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LA CHINE

et sa civilisation

première partie de

La Chine, passé et présent
par

Jean ESCARRA (1885-1955)


1937

Un document produit en version numérique par Pierre Palpant,

collaborateur bénévole

Courriel : ppalpant@uqac.ca


Dans le cadre de la collection : "Les classiques des sciences sociales"
dirigée et fondée par Jean-Marie Tremblay,
professeur de sociologie au Cégep de Chicoutimi

Site web : http ://classiques.uqac.ca/

Une collection développée en collaboration avec la Bibliothèque

Paul-Émile-Boulet de l’Université du Québec à Chicoutimi

Site web : http ://bibliotheque.uqac.ca/

Un document produit en version numérique par Pierre Palpant, collaborateur bénévole,

Courriel : ppalpant@uqac.ca

à partir de :

LA CHINE et sa civilisation,

première partie de : La Chine, passé et présent

par JEAN ESCARRA (1885-1955)
Librairie Armand Colin, Paris, 1937, pages 1-53 et 59-144, des 208 pages de l’ouvrage.

Police de caractères utilisée : Times, 10 et 12 points.

Mise en page sur papier format Lettre (US letter), 8.5’x11’’
Édition complétée le Ier mars 2006 à Chicoutimi, Québec.
NOTE CSS

Pourquoi présenter seulement la première partie de l’ouvrage de Jean Escarra, alors que l’auteur justifie dans son introduction le balancement de son plan par l’antagonisme entre les forces du passé et l’appel du présent ?

C’est qu’aux Classiques, nous cherchons à n’évoquer dans la collection ‘Chine ancienne’, en tout cas pour les faits politiques, que des faits se situant avant le 12 février 1912, date de la chute de l’Empire et de la proclamation de la République. Or, la seconde partie de ‘La Chine, passé et présent’ décrit la reconstruction politique et technique de la Chine après 1911, et le rajustement des relations sino-étrangères, évènements évidemment fort importants, mais qui dépasseraient les limites fixées.

Fallait-il dès lors ne pas présenter le livre ? Nous avons préféré, compte tenu de sa qualité, le présenter en le coupant en ses trois-quarts plutôt que de ne pas l’éditer.

T A B L E D E S M A T I È R E S
Avant Propos. — Introduction.
CHAPITRE PREMIER. — La sinologie. — Ses mé­thodes.
CHAPITRE II. — Données géographiques.

Le nom. — Limites. — Superficie. — Population. — Divisions naturelles. — Orographie. — Hydrographie. — Climat.


CHAPITRE III. — Résumé historique.

Les temps légendaires. — Les trois dynasties royales. — Les hégémonies et les « Royaumes combattants ». — La dynastie Ts’in (221-­207). — Les Han (202 av. J. C. 220 ap. J. C.). — Les « Trois Royaumes ». — La dynastie Tsin (265 313). — Les inva­sions barbares du IVe siècle. — Les Souei (589 619) et les T’ang (620 907). — Les « Cinq Dynasties » (907 960). — Les Song (960 1280). — La dynastie mongole des Yuan (1280 1368). — La dynastie chinoise des Ming (1368 1644). — La dynastie mand­choue des Ts’ing (1644 1911).


CHAPITRE IV. — La civilisation chinoise

Les origines.

Le peuple : Caractères physiques. — Caractères mo­raux.

La langue : La langue parlée. — La langue écrite.

La société : La famille, le gouvernement, la condition économique : l’agri­culture, l’artisanat, le com­merce.

La vie religieuse et la pensée philosophique :

A. — La vie religieuse : Aspects de la vie religieuse. — La religion primitive. Le confucéisme. — Le taoïsme. — Le bouddhisme. — Le « positivisme supersti­tieux ».

B. — La pensée philosophique : Les ori­gines. — Confucius (551 479). — La philosophie taoïste. — Mö tseu. — Les Légistes.

Littérature. Arts. Sciences :

A. — Littérature : Classiques. — Histoire. — Philosophie. — Litté­rature générale.

B. — Arts : Bronze. — Sculpture. — Peinture. — Céramique.

C. — Sciences.



CartesBibliographie.

