de causalité et de contra­diction. Le prestige du concret est tout, le goût de la généralisation, du classement, de l’évaluation objec­tive est absent. Mais le Chinois possède de remar­quables talents d’observation. Comme toutes les races paysannes, il tempère son goût pour les rêveries par un réalisme parfois déconcertant. Ces imaginatifs savent être positifs jusqu’au terre à terre et attestent en général un jugement sain et un solide bon sens. Comme les paysans aussi, ils sont rusés, âpres au gain, facilement usuriers. Ils sont du reste moins attachés à l’argent pour lui-même que pour les joies matérielles qu’il leur procure. Leur aptitude au labeur est prodi­gieuse. Dans les villes comme dans les campagnes, une population grouillante s’affaire d’une manière inin­terrompue. Sauf pendant quelques jours au commen­cement de l’année, le Chinois ignore les jours de repos ou de fêtes. La nuit même n’interrompt guère son p.65 activité, qu’il s’agisse d’affaires ou de plaisirs. Cela tient sans doute à la propriété qu’il possède de pou­voir s’endormir n’importe où, à n’importe quel moment, dans n’importe quelle position, et de se contenter de peu de sommeil. Doué d’une étonnante vitalité, peu nerveux, très peu sensible à la douleur, d’une très grande fécondité, les Chinois présentent de fréquents exemples de longévité. Ils savent se montrer très courageux, tout en tenant fort à la vie. Ces anti-militaristes ont une histoire belliqueuse et remplie de hauts faits militaires. Leurs mœurs sont d’une grande simplicité et ils se nourrissent avec une frugalité surprenante. Leurs facultés d’adaptation, d’assimilation et surtout de récupération sont au dessus de la moyenne. Ils ont l’amour de la nature et, sensuels, savent, à l’occa­sion, jouir de la vie d’une manière toute épicurienne. D’une politesse légendaire, ils sont vite en bonne humeur, ont le sens du comique développé, sont « faciles à vivre », ont le goût des relations sociales, des diver­tissements, la passion et le sens du théâtre, pratiquent à merveille les devoirs de l’hospitalité et sont, avec les Français, le seul peuple au monde qui ait fait de la cuisine un art. Leur persévérance, leur patience, leur ingéniosité sont proverbiales. Si l’on ajoute à cela que les Chinois sont d’un naturel doux et pacifique, générale­ment bons, aimant la vie de famille, honorant leurs parents et leurs ancêtres, respectant les maîtres et les vieillards, qu’ils savent se conformer naturellement à l’ordre établi et à la coutume au point d’avoir édifié sur cette attitude une formule de civilisation qui, faisant moins qu’aucune autre, appel à la contrainte, a traversé les siècles, on aura comme un « premier état » de leurs caractéristiques.

Mais j’ai eu soin de dire que les qualités et les défauts les plus contradictoires se rencontraient à doses égales p.66 chez les Chinois. Un même individu se révélera tout à la fois plein d’intelligence et affligé d’apathie intel­lectuelle. L’homme d’une grande bonté envers les siens ne manifestera aucune émotion en face des souf­frances des autres. Celui-là qui prend mille précautions pour le confort de son oiseau favori torturera son chien ou son âne et assistera impassible au supplice d’un criminel en riant des souffrances physiques et morales qui lui sont infligées. La piété filiale et le culte des morts ont maintes fois un caractère formaliste et conventionnel. Les belles filles sont les souffre­-douleurs des belles mères. La traditionnelle probité commerciale n’empêche pas, à l’occasion, de se servir de faux poids. La patience devient aisément une indif­férence dangereuse. L’amour de la famille, l’esprit de clan, s’ils développent le sens de la solidarité, en­gendrent le népotisme, le parasitisme, la corruption des fonctionnaires. On a encore signalé chez les Chi­nois tout à la fois leur absence de nerfs et leur impres­sionnabilité. On a noté leur indifférence aux notions de temps et d’exactitude, leur talent à comprendre de travers, leur « flexible inflexibilité », l’importance excessive qu’ils attachent à la « face », leur recherche des attitudes théâtrales. On leur a reproché leur dilet­tantisme, leur admiration pour les mauvais coups réussis, leur habileté à s’exprimer d’une manière détournée, leur goût pour l’argutie, la controverse, la discussion stérile, leur mépris du confort et de l’hygiène, voire de la propreté, leur absence d’esprit public, de sens national et de véritable patriotisme (contre partie du développement excessif de l’esprit de famille et de clan), leur culte maladif du passé, leur attachement aux forces de conservation, à la routine, leur ignorance des formes profondes de la vie religieuse. On a souligné leur goût immodéré pour p.67 la spéculation et le jeu sous toutes ses formes. On les accuse enfin de xénophobie.

