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André Durand présente l’intérêt littéraire de ‘’À la recherche du temps perdu’’


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Il suivait ainsi une tradition très française d'analyse, renforcée ici par la jouissance du voyeur qui met constamment une distance entre l'objet du désir et lui-même. En outre, le réel, chez lui, n'épuisait jamais ses replis : il s'en présentait toujours un, imprévisible, à mesure que la phrase déroulait ses méandres, ce qui permettait invariablement de reculer le point final.
Mais, en fait les phrases de plus de dix lignes occupent à peine le quart de l'œuvre. En voici trois exemples :

- « Mais au lieu de la simplicité, c'est le faste que je mettais au plus haut rang, si, après que j'avais forcé Françoise, qui n'en pouvait plus et disait que les jambes "lui rentraient", à faire les cent pas pendant une heure, je voyais enfin, débouchant de l'allée qui vient de la Porte Dauphine - image pour moi d'un prestige royal, d'une arrivée souveraine telle qu'aucune reine véritable n'a pu m'en donner l'impression dans la suite, parce que j'avais de leur pouvoir une notion moins vague et plus expérimentale, - emportée par le vol de deux chevaux ardents, minces et contournés comme on en voit dans les dessins de Constantin Guys, portant établi sur son siège un énorme cocher fourré comme un cosaque, à côté d'un petit groom rappelant le ‘’tigre’’ de ‘’feu Baudenord’’, je voyais - ou plutôt je sentais imprimer sa forme dans mon coeur par une nette et épuisante blessure - une incomparable victoria, à dessein un peu haute et laissant passer à travers son luxe "dernier cri’’ des allusions aux formes anciennes, au fond de laquelle reposait avec abandon Mme Swann, ses cheveux maintenant blonds avec une seule mèche grise ceints d'un mince bandeau de fleurs, le plus souvent des violettes, d'où descendaient de longs voiles, à la main une ombrelle mauve, aux lèvres un sourire ambigu où je ne voyais que la bienveillance d'une Majesté et où il y avait surtout la provocation de la cocotte, et qu'elle inclinait avec douceur sur les personnes qui la saluaient. » (I, page 419).

- « Mais, tandis que chacune de ces liaisons, ou chacun de ces flirts, avait été la réalisation plus ou moins complète d'un rêve né de la vue d'un visage ou d'un corps que Swann avait, spontanément, sans s'y efforcer, trouvés charmants, en revanche, quand un jour au théâtre il fut présenté à Odette de Crécy par un de ses amis d'autrefois, qui lui avait parlé d'elle comme d'une femme ravissante avec qui il pourrait peut-être arriver à quelque chose, mais en la lui donnant pour plus difficile qu'elle n'était en réalité afin de paraître lui-même avoir fait quelque chose de plus aimable en la lui faisant connaître, elle était apparue à Swann non pas certes sans beauté, mais d'un genre de beauté qui lui était indifférent, qui ne lui inspirait aucun désir, lui causait même une sorte de répulsion physique, de ces femmes comme tout le monde a les siennes, différentes pour chacun, et qui sont l'opposé du type que nos sens réclament. » (I, page 195-196).

- « Et sans doute, en se rappelant ainsi leurs entretiens, en pensant ainsi à elle quand il était seul, il faisait seulement jouer son image entre beaucoup d'autres images de femmes dans des rêveries romanesques ; mais si, grâce à une circonstance quelconque (ou même peut-être sans que ce fût grâce à elle, la circonstance qui se présente au moment où un état, latent jusque-là, se déclare, pouvant n'avoir influé en rien sur lui) l'image d'Odette de Crécy venait à absorber toutes ces rêveries, si celles-ci n'étaient plus séparables de son souvenir, alors l'imperfection de son corps ne garderait plus aucune importance, ni qu'il eût été, plus ou moins qu'un autre corps, selon le goût de Swann, puisque, devenu le corps de celle qu'il aimait, il serait désormais le seul qui fût capable de lui causer des joies et des tourments. » (I, page 199).