AVANT PROPOS



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p.5 Au moment d’écrire ce livre, il me plaît d’évoquer, parmi les images de Chine qui se lèvent dans ma mémoire, celle que je tiens pour la plus riche de signification. C’est l’image de Pékin, Ville Éternelle de l’Asie, telle qu’elle m’apparut un matin d’automne, alors que des­cendait du Ciel, sur les toits d’or de la Cité Impériale, une spiritualité hors de l’atteinte des sens et qu’au delà des murailles et des portes, les yeux vaincus par la lumière s’égaraient sur l’étendue solennelle des grandes plaines jaunes, — ces plaines que l’on m’a appris à aimer. C’est à cette heure, précieuse entre mes souvenirs, que je dois une révélation de la Chine que ne m’ont point apportée des années d’étude. Mais quand on a cru sai­sir le secret de la Terre des Han, une contrainte mysté­rieuse s’oppose à sa communication. La connaissance de ce pays échappe à l’appropriation collective, elle n’est faite que d’illuminations individuelles et impartageables.

Des milliers de livres et d’articles ont été écrits sur la Chine. A s’en tenir à ceux qui s’adressent au grand public, il en est peu que l’on puisse recommander sans réserves. Nombreux sont les auteurs de mauvaise foi. Dans la presse, où l’homme de la rue cherche sa vision du monde, on trouve en abondance des reportages sur Chang haï, ses dancings, ses fumeries d’opium, ses étu­diantes révolutionnaires, ses aventuriers internationaux. Sans doute est ce là toute la Chine...

p.6 Les raisons ne manquent pas de regarder la connais­sance de l’Est comme indispensable à tout esprit cultivé. La question d’Extrême Orient, — le problème du Paci­fique — sera un jour pour le monde aussi lourde d’an­goisses que la question d’Orient. Autour de la Chine, centre du problème, gravitent depuis un siècle des luttes d’influence politique et commerciale qui risquent de se transformer en conflagration universelle. La France, on l’oublie souvent, est une Puissance du Pacifique. Et l’accession de la Chine au statut d’un grand État moderne est un événement inéluctable, quelles que soient les modalités de sa réalisation, si lointaine qu’en soit l’échéance. Incalculables en seront les répercussions. Les problèmes plus immédiats qui nous sollicitent ne doivent pas détourner notre attention de ceux qui se posent et s’aggravent chaque jour en Asie.

C’est pour répondre à ces préoccupations que ce livre a été écrit. Ce n’est pas une affectation de modestie qui me fait tenir mes qualifications pour fort minces. Le sujet est d’une telle ampleur, la place m’est si mesurée, qu’entreprendre ce travail m’apparaît une gageure. Gens et choses de Chine recèlent une si grande richesse de paradoxes que dix auteurs peuvent être également sin­cères en soutenant dix thèses contraires — et d’ailleurs toutes exactes. On me reprochera des lacunes, un excès de concision. Je souscris d’avance à ces critiques.

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INTRODUCTION



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p.7 On est dans l’usage de traiter de la Chine ancienne et de la Chine moderne comme de deux entités dis­tinctes. Le passé est abandonné aux sinologues, le présent réservé aux publicistes. La civilisation chi­noise est décrite comme ayant achevé son évolution vers les débuts de l’ère chrétienne, puis demeurée dans un état de stagnation. On fait dater la Chine moderne de la Révolution de 1911, qui a renversé la dynastie des Ts’ing. Sur la foi des apparences, on est prompt à affirmer que ce quart de siècle a suffi pour édifier une nation nouvelle, détachée de son passé.

Ces vues sont erronées. La civilisation chinoise, de ses origines à nos jours, forme un bloc. Elle renferme une somme immense et continue d’expérience humaine. Elle est, a t on dit, « la plus massive et la plus durable des civilisations connues ». La Chine existait au temps de Babylone, de l’Assyrie, peut être de l’Égypte des Pharaons. Elle a survécu à ces empires. Son évolution a connu un long temps d’arrêt, mais il est inexact de parler de stagnation. Non seulement la Chine a éprouvé de puissants sursauts d’évolution interne, mais elle a subi, à toutes les époques, de notables influences étrangères. La Révolution de 1911 n’a pas créé une p.8 nation nouvelle. Elle a été le point de départ d’une de ces périodes d’anarchie qui, tout au long de l’his­toire, reviennent selon un rythme régulier. Ce n’est pas à un changement de régime politique qu’est dû l’apport, incontestable, d’éléments neufs au fonds tra­ditionnel. Celui-ci demeure, en grande partie, intact, et c’est dans cette permanence que réside un des traits de la civilisation chinoise. Dans presque tous les domai­nes, la Chine, c’est le passé vivant. Il existe chez le peuple de ce pays un irrésistible penchant à regarder en arrière, à recréer, sous des étiquettes neuves, d’an­tiques mouvements d’idées, à qualifier de changement ce qui n’est que réinvention ou renaissance, à légaliser les attitudes de ses chefs en leur cherchant des précé­dents. Ce sont des philosophes chinois qui ont préco­nisé une méthode de gouvernement par l’histoire.