On pourrait tirer une troisième ou une quatrième épreuve de ce portrait moral des Chinois que l’on verrait apparaître de nouveaux traits et un supplé­ment de contradictions. En vérité, ce vieux peuple est trop complexe pour qu’il soit possible de faire une synthèse de ses caractéristiques. A nous, Occi­dentaux, la Chine se présente comme une autre pla­nète. Nous sommes séparés de ses habitants par notre sens chrétien de l’évolution, nos procédés de raison­nement, nos conceptions de la loi et du gouvernement, et c’est pourquoi tant de malentendus surgissent entre Chinois et étrangers, surtout quand ni les uns ni les autres ne consentent à se faire les concessions néces­saires, et à s’abstenir de parti-pris. Aussi sommes­-nous en peine de les juger. Deux traits pourtant doivent être soulignés. L’un est la supériorité, chez eux, de l’intelligence sur le caractère. L’autre est la richesse et l’« universalité » de la qualité humaine en chaque indi­vidu, même le plus humble. C’est pour ce dernier trait que ceux qui connaissent les Chinois voient en eux la « grande race » de l’Asie.

III. — La langue 1



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D’après l’opinion généralement reçue, le chinois fait partie de la famille linguistique sino tibétaine, divisée, soit en deux groupes principaux : sino thaï et tibéto birman (Maspero), soit en trois groupes : chinois, tibéto birman, thaï (Przyluski). Son importance est attestée par ce fait qu’elle est parlée par plus d’un quart de l’humanité et que sa fortune, en tant que p.68 langue de civilisation, a été prodigieuse. Non seulement elle a maintenu l’unité chinoise au cours des siècles, mais elle a joué en Asie orientale un rôle comparable à celui du grec et du latin en Europe. Le chinois est employé comme langue littéraire en Annam, en Corée et dans l’Empire japonais. En Chine même, il a servi et sert encore de véhicule à une immense littérature.



