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Buridan le héros de la Tour de Nesle Beq michel Zévaco Buridan le héros de la Tour de Nesle


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Le père de Myrtille


Les ombres du soir enveloppaient la Courtille-aux-Roses. Aux environs, tout était solitude et silence. Dans la nuit tombante, la masse confuse du Temple apparaissait plus redoutable et sa silhouette semblait figurer quelque monstre à l’affût.

Accoudée à l’appui d’une fenêtre, Myrtille, le cœur battant, examinait la route par où devait arriver son père ; mais parfois, malgré elle, ses yeux se levaient sur la sombre forteresse, et alors elle frissonnait.

« Gillonne, murmura-t-elle, il faudra que mon père cherche un autre logis, la vue de ce manoir me glace d’effroi...

– Des idées de petite fille ! dit Gillonne en grimaçant un sourire. Pourtant, vous ne devriez avoir aucune inquiétude. N’avez-vous pas su, tout à l’heure, que non seulement votre cher Buridan est hors de tout péril, mais encore qu’il a sauvé la reine... ce qui lui vaudra quelque magnifique récompense du roi ?

– C’est vrai ! fit Myrtille, pensive. Il a sauvé la reine !... Gillonne... est-il vrai que la reine... soit aussi belle qu’on le dit ?

– Si belle que tous les seigneurs de la cour, et même beaucoup de bourgeois par la ville, en sont épris à se damner. Mais la reine est plus sage encore que belle. Et puis, qui donc oserait se déclarer amoureux de l’épouse du roi ?

– Cette forteresse me fait peur ! dit Myrtille en refermant le châssis de la fenêtre.

– En effet... vous voici toute pâle... vous avez des larmes plein vos yeux... Allons, que craignez-vous, enfant ? Ne suis-je pas là, moi, pour vous protéger ? Et puis, maître Claude Lescot va arriver...

– Oui... murmura fiévreusement la jeune fille. Et je lui demanderai de m’emmener d’ici dès demain... Jamais le manoir du Temple ne m’a produit pareille impression. Mais, ajouta-t-elle en secouant sa tête charmante, dis-moi, Gillonne, ne penses-tu pas que mon père acceptera Buridan pour mon époux ?...

– Sans doute ! fit la vieille. Où trouverait-on un cavalier plus accompli et de meilleure grâce, et plus brave et plus... mais vous allez savoir à quoi vous en tenir, car voici maître Claude Lescot.

– Enfin ! » s’écria Myrtille.

Et elle courut se jeter dans les bras de son père qui, en effet, venait d’ouvrir la porte et s’avançait rapidement. Il étreignit la jeune fille sur sa poitrine, déposa un long baiser sur son front virginal, et murmura d’une voix tremblante :

« Laisse-moi te voir... toujours aussi jolie ! plus jolie devrais-je dire ?... Chère enfant ! Depuis plus d’un mois que je n’ai pu venir, combien j’ai pensé à toi !... Et toi ? As-tu un peu pensé à ton père ?...

– Mon bon père ! Comment ne penserais-je pas à vous, à qui je dois toutes les joies de ma vie... vous qui êtes toute ma famille... puisque je n’ai point connu ma mère ! »

Un nuage passa sur le front de maître Lescot, mais se remettant aussitôt, il se mit à déposer sur une table des cadeaux qu’il avait apportés, de belles écharpes de soie, des bijoux d’or enrichis de pierreries, que Myrtille contemplait et maniait avec une joie naïve.

Maître Claude Lescot, tout en interrogeant Gillonne, tout en se défaisant de sa toque et de sa cape de riche marchand, contemplait sa fille en souriant, heureux de sa joie.

C’était un homme d’environ quarante-cinq ans, aux traits durs, aux yeux froids, au front soucieux, à la parole rude et brève, habituée, semblait-il, au commandement.

Cette physionomie, dans ses moments de colère, devait être terrible.

Mais à ce moment elle s’estompait, s’adoucissait d’une profonde tendresse qui brillait dans ses yeux noirs enfoncés dans les orbites sous d’épaisses touffes de sourcils.

Une demi-heure se passa en effusions, en questions et réponses ; puis, tandis que Gillonne dressait la table pour le souper, maître Lescot s’assit dans un grand fauteuil, attira sa fille sur ses genoux et la considéra d’un regard profond.

Myrtille tremblait, rougissait, palpitait, pâlissait... Le moment si terrible et si doux de l’aveu était venu !

« Père, commença-t-elle, avec le secret espoir de renvoyer cet aveu au lendemain, resterez-vous au moins quelques jours, cette fois ?

– Non, mon enfant... au contraire, je ne pourrai même pas passer une journée entière près de toi, comme à ma dernière visite... il faut que dès demain matin je sois parti... je passerai seulement la nuit ici, pour respirer pendant quelques heures le même air que toi... quand le sommeil t’aura gagnée, je te regarderai dormir, et ce sera une douce vision que j’emporterai, ange consolateur, de cette misérable existence tourmentée qui est la mienne...