Si puissante que soit cette solidarité du présent avec le passé, c’est un fait qu’elle tend aujourd’hui à se rompre. Cette rupture, probablement plus violente qu’à d’autres époques, est un trait de la Chine contem­poraine, non un phénomène nouveau. Là encore, dans cette lutte entre l’ordre traditionnel et l’ordre neuf, il y a un rythme qu’il faut percevoir. Les réformateurs du Kouo min tang ne s’expriment pas autrement que les légistes de Ts’in Che houang ti, ou que Wang Ngan-­che, des Song. Eux aussi s’en allaient proclamant que leur pays était alourdi par le poids de ses traditions et qu’il était urgent de l’en affranchir. Dans les essais actuels de transformation, il ne faut pas voir que des manifestations d’anarchie, de chaos, mais la condition d’une nation qui cherche sa voie. Quête pleine d’em­bûches et de contradictions.

Ce qui — peut être — est un trait nouveau de l’évo­lution contemporaine de la Chine, c’est que, civilisation à demi-statique, elle subit, de plus en plus violente, p.9 la pression des nations dynamiques qui l’entourent. On a dit que l’extrême lenteur des modifications de cette civilisation provenait de l’isolement géographique. du pays. Pourtant le bouddhisme, religion étrangère, a eu les effets d’une révolution. Il ne s’agissait là que de croyances véhiculées par des moines pacifiques. Tandis qu’un siècle a suffi pour effacer les traces de la conquête mongole qui fit de la Chine une province de l’empire fondé par Gengis khan. Mais les Mongols apportaient peu de chose à la Chine. Ils ne pouvaient échapper à la « sinisation ». L’histoire enseigne que les conquérants barbares subissent le joug civilisateur des vaincus. Le bouddhisme n’était pas entré en Chine par la force des armes. Il représentait une forme de civilisation aussi élevée que la civilisation chinoise. Celle ci fut ébranlée, mais le fonds traditionnel devait reparaître immuable.

Depuis un siècle, les « Barbares » se pressent de nou­veau aux portes de la Chine et même, en maints endroits, ont violé son territoire. Mais, avec leur force maté­rielle, ils apportent aussi des idées, des conceptions. sociales et politiques qui ont révélé leur efficacité, sur la base desquelles se sont édifiées de fortes civilisations. L’Orient et l’Occident sont aux prises, et c’est cette lutte qui trouve aujourd’hui, dans le problème chi­nois, sa plus dramatique manifestation.

Les uns disent : la Chine, depuis qu’elle est en con­tact avec les Puissances européennes, a pu apprendre, à ses dépens, ce que lui coûtait son infériorité maté­rielle. Elle a fait la même expérience avec le Japon, puissance extrême orientale, mais qui, en l’espace d’une génération, s’est assimilé les techniques occidentales. Qu’elle suive l’exemple du Japon et adopte les pro­grès matériels apportés par les étrangers, tout en pré­servant sa condition spirituelle. — Les autres p.10 répondent : conciliation impossible. Il n’est pas permis, dans les institutions d’un peuple, de séparer les données morales des éléments matériels. La Chine ne doit pas seulement importer de l’étranger ses techniques, elle doit lui emprunter des idées, des croyances, des régimes politiques. La supériorité de l’Orient sur l’Occident dans le domaine spirituel n’est pas démontrée. La preuve est faite, en revanche, que la lenteur de mouvement de la civilisation chinoise est une cause de faiblesse. Le salut de la Chine est dans une rupture avec le passé. — Rupture impossible. Une nation, le voudrait elle, ne jette pas son passé par dessus bord. Ce sont les vertus éminentes de sa civilisation qui ont permis à la Chine de traverser les siècles en résistant aux forces de décomposition. Elle se doit de préserver ces vertus. Et s’il faut évoluer, elle est assez riche d’expériences pour trouver en elle même les éléments nécessaires. Ses penseurs, ses hommes d’État, au cours des âges, ont suggéré ou tenté toutes les formules concevables. Il n’est que de choisir.