La langue parlée. — Lorsque l’on entend parler un Chinois, on est frappé par le retour constamment répété de monosyllabes aux sonorités peu variées 2. De fait, le dialecte de Pékin, l’un des plus pauvres, ne contient guère plus de 420 sons différents. Un petit dictionnaire, ne donnant que les termes les plus cou­rants, renferme environ 4 200 mots, soit une moyenne d’un son unique pour dix mots. En réalité, sur ces 4 200 caractères, on en compte seulement deux ayant le son jouer, mais 69 se prononçant yi, 59 che, 29 kou, etc. Dans les grands dictionnaires, contenant de 10 000 à 40 000 caractères, un même son peut ainsi se trou­ver attribué à plusieurs centaines de caractères ayant tous un sens — ou plusieurs sens — différents. Comme en chinois, à la différence de ce qui se produit pour les langues indo européennes, il n’existe pas d’affixes, les divers mots de même son ne peuvent être distin­gués que par deux procédés. L’un consiste dans l’aspi­ration, plus ou moins marquée selon les dialectes, et qui permet, par exemple, de différencier tcheng et tch’eng, tche et tch’e, tsing et ts’ing, etc. Ce procédé ne convient qu’à certains sons. De plus, l’aspiration n’est pas également perceptible dans tous les dialectes et chez tous les individus. Aussi la langue chinoise connaît elle un autre procédé de différenciation des p.69 sons qui est celui des tons. Un même son peut être aigu ou grave, égal, montant ou descendant, etc. Ce système, comparable à l’accent tonique de certaines langues, n’est à son tour efficace que si le nombre des tons est suffisant pour éviter les confusions. Efficacité variable encore suivant les dialectes. Dans le langage de Pékin qui, en tant que celui de la capitale et de la Cour, est resté, pendant plusieurs siècles, le modèle du monde élégant et des fonctionnaires, il existe ainsi pour un même son jusqu’à quatre tons différents, bien que de nombreux caractères ne possèdent pas cette gamme, certains mêmes n’ayant qu’un son. Le mot ma, par exemple, signifie, au 2e ton, chanvre, au 3e ton, cheval, au 4e ton, injurier, maudire. Le son tchou, selon qu’il est prononcé au 1er, 2e, 3e ou 4e ton, veut dire : porc, bambou, maître, habiter. Les très nombreux dialectes parlés dans la Chine semblent de plus en plus riches en tons à mesure qu’on avance vers le Sud. Phénomène d’autant plus appréciable — on en a tiré d’intéressantes conséquences pour l’his­toire de la civilisation — que c’est dans ces régions méridionales que se trouvent précisément les plus nombreuses variétés de dialectes. Dans le Kouang-­tong et le Fou kien, par exemple, les habitants de villages distants seulement de quelques kilomètres parlent des langages différents, sont parfois incapables de se comprendre de village à village. Certains de ces dialectes méridionaux ont jusqu’à douze tons pour un même son. Celui de Canton en comporte neuf. Mais le procédé de la différenciation par tons demeure encore d’une efficacité limitée, surtout lorsque les tons ne sont séparés que par des nuances à peine sen­sibles, ce qui est le cas dans les dialectes à tons nom­breux. On est donc obligé de recourir à d’autres moyens tirés, non plus de simples artifices de prononciation, p.70 mais de la structure même de la langue parlée. — Le chinois est une langue monosyllabique. Tant qu’il n’a eu besoin que d’un nombre restreint de mots pour exprimer un petit nombre d’objets, ou des faits ou des idées simples, la différenciation par tons d’un son unique a suffi aux individus pour leur permettre de se comprendre. La création de nouveaux mots, due à la complexité croissante de la civilisation, a multi­plié le nombre des termes homophones dans une telle proportion qu’il a fallu chercher d’autres procédés de différenciation. Les matériaux de la langue chinoise se sont trouvés ainsi entièrement refondus et le lan­gage parlé a subi une profonde modification au cours des siècles. Si l’on parcourt un dictionnaire sino euro­péen, on est frappé de constater qu’un même mono­syllabe entre dans la composition d’un grand nombre de mots formés eux mêmes de deux, trois ou quatre monosyllabes. Le monosyllabe initial donne aux mots dans la composition desquels il entre un sens général rattachant tous ces mots à une notion commune. Par exemple, parmi les nombreux monosyllabes qui se prononcent yi au 4e ton, il en est un qui signifie idée, pensée, motif. Si l’on entendait isolément ce son yi, il serait impossible à distinguer des quarante ou cin­quante autres caractères qui se prononcent également yi au 4e ton. On prendra donc un autre monosyllabe ayant aussi le sens de pensée, d’idée, mais un son diffé­rent, et on l’associera au premier. Un caractère sseu, au 1er ton, a précisément ce sens. Le mot composé yi-sseu signifiera donc idée, pensée, et, dans la conver­sation, ne pourra être confondu avec soit yi, soit sseu, employés seuls ou dans d’autres associations. Au sur­plus, le même yi s’emploie avec d’autres caractères qui, pris isolément, ont des significations étrangères à celle d’idée ou de pensée mais qui, associés avec yi, p.71 permettent de donner à ce dernier caractère toutes les nuances nécessaires. Par exemple, kien, au 4e ton, a le sens de voir ; yi-kien a le sens de point de vue, opinion (idée voir) ; hiang a le sens de direction, d’orien­tation ; yi-hiang signifiera intention, inclination (idée-­direction). C’est ainsi que le chinois, langue mono­syllabique, comprend aujourd’hui des milliers de « mots » composés, et se transforme de cette manière en une langue polysyllabique. — A s’en tenir à la langue parlée, le système qui vient d’être exposé offre donc des avantages évidents par rapport à celui de la différenciation par les sons. Il n’est du reste pas le seul, mais je ne puis entrer ici dans plus de détails.