On remarque que, dans ce dernier cas, la phrase est un raisonnement hypothético-déductif à partir de « mais ». Et on comprend que, comme le souci constant de Proust était la démonstration, il s'agissait pour lui de la ramasser en une longue phrase, pour que le lecteur adhère à la thèse soutenue par une intuition rationnelle, en suivant une déduction toujours contrôlée par l'intuition. Il reste que, souvent, voulant enserrer toute la complexité des phénomènes de la réalité, embrasser toute la richesse d’un tableau qu’offre la nature, saisir toute la subtilité d’une pensée qu’il importait de ne pas fragmenter ni briser, pensée recelant des nuances d'autant plus délicates qu'elles prenaient bien souvent le contrepied de l'opinion couramment reçue et qu'il lui fallait écarter l'erreur avant de faire admettre la vérité, à grand renfort de faits, de comparaisons et de raisonnements analogiques, s’enfoncer dans les dédales de l’esprit, capter une infinité de reflets, faire entrer tout le flux d'une conscience humaine en un moment précis avec toute sa charge parfois contradictoire de sensations, de sentiments, de souvenirs, de concepts, suivre par des circonvolutions subtiles de minutieuses explorations des « intermittences du cœur », de la mémoire et des sensations, noter de menues impressions, de fugitifs états d’âme aux confins de la conscience claire, chercher, comme il le fit faire par Vinteuil dans sa musique, à obtenir la variation, l'agencement cyclique des motifs, il s’est abandonné à la prolifération verbale dans ces longues phrases, si longues qu'elle paraissent interminables, circonstanciées et sinueuses, à la construction extraordinairement compliquée, pourvues de nombreuses propositions subordonnées (qui, souvent, en comprennent elles-mêmes d’autres), qui se ramifient, s'enchâssent, d’incidentes parfaitement indépendantes. De ces phrases amples, labyrinthiques et musicales, au rythme souvent ternaire, recourant pour cela aux structures d'allongement (incises, distinctions, ramifications...) et les combinant aux structures de liaisons (parallélismes, présentatifs, détachement des participiales, emboîtement des subordonnées...) pour rendre exactement le contenu foisonnant du réel et de la mémoire, qui s'épanouissent dans de multiples directions, on a pu dire qu’elles sont en spirales, en volutes, en rosaces, à méandres, prismatiques...
Le texte de Proust est si étonnant aujourd’hui que, dans "Nous sommes au regret de ne pas pouvoir publier votre ouvrage..." (‘’Pastiches et postiches’’), Umberto Eco a pu s’amuser à imaginer la réaction d’un éditeur recevant ce manuscrit : « ‘’À la recherche du temps perdu’’ est assurément un ouvrage important, peut-être un peu trop long, mais en le débitant en volumes de poche, ça pourra se vendre. Pas tel quel, attention ! Il faut un gros travail d'editing : il y a, par exemple, toute la ponctuation à revoir. Les phrases sont trop laborieuses ; certaines prennent une page entière. Avec un bon rewriting qui les ramène à la mesure de deux ou trois lignes chacune, en coupant davantage, en allant à la ligne plus souvent, on arriverait sûrement à tirer quelque chose de ce texte. Si l'auteur n'est pas d'accord, il vaut mieux laisser tomber. Sous sa forme actuelle, l'ouvrage est - comment dire? - trop asthmatique. »
Cet éditeur cavalier ne serait-il pas aveugle à ce qui fait le principal mérite littéraire de Proust : sa poésie.

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Un style parfois poétique
« L'existence, écrivait Proust, n'a guère d'intérêt que dans les journées où la poussière des réalités est mêlée de sable magique » (I, page 865). Et, nous séduisant, dans ses meilleurs moments, par un charme prenant, il a saupoudré nombre de pages de ce sable magique qui est la poésie, maniant d’abord les figures de style qui donnent plus de relief à l’expression.
La recherche de l’intensité le conduisit à des hyperboles :

- Le postérieur de Legrandin était « cette ondulation de pure matière, ce flot tout charnel, sans expression de spiritualité et qu’un empressement plein de bassesse fouettait en tempête» (I, page125).

- « J’aurais fait violer une morte que je n’aurais pas souffert davantage. » (I, page 578).