Ceux qui reprochent à la Chine d’être incapable de « mettre sa maison en ordre », — plus d’un s’emploie à l’en empêcher, — ne se représentent pas l’ampleur des problèmes à résoudre. — A l’intérieur, c’est la recherche des meilleures formules constitutionnelles qui a d’abord retenu l’attention des dirigeants. Le pouvoir impérial, dont le principe faisait corps avec les bases mêmes de la civilisation, a disparu en 1911, sans qu’on ait su alors ce qu’on allait mettre à sa place. L’expérience d’un pseudo régime parlementaire a été simplement grotesque. Les pouvoirs illimités des gou­verneurs militaires des provinces leur ont permis de poursuivre la réalisation de leurs ambitions personnelles, au mépris de l’intérêt général. Entre 1912 et 1928, la Chine a traversé une période d’anarchie totale. Mais p.11 les conséquences d’un tel état de choses ne sauraient être jugées par comparaison avec les pays d’Occident. Le régime politique, le gouvernement, en Chine, cela n’a jamais eu grande importance. Ce qui compte, ce sont les vertus de la civilisation. Celles là demeuraient intactes.

Le problème constitutionnel apparaissait négligeable en face des problèmes sociaux et économiques. Il fal­lait envisager une politique démographique et par là remettre en question le dogme millénaire de la pro­création incontrôlée. Il fallait étudier les moyens d’éli­miner les défauts de la mentalité de clan et du régime familial, sans bouleverser des institutions enracinées dans les mœurs et qui fournissaient à la nation son armature la plus solide. La misère des paysans, c’est­-à dire des huit dixièmes de la population, appelait d’urgentes réformes dans les techniques agricoles et la politique agraire. L’équipement industriel du pays, rudimentaire, faisait surgir d’autres problèmes. Et cette œuvre de reconstruction intérieure avait pour théâtre un territoire à peu près aussi étendu que l’Eu­rope entière.

Depuis 1928, un parti politique, le Kouo min tang, dépositaire des conceptions du Président Sun Yat­-sen, s’est attelé à cette œuvre. Quelqu’appréciation que l’on veuille porter sur ces conceptions et les résul­tats obtenus, c’est un fait que l’anarchie est en régres­sion. Un gouvernement central, plus stable que ceux qui avaient suivi la chute des Ts’ing, fonctionne à Nankin. Les guerres entre chefs militaires sont rares. Les luttes les plus sérieuses sont celles qui se déroulent entre le gouvernement et les communistes. L’autorité des dirigeants, si elle est loin d’être indiscutée sur l’en­semble du territoire, s’accroît pourtant d’une manière constante. L’unification a réalisé des progrès dans de p.12 nombreux domaines. Le travail de reconstruction a été poussé avec une grande activité. Les résultats obtenus sont tangibles. Partout se manifeste un goût de l’effort, une volonté de réussir, un désir de mieux faire, qui contrastent avec la routine et la passivité des anciennes générations. Mais la tâche est compro­mise par la fragilité du sentiment national, la rivalité des factions, les divisions au sein du parti Kouo min, la menace communiste, qu’il ne faut pas exagérer.

Les difficultés extérieures ne sont pas moindres. Elles constituent un sérieux obstacle à la réorganisation du pays par ses propres moyens. En travaillant depuis un siècle à affaiblir la Chine pour des fins mercantiles ou d’un impérialisme discutable, les Puissances occi­dentales ont, en fin de compte, travaillé pour le Japon. C’est avec lui que la Chine demeure en tête à tête. Le Japon dispose à présent d’une puissante organisa­tion matérielle et la Chine a la fragilité d’un être qui mue. La tentation est grande, pour l’État fort, à visées dynamiques, d’absorber l’État faible, tandis qu’il en est temps encore. Cette absorption est l’un des articles du programme japonais de panasiatisme. Affirmer, comme le fait le Japon par la bouche de ses hommes d’État et de ses diplomates, qu’il désire « une Chine unie et forte » est en contradiction absolue avec les faits. Une Chine unie et forte signifierait l’expulsion du Japon du continent asiatique et la ruine de sa poli­tique mégalomane. Aussi le Japon s’efforce t il de contrarier l’œuvre de reconstruction entreprise par la Chine ; il s’obstine à détruire les résultats déjà obte­nus ; il s’oppose à toute volonté ferme d’unification de la part des dirigeants ; il combat toute réforme susceptible d’améliorer l’économie ; il lutte contre les appuis extérieurs offerts à la Chine, même les moins suspects, pour faciliter cette amélioration.