– Ô mon bon père ! Mais pourquoi ne cesseriez-vous pas votre commerce ? Pourquoi tant de tourments, alors que vous pourriez être si heureux ? N’êtes-vous pas assez riche ?...

– Mon commerce périclite, dit maître Lescot d’une voix sombre, tandis que ses yeux noirs lançaient des flammes. Si je me retirais maintenant, ce serait une défaite, une ruine, un aveu d’impuissance, et je ne veux pas !... Malheur ! oh ! malheur à ceux qui m’ont conduit au bord de l’abîme !... je leur montrerai, je leur prouverai... »

Claude Lescot s’interrompit par un geste violent.

Mais presque aussitôt, secouant sa tête comme pour chasser des idées effrayantes, il ramena ses yeux sur sa fille tremblante et se prit à sourire avec une ineffable tendresse.

« Je suis fou, dit-il, fou de te troubler ainsi ! Oublie ce que je viens de dire, ma Myrtille chérie... tout s’arrangera bientôt ; oui, bientôt, je l’espère, je pourrai vivre toujours près de toi... Alors, mon enfant, je veux, oh ! je veux de toutes mes forces que tu sois heureuse... Parmi les plus riches, parmi les meilleurs, parmi les plus nobles même, je te choisirai un époux... ne rougis pas... te voilà en âge d’être mariée... et tiens, je connais un jeune homme qui... »

Myrtille était devenue très pâle.

Elle cacha sa tête sur la poitrine de son père, jeta ses bras autour de son cou, et comme l’aveu, tout d’un coup, montait à ses lèvres, elle balbutia :

« Père, mon bon et digne père, écoutez-moi ! J’ai à vous demander pardon de vous avoir désobéi... »

Maître Lescot se leva brusquement, entraîna Myrtille près du grand flambeau de cire qui brûlait dans une torchère d’argent, écarta rudement les mains dont elle se couvrait le visage, la fixa un instant et, d’une voix basse, gronda :

« Quelqu’un est venu ici !...

– Oui ! fit Myrtille dans un souffle.

– Quelqu’un qui t’a parlé !... Que tu as revu !... qui a profité de mon absence pour t’entretenir !... Quelqu’un que tu aimes !...

– Oui ! » répéta Myrtille.

Maître Lescot baissa la tête, et avec une indicible amertume murmura :

« Cela devait arriver !... Encore un de mes rêves qui s’évanouit !... Mais je ne puis t’en vouloir, Myrtille. Je voulais moi-même te choisir un époux digne de toi... Mais à Dieu ne plaise que je contrarie le vœu de ton cœur. J’aimerais mieux mourir que te voir pleurer par ma faute. Mon rêve, je le brise. La parole que j’ai donnée, je la reprendrai... »

Myrtille éclata en sanglots, car au visage désespéré de son père, à sa parole tremblante, elle comprenait qu’en cette minute il accomplissait un immense sacrifice...

« Mon père, mon cher et vénéré père, dit-elle, que Dieu, la Vierge et les anges vous bénissent pour la preuve d’affection que vous me donnez en ce moment ! Car si je ne pouvais être à celui que mon cœur a choisi, j’en mourrais...

– Oui, je le vois, je le sens, tu aimes à jamais cet inconnu... Eh bien, soit ! dit maître Lescot avec un profond soupir. Et qu’importe, après tout, s’il est digne de toi !

– Certes, mon père ! Et sans vous connaître, il vous aime ! Vous l’aimerez aussi dès que vous l’aurez vu. Il est si bon, tendre, et puis gai comme un enfant... s’il est noble, je ne saurais le dire, mais il porte fièrement l’épée, et il a des pensées dignes du plus fier gentilhomme ! Que de fois il a souhaité vous voir ! Que de fois il vous a cherché ! »

Maître Lescot, peu à peu, devant le bonheur de sa fille, reprenait son sourire de tendresse.

Le sacrifice de ses rêves accompli, il ne songeait plus qu’à la joie de cette enfant adorée.

Et, d’ailleurs, il était bien sûr que Myrtille, avec sa nature fière, délicate, son sens profond de la beauté et de la générosité, ne pouvait pas avoir choisi un homme indigne.

À chacune de ces paroles, il voyait clairement que cet amour profond et absolu était innocent, et que l’inconnu avait respecté la candeur de sa fille... et déjà, dans son cœur, il se mettait à aimer cet inconnu.

Myrtille, délirante de bonheur, le couvrait de caresses et de baisers.

Et maintenant, laissant déborder son amour, elle parlait de l’aimé, le décrivait cent fois, citait ses moindres paroles, racontait comment, pour la première fois, ils s’étaient vus et comment elle l’avait aimé...