- « Les globes de mes prunelles qu’entre mes paupières je sentais dilatés, résistants, prêts à soulever bien d’autres fardeaux, toutes les montagnes du monde, sur leur surface délicate. Leur orbe ne se trouvait plus suffisamment rempli par la sphère même de l’horizon. Et tout ce que la nature eût pu m’apporter de vie m’eût semblé bien mince, les souffles de la mer m’eusent paru bien courts pour l’immense aspiration qui soulevait ma poitrine. [...] La mort eût dû me frapper en ce moment que cela m’eût paru indifférent ou plutôt impossible, car la vie n’était pas hors de moi, elle était en moi.» (I, page 933).

- « La présence du corps de Jésus-Christ dans l’hostie ne me semblait pas un mystère plus obscur que ce premier salon du Faubourg » (II, page 30).

- « J’aimais vraiment Mme de Guermantes. Le plus grand bonheur que j’eusse pu demander à Dieu eût été de faire fondre sur elle toutes les calamités, et que ruinée, déconsidérée, dépouillée de tous les privilèges qui me séparaient d’elle, n’ayant plus de maison où habiter ni de gens qui consentissent à la saluer, elle vînt me demander asile. » (II, page 68)

- « Ce que nous nous rappelons de notre conduite reste ignoré de notre plus proche voisin ; ce que nous avons oublié avoir dit, ou même ce que nous n’avons jamais dit, va provoquer l’hilarité jusque dans une autre planète », qui est l’hôtel de la princesse de Guermantes où se tient « le festin des dieux » (II, page 272).

- « Croyez-vous que la salive envenimée de cinq cents petits bonshommes de vos amis, juchés les uns sur les autres, arriverait à baver seulement jusqu’à mes augustes orteils? » s’écria le baron de Charlus (II, page 558).

- Sa « régularité dans le changement donnait une poésie presque astronomique aux diverses phases de la vie de M. de Vaugoubert » (II, page 643).

- Lors de la réception chez le prince de Guermantes, il parut à Marcel que « les hommes étaient juchés sur de vivantes échasses, grandissant sans cesse, parfois plus hautes que des clochers.» (III, pages 1047-1048).


On sourit à ces habiles alliances de mots : « flots versatiles » du « monde » (I, page 571), la « dédaigneuse affabilité » et la « morgue égalitaire » de la duchesse de Guermantes (II, page 16), les fils « bolchevisants et valseurs » des nobles (II, page 400) - le « législateur fortuné et froussard »  qui fréquentait l’hôtel de Jupien (III, page 816).
Proust joua à transférer des qualificatifs d’un mot à un autre dans ces hypallages :

- l’aubépine est « l’arbuste catholique et délicieux » (I, page 140) parce que « la haie formait comme une suite de chapelles qui disparaissaient sous la jonchée de leurs fleurs amoncelées en reposoir » (I, page 138) et que ces fleurs ornaient l’autel pendant le mois de Marie ;

- « une voiture qui s’ébroue en sortant d’un gué » (I, page 838), significatif raccourci car ce sont les chevaux qui en fait s’ébrouent ;

- « l’invasion ailée et jacassante » des « nouvelles dames à turban » (III, page 726) que Marcel remarqua, pendant la guerre ;