La langue écrite. — Les inconvénients dus à l’exis­tence d’un grand nombre de dialectes sont largement compensés par l’extraordinaire unité de la langue écrite. En prononçant un même caractère, un même mot simple ou composé, un Chinois de Pékin, un autre de Chang haï, un autre de Canton feront entendre des sons différents. Ces différences seront souvent telles qu’elles feraient croire un auditeur à l’existence de langues aussi dissemblables que le français, l’anglais ou l’allemand ; de même, en voyant un cheval, un Français dirait cheval, un Anglais horse, un Allemand Pferd. Mais le caractère représentant le cheval sera immédiatement intelligible à nos trois Chinois, qui sont incapables de se comprendre. Il le sera aussi bien à un Coréen, à un Japonais, à un lettré annamite. L’on voit ainsi des originaires de provinces différentes tracer sur le sable ou esquisser sur la paume de la main les traits du caractère qu’ils prononcent diffé­remment. Les gens cultivés, cependant, et les fonc­tionnaires comprennent presque tous le dialecte de Pékin, appelé kouan houa ou langage officiel. On p.72 n’insistera jamais trop sur ce caractère universel de la langue écrite. Notons d’abord que c’est une langue littéraire, c’est à dire réservée à l’expression de la littérature et à ce titre très différente de la langue parlée. Celle ci peut s’écrire, sans doute, et s’écrit effectivement. C’est le po houa, « langage blanc », vul­gaire, dans lequel ont été rédigés d’innombrables romans et pièces de théâtre, genres regardés comme littérairement inférieurs. Mais la poésie, la littérature historique, philosophique, religieuse, administrative, en bref tous les genres élevés, n’ont jamais comporté comme mode d’expression que la langue littéraire, c’est à dire classique. Or, cette langue est une création plus ou moins artificielle de lettrés, datant de l’époque où ceux ci ont commencé de reconstituer ou de forger les œuvres de l’École confucéenne. C’est à dire qu’elle dure depuis dix ou douze siècles et qu’en dépit de son évolution stylistique, elle a gardé une extraordinaire unité. Tout Chinois cultivé l’apprend dès son plus jeune âge, et il est ainsi en mesure de lire sans difficulté douze siècles de la littérature de son pays. Tandis que chez les peuples où la langue écrite suit l’évolution du langage parlé, des œuvres vieilles seulement de trois ou quatre siècles sont inintelligibles à la masse. Il n’y a qu’un nombre restreint de Français capables de lire Villon ou Rabelais avec la même aisance qu’un texte contemporain. Le moindre lettré chinois lit sans difficulté des œuvres datées d’avant J. C., et il écrit lui-même dans un style qui est à peu de chose près celui de ces œuvres. Comme le remarque M. Karlgren, l’amour des Chinois pour l’ancienne culture de leur pays et l’étonnante connaissance qu’ils en possèdent sont largement dus à la nature particulière de leur langue littéraire.

On ignore comment se prononçaient les caractères p.73 dans ces textes très anciens. Les remarquables tra­vaux de Karlgren permettent seulement de déterminer la prononciation du chinois à partir du VIe siècle de notre ère. Mais dans la langue dépouillée des Clas­siques, on peut supposer que les sons étaient suffi­samment variés pour éviter un trop grand nombre d’homophones. Aujourd’hui, si un Chinois lit tout haut un texte classique devant une autre personne, celle ci ne comprend pas, même si elle parle le même dialecte que le récitant. La langue littéraire, étant exclusivement écrite, n’a pas besoin de ces divers procédés que j’ai indiqués pour éviter les homophones dans la langue parlée. Les caractères se distinguent suffisamment par la disposition de leurs traits, ce qui permet à la langue d’être beaucoup plus constamment monosyllabique, à chaque caractère pris isolément d’avoir un sens plein, rendant inutile ou du moins plus rare l’emploi des mots composés. Pour se faire comprendre de ses auditeurs, le lecteur est obligé de paraphraser son texte en langage parlé.