« Très bien ! dit enfin maître Lescot avec un sourire radieux, mais cette perle des amoureux, ce phénix, ce gentilhomme enfin, car, d’après tes descriptions, il ne peut être que gentilhomme, et des plus fiers, ton fiancé, dis-je, tu n’as oublié qu’une chose, c’est de me dire son nom... »

Myrtille éclata de rire en frappant ses mains l’une contre l’autre...

« Il s’appelle Jean Buridan, dit-elle.

– Qu’as-tu dit ? hurla maître Lescot, devenu soudain livide.

– Père, bégaya Myrtille, épouvantée, j’ai dit : Jean Buridan, le nom de mon fiancé...

– Malheureuse ! » tonna Claude Lescot, en repoussant violemment sa fille.

Et tandis que Myrtille, défaillante de terreur, allait tomber dans un fauteuil, lui, les traits convulsés par une sorte d’effroyable haine, les poings levés au ciel dans un geste de menace et de défi, la parole saccadée, rauque, terrible, rugissait :

« Jean Buridan ! C’est Jean Buridan que tu aimes !... »

Un éclat de rire atroce éclata sur ses lèvres blanchies.

« Père ! Père ! sanglota Myrtille, affolée d’épouvante et d’angoisse, quel vertige vous saisit ? Par pitié, revenez à vous. Oh ! vous me faites mourir !... »

Il s’était approché d’elle, lui avait saisi les deux poignets, et, penché sur sa fille, la figure flamboyante, la voix brisée par les sanglots ou par un paroxysme de fureur, il grondait :

« Ah ! c’est Jean Buridan que tu aimes ! Dis ! C’est bien Jean Buridan ! Malheureuse ! Ah ! oui, malheureuse ! Sais-tu ce que c’est que Jean Buridan ? Sais-tu qui est cet homme que tu aimes ? Dis ! Le sais-tu ?... Non, tu ne le sais pas !... Je le sais, moi ! et je vais te le dire !... »

À ce moment, trois coups violents retentirent à la porte extérieure de l’enclos ; sans doute ces coups étaient frappés d’une façon spéciale que reconnut maître Lescot, car il eut un tressaillement qui l’agita tout entier, et s’élança lui-même pour aller ouvrir.

Pantelante de terreur et de désespoir, Myrtille perdit connaissance en murmurant :

« Ô mon cher Buridan !... »

Maître Lescot, d’un bond, avait franchi la Courtille.

La porte ouverte, il vit un homme à cheval qui tenait en main une deuxième monture.

« Toi ici, Tristan ! gronda Claude Lescot avec une sombre inquiétude. Que se passe-t-il ? »

L’homme se pencha jusqu’à l’oreille du riche marchand de tapisseries flamandes et lui murmura quelques mots rapides qui le firent frissonner.

« Je vous ai amené un cheval, ajouta cet homme en terminant.

– C’est bien, dit Claude Lescot ; attends-moi !... » Dans la salle où il s’élança, il ne fit aucune attention à sa fille évanouie, mais, saisissant par le bras la vieille gouvernante qui s’empressait autour de Myrtille :

« Gillonne, fit-il d’une voix terriblement froide, écoute-moi. Je t’avais confié ma fille. Grâce à ta négligence, un malheur me frappe, plus affreux que tous les malheurs : ma fille aime un homme que je tuerai ou qui me tuera. Gillonne, tu mérites la mort...

– Doux Jésus ! Mon bon maître...

– Tais-toi et écoute. Si tu exécutes bien mes ordres, je te pardonnerai...

– Faut-il me jeter au feu ? Faut-il...

– Tais-toi ! Il faut tout simplement tout préparer pour que je puisse emmener ma fille d’ici cette nuit. Je serai de retour dans deux heures. D’ici là, tire les verrous, tends les chaînes, barricade les portes... Si ce Buridan vient, n’ouvre pas ! N’ouvre à personne au monde ! Quand ce serait Dieu qui frappe, n’ouvre pas ! Voilà tout ce que je veux de toi : deux heures de surveillance, et tu es pardonnée ; sinon, la mort !... Que dans deux heures tout soit prêt pour le départ de Myrtille. »

Sans attendre la réponse de la vieille, maître Claude Lescot, certain de l’obéissance passive de Gillonne, bondit jusqu’à la porte, sauta sur le cheval que lui avait amené l’homme et s’élança à toute bride vers le centre de Paris.

Bientôt, il mettait pied à terre devant une sorte de palais ou de forteresse, jetait un mot de passe aux sentinelles, franchissait une cour, montait un escalier et traversait précipitamment plusieurs salles magnifiques.

Il arriva enfin devant une haute porte que gardait un huissier.

À la vue de maître Lescot, cet huissier se hâta d’ouvrir la porte et, d’une voix forte, annonça :

« Monsieur le premier ministre Enguerrand de Marigny ! »

V



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