p.13 Ces faits exercent une influence majeure sur les modalités de l’évolution chinoise. La question est de savoir si celle ci se poursuivra librement, sur un plan spécifiquement national, ou si elle recevra son impul­sion du Japon, pour le seul profit de ce pays, et à l’abri de toute réaction étrangère. Même en Chine, il est des hommes qui ne rejettent pas cette deuxième solu­tion, la jugeant en fin de compte salutaire pour leur pays. Il en est d’autres qui la croient inévitable, cher­chant seulement à la rendre moins douloureuse. L’in­connue réside dans la puissance d’assimilation, par la Chine, de ceux qui viendraient à lui imposer pour un temps leur domination. Verrait on, une fois de plus, la « sinisation » des Barbares ? Mais le problème demeure posé dans les mêmes termes. Il est celui du conflit entre deux formes de civilisation. Plus précisément, pour la Chine, il est celui de la transformation d’une civilisation en nation. L’antagonisme entre les forces du passé et l’appel du présent, la révision des valeurs traditionnelles, tels sont les thèmes de ce livre. Telle est aussi la justification de son plan.

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CHAPITRE PREMIER

LA SINOLOGIE. — SES MÉTHODES

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p.15 Les premiers faits contrôlés n’apparaissent guère avant le Xe siècle avant J. C. Les documents sur les­quels on peut faire fond sont plus tardifs encore. Et cependant les Chinois font remonter leur histoire authentique vingt siècles plus haut. Les auteurs ortho­doxes enseignent que la civilisation aurait été forgée de toutes pièces, au cours d’un âge d’or où de sages souverains auraient fixé à jamais les règles de la vie sociale, les techniques, les principes de l’administra­tion. Cette thèse, proclamée par l’École confucéenne, deviendra un article de foi pour les lettrés. Elle gou­vernera l’histoire entière. A toutes les époques, les conseillers des princes leur ont donné en exemple « les anciens souverains ». Ainsi s’est constituée une p.16 tradition stéréotypée qui, à côté ou en dehors des faits, est demeurée longtemps la base des études sinologiques.

Le problème qui se pose est de retrouver la filiation des événements, la succession véridique des faits sociaux, sans que vienne s’interposer, entre nos investigations et la réalité, l’écran de cette tradition. Mais cette tâche, réalisable parfois dans le cas de civilisations plus vieilles même que la civilisation chinoise est, au regard de celle ci, pleine d’aléa.

Pour les plus anciens textes, la difficulté de leur utilisation tient à des particularités de la langue et de la littérature qui seront indiquées plus loin. Au sujet de la langue, il suffit de dire ici que les ressources de la philologie et de la stylistique sont restreintes. Quant à la littérature : « Comment utiliser le principe de l’unité de style pour une littérature dont les œuvres les plus personnelles sont une marqueterie continue 1 ? »

Les faits ne peuvent être établis avec certitude, dans le passé, que par des textes dont la date est contrôlable, des procédés de recoupement, des fouilles. On a pu utiliser ainsi des manuscrits trouvés dans une tombe identifiée, dans une chambre murée à une date connue, des écrits relatant des observations astrono­miques vérifiées. Des écailles de tortues, des os, des bronzes couverts d’inscriptions ont même permis de confirmer des traditions qu’on ne connaissait que sous un aspect légendaire. Mais bien minces sont encore les résultats obtenus par ces méthodes.

En face de la sinologie orthodoxe, réduite aux plus médiocres techniques de contrôle et qui accepte toutes p.17 les fables, la sinologie critique entreprend de remettre tout en question. Elle voit dans nombre de productions de la littérature confucéenne des fabrications posté­rieures de plusieurs siècles à l’époque à laquelle vivaient leurs auteurs supposés 1. Le travail est aujourd’hui si poussé que M. Granet a pu écrire : « Si on laisse faire les Chinois et les Sinologues, de toute la littérature ancienne il ne restera bientôt rien qui semble possé­der quelque valeur documentaire. » Les conclusions de la sinologie critique sont les suivantes. La Chine confucéenne n’existait peut être pas au temps de Confucius. Elle n’est probablement que la projection dans le passé des conceptions politiques et sociales de philosophes de la période des Han ou des Six Dynas­ties. L’histoire de la Chine ancienne, surtout en ce qui touche les faits sociaux, se compose à peu près exclu­sivement de « légendes historisées ». Ces légendes, éla­borées en vue d’un « aménagement orthodoxe » de l’histoire, sont reproduites à l’infini par la littérature de toutes les époques.