L’origine des caractères n’est pas mieux connue historiquement que celle des Chinois eux mêmes. A travers les récits légendaires qui inaugurent les annales de la Chine, on dégage une hypothèse faisant remon­ter l’invention des signes au milieu du troisième millé­naire. En fait, des formes archaïques des caractères actuels ont été relevées sur des bronzes qui datent probablement de cette époque reculée. Et la décou­verte faite il y a quelques années dans le Ho nan d’os et de fragments de carapaces de tortues portant des inscriptions gravées avec un stylet a permis d’affirmer avec beaucoup de vraisemblance l’existence d’une écriture définie dès le temps de la dynastie Chang-­Yin, c’est à dire, selon la chronologie « courte », entre 1558 et 1051 av. J. C. Cette écriture a subi p.74 d’importantes modifications au cours des âges, par suite, entre autres raisons, des changements apportés à l’instru­ment utilisé pour tracer les signes. Sous leur forme actuelle, les caractères, tracés avec un pinceau, sont composés de traits qui s’écrivent selon un certain ordre, et dont le nombre varie de un à trente ou plus. Ils se divisent en trois classes : les « images », siang, qui sché­matisent le dessin de l’objet représenté, à la manière des hiéroglyphes égyptiens ; les « symboles », tche che, donnant une représentation effective de l’idée par l’em­ploi d’un symbole matériel ; enfin les hing cheng, ou caractères idéo phonétiques. Les deux premières caté­gories renferment les caractères les plus anciens et les moins nombreux. La troisième, plus récente, contient la plus grande masse des caractères et peut théorique­ment s’accroître, car la formation des signes de cette classe, utilisés pour exprimer des idées abstraites, repose sur un principe simple. Ce genre de caractères se compose en effet de deux parties, dont l’une est une « clé » qui, représentant elle même le dessin d’un objet ou le symbole matériel d’une idée, confère au groupe des caractères dans lesquels elle entre en com­position une signification générale ; tandis que l’autre partie du caractère ainsi formé est un élément phoné­tique qui lui donne sa prononciation, ou du moins la prononciation attribuée à cet élément dans le dialecte dont se sert le lecteur. Par exemple, le bois est repré­senté par un dessin schématique, un siang, figurant un arbre. Ce dessin joue le rôle de clé, et entre dans la composition de la plupart des caractères exprimant une action ou une idée qui évoque, plus ou moins directement, l’image du bois ou de l’arbre : tels les caractères pour raboter, scier, bûcheron, etc. L’eau est de même représentée par un autre siang et joue le rôle de clé dans un grand nombre de caractères en p.75 relation avec l’idée d’eau : naviguer, rivage, fleuve, bain, humidité, etc., soit environ un millier de carac­tères dans lesquels figure « la clé de l’eau ». C’est par un tel procédé qu’ont été composés la presque totalité des caractères, en fait à peu près les neuf dixièmes.