Les initiateurs de la sinologie occidentale furent des Jésuites français installés comme missionnaires à Pékin au XVIIIe siècle. Entre 1735 et 1814, ils publiè­rent en France des travaux conçus selon la tradition orthodoxe, fruit d’un effort immense, et somme des connaissances sinologiques d’une époque : Description, du P. du Halde, Histoire générale, du P. de Mailla, p.18 Mémoires concernant l’histoire... des Chinois, Lettres édifiantes et curieuses 2.

En Chine même, l’érudition critique, qui n’avait jamais été absente, était entrée sérieusement en scène au début du XVIIIe siècle. Les commentaires orthodoxes des Classiques formaient des bibliothèques, mais la tradition était discutée dans des livres retentissants. C’est à partir du moment où la sinologie occidentale, surtout en France, connaît les résultats de ces recher­ches, qu’une étape importante sera marquée vers une compréhension plus objective de la Chine. Au début du XIXe siècle brillent les noms de Rémusat et de Stanislas Julien. Plus tard, Legge illustrera la sino­logie anglaise par sa traduction des Classiques (1e éd., 1861 1872). Mais, de nos jours, c’est Éd. Chavannes qui, en utilisant toutes les ressources de l’érudition chinoise et en les soumettant à la critique la plus péné­trante, a créé la sinologie moderne. Sa traduction des Mémoires historiques de Se ma Ts’ien, dont cinq volumes seulement ont paru (1895 1905), est un ouvrage capital où sont abordés tous les problèmes que pose l’antiquité chinoise. Avec H. Cordier, qui s’est attaché surtout à inventorier, à publier et à mettre en œuvre les sources européennes relatives à la Chine, Chavannes a formé l’école française contemporaine, et bon nombre des représentants les plus marquants de la sinologie étran­gère. En collaboration avec lui, Sylvain Lévi a renou­velé la science des études bouddhiques chinoises. Aujour­d’hui, la prodigieuse érudition d’un Pelliot projette sur la sinologie française un éclat exceptionnel, tandis que l’œuvre considérable déjà et très variée de M. H. Maspero est fondée sur une analyse critique très poussée p.19 des données traditionnelles 1. Cette attitude critique est désormais adoptée par tous ceux qui, en Chine, au Japon, en Occident, travaillent sur le passé chinois. Elle s’accompagne d’une utilisation de plus en plus complète des résultats fournis par des disciplines paral­lèles : philologie, archéologie, ethnographie, etc.

Depuis quelques années, une nouvelle méthode a été préconisée, qui consiste à substituer, à la science des philologues, l’analyse sociologique, tenant compte d’abord de l’histoire des institutions et des croyances. M. Granet, l’initiateur de cette méthode, en a formulé les principes et donné des applications dans d’impor­tants ouvrages : Fêtes et chansons anciennes de la Chine (1919), Danses et légendes de la Chine ancienne (1926) et, plus accessibles aux non spécialistes, La civilisa­tion chinoise (1929), La pensée chinoise (1934). Dans les deux premiers, M. Granet, sans s’attarder aux difficultés que laisse subsister la seule critique des œuvres, cherche à dégager les faits sociaux qu’elles font apparaître. Soumettant ces faits à l’analyse socio­logique, il entreprend de reconstituer l’histoire des institutions. On peut estimer que cette technique apporte un précieux appoint à la méthode tradition­nelle, surtout pour l’étude du droit chinois ancien, encore fort mal connu.




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CHAPITRE II

DONNÉES GÉOGRAPHIQUES



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p.20 Le nom. — Le mot « Chine » est une appellation étrangère dont l’origine n’est pas connue. D’après l’opinion commune, c’est le nom de la dynastie Ts’in, au IIIe siècle av. J. C., qui aurait donné naissance au nom « Chine » chez certains peuples étrangers. Cette thèse a été contestée avec de bons arguments. Pour les Chinois, la Chine, c’est ce qui s’étend « sous le Ciel », T’ien hia ; c’est le centre du monde, Tchong kouo, l’« Empire du Milieu » ; c’est aussi le « Royaume Fleuri », Houa kouo (houa a encore le sens de : glorieux, splen­dide). Le nom officiel actuel : Tchong houa min kouo, signifie à peu près : République fleurie centrale.

Les Chinois se désignent eux mêmes sous les noms de Han jen, « hommes de Han », du nom d’une de leurs plus glorieuses dynasties, ou de Tchong kouo jen ou Tchong jen, « hommes de l’Empire du Milieu ». L’appel­lation : Célestes, familière aux étrangers, n’a aucun sens. L’empereur seul portait le titre de T’ien tseu : Fils du Ciel.


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