A diverses reprises, le nombre des clés a subi des modifications. L’un des premiers dictionnaires, celui de Hiu Chen, le Chouo wen, composé vers 100 ap. J. C., en compte 540. Le K’ang hi tseu tien, dictionnaire préparé par ordre et sous le contrôle de l’empereur K’ang hi et terminé en 1716, contient 40 000 carac­tères rangés sous 214 clés ou radicaux. Ce dernier chiffre est resté depuis en usage et il est adopté par tous les dictionnaires sino européens. Il existe du reste d’autres classifications des caractères, entre autres une classification phonique, par rimes, dont il serait trop compliqué d’exposer ici le mécanisme, et qui a été utilisée pour le plus volumineux des dictionnaires chinois, le P’ei wen yun fou, également composé sous K’ang hi. Enfin, de nombreux dictionnaires chinois et sino européens sont basés sur une classification par sons. Les Chinois sont passés maîtres depuis des siècles dans l’art de classer et d’analyser les caractères. Ils possédaient, dès le temps des Han, des philologues très savants. Sous toutes les dynasties, des travaux d’une prodigieuse érudition ont été produits dans ce domaine. Mais il faut noter que, sur les 40 000 carac­tères du K’ang hi tseu tien, on n’en compte guère plus de 4 000 d’un usage courant. Si l’on ajoute à ce chiffre celui d’environ 2 000 affectés à des noms pro­pres ou à des termes rares, on pourra en conclure que si la connaissance de la langue écrite ne dépendait que de celle des caractères, son étude ne représente­rait pas un effort excessif. La question :  Combien connaissez vous de caractères ? » est celle que l’on p.76 pose couramment à quiconque apprend le chinois. Elle n’a guère de signification. En effet, la plupart des caractères ont plusieurs sens différents, parfois très nombreux, de sorte que pour comprendre une phrase, il faut d’abord savoir le sens que peut y prendre un caractère déterminé. Or, cela dépend de l’auteur, du style et surtout du « genre » littéraire auxquels on a affaire. Un même caractère n’aura pas un sens uni­forme suivant qu’on le rencontrera dans une poésie, dans une dissertation classique, chez tel ou tel philo­sophe, dans un édit impérial, dans un traité sur le bouddhisme. De plus, la structure des phrases, influen­cée profondément par la nature monosyllabique de la langue, est en chinois tout à fait différente de ce qu’elle est dans les langues indo européennes. Il n’existe ni déclinaisons, ni conjugaisons. Les caractères ne correspondent pas à des « parties du discours » formelles, mais peuvent jouer indifféremment le rôle d’un sujet, d’un verbe ou d’un attribut. Les inflexions nécessaires sont surtout fournies par l’emploi de termes jouant le rôle d’auxiliaires et servant à exprimer des temps, des genres, des relations. On a cependant supposé et partiellement démontré que le chinois était à l’ori­gine une langue flexionnelle. Dans ces conditions, on peut se demander de quelle manière il est possible d’écrire clairement et de se faire comprendre en chi­nois ? La principale ressource est de placer les mots dans l’ordre grammatical le plus logique et le moins équivoque. Il existe pour ce faire un petit nombre de principes dont la possession est indispensable pour la construction d’une phrase. Mais d’autres difficultés subsistent, qu’on ne peut écarter que par la connais­sance d’un grand nombre de règles, d’artifices, ou dont on ne peut se rendre maître que par une large culture générale chinoise. A titre d’exemples, je p.77 rappellerai que les textes ne sont pas normalement ponc­tués. La ponctuation est remplacée par le rythme de la phrase, par des particules, des hiu tseu, « carac­tères vides ». Rien ne distingue les caractères des noms propres de ceux des noms communs. Enfin, le style littéraire est farci de citations, d’allusions, de méta­phores, d’hyperboles, de jeux d’esprit, à un degré difficile à imaginer. Les lettrés ont à leur disposition un trésor monumental de citations classiques et d’allu­sions historiques et, lorsqu’ils en abusent, ce qui, du moins à une certaine époque, était regardé comme le comble de l’art, la traduction de quelques lignes exige des pages de commentaires. Il existe même de vastes répertoires d’allusions et de citations. Finale­ment, si l’on veut espérer vaincre tant de difficultés accumulées — parmi lesquelles la connaissance des caractères est, comme on le voit, secondaire, — il faut, non seulement des années d’études et de pratique, mais encore une faculté d’intuition, un sixième sens, une sorte de don de divination permettant de découvrir dans une phrase ce que l’analyse technique la plus complète et la plus précise laisse dans l’indéterminé. Et ceci est vrai pour les Chinois eux mêmes.

On ne dira rien ici des langues aborigènes parlées en Chine, telles que celles des Yao, des Lolo, des Miao, des Hakka, non plus que des autres langues employées dans les territoires extérieurs. On rappellera seule­ment que le mongol est une langue alphabétique appa­rentée à l’arabe, que le mandchou possède un alphabet adapté de l’alphabet mongol, que le turc est parlé dans le Sin kiang occidental, et que le tibétain est une adaptation du sanscrit. Mais dans tous ces pays, sur l’immense surface de la terre chinoise, le chinois litté­raire demeure le mode d’expression universel de tous les hommes cultivés.

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