- la marche dans les rues de Paris lui parut « l’hygiénique et monotone piétinement rustique » car elle lui rappelait celle dans les chemins de Combray (III, page 737).
Surtout, de même que, dans l'épisode de la madeleine, Marcel constata : « Chercher? pas seulement : créer», l'écriture de Proust ne fut pas simple recherche dans le tissu de la mémoire, mais création d’images. L'imagination, mieux encore que la mémoire ou la sensibilité, fit ruisseler de poésie bien de ses pages, car elle multiplia les créations d'un univers étrange, dans une atmosphère de rêve éveillé. Il se donna pour objectif de « représenter une chose par cette autre que dans l’éclair d’une illusion première nous avons prise pour elle » (II, page 419), procédant donc par ces analogies qui rapprochent des éléments hétéroclites ou disjoints de la réalité, qui unissent tous les registres du réel, qui transfigure une réalité banale en un univers merveilleux ; donc par des métaphores. Dès sa jeunesse, il avait pensé que « seule la métaphore peut donner une sorte d'éternité au style » (‘’Chroniques’’), et, dans ‘’Le temps retrouvé’, il déclara encore : «Rapprochant une qualité commune à deux sensations, [l'écrivain] dégagera leur essence commune en les réunissant l'une et l'autre pour les soustraire aux contingences du temps, dans une métaphore».
En fait, il faut, techniquement, distinguer comparaisons et métaphores, et, après Robert Brasillach, qui trouvait le secret de l’art poétique de Proust dans la fréquence exceptionnelle des comparaisons, constater qu’‘’À la recherche du temps perdu’’ fourmille de comparaisons poétiques :

- « J’appuyais tendrement mes joues contre les belles joues de l’oreiller qui, pleines et fraîches, sont comme les joues de notre enfance. » (I, page 4).

- « C’étaient de ces chambres de province qui - de même qu’en certains pays des parties entières de l’air ou de la mer sont illuminées ou parfumées par des myriades de protozoaires que nous ne voyons pas - nous enchantent des mille odeurs qu’y dégagent les vertus. » (I, page 49).

- De l’église de Combray, « la voûte obscure et puissamment nervurée [était] comme la membrane d’une immense chauve-souris de pierre. » (I, page 61-62).

- « La fine pointe du clocher de Saint-Hilaire [était] si mince, si rose, qu’elle semblait seulement rayée sur le ciel par un ongle qui aurait voulu donner à ce paysage, à ce tableau rien que de nature, cette petite marque d’art, cette unique indication humaine. » (I, page 63).

- Marcel appréciait « le velours violet de l’air du soir » (I, pages 63-64).

- Du clocher de Saint-Hilaire, « les pentes de pierre se rapprochaient en s’élevant comme des mains jointes qui prient. » (I, page 64)

- Les « vieilles pierres [...] paraissaient tout d’un coup montées bien plus haut, lointaines, comme un chant repris ‘’en voix de tête’’ une octave au-dessus. » (I, page 64).

- La haie d'aubépines « formait comme une suite de chapelles qui disparaissaient sous la jonchée de leurs fleurs amoncelées en reposoir » (I, page 138). Plus loin, la blondeur de leurs étamines ainsi que le « goût d’une frangipane » frappaient déjà les sens du jeune Marcel, à la sortie de l’église ; les fleurs sont « pareilles à de gaies jeunes filles étourdies, coquettes et pieuses  » (I, page 922).

- Les gouttes de pluie sont « comme des oiseaux migrateurs qui prennent leur vol tous ensemble » (I, page 150).

- « Le sein ferme gonflait la draperie comme une grappe mûre dans un sac de crin » (I, page 151).

- « Roussainville, tantôt, quand la pluie avait déjà cessé pour nous, continuait à être châtié comme un village de la Bible par toutes les lances de l’orage qui flagellaient obliquement les demeures de ses habitants, ou bien était déjà pardonné par Dieu le Père qui faisait descendre vers lui, inégalement longues, comme les rayons d’un ostensoir d’autel, les tiges d’or effrangées de son soleil reparu. » (I, page 152).

- Devant les nymphéas de la Vivonne, « on croyait voir flotter à la dérive, comme après l’effeuillement mélancolique d’une fête galante, des roses mousseuses en guirlandes dénouées. » (I, page 169) - « On eût dit des pensées des jardins qui étaient venues poser comme des papillons leurs ailes bleuâtres et glacées sur l’obliquité transparente de ce parterre d’eau. » (I, page 170).

- Swann, cherchant Odette dans la nuit, « frôlait anxieusement tous ces corps obscurs comme si, parmi les fantômes des morts, dans le royaume sombre, il eût cherché Eurydice. «  (I, page 230).

- Quand il la trouva et qu’il fut rasséréné, il était « ainsi qu’un voyageur arrivé par un beau temps au bord de la Méditerranée, et qui incertain de l’existence des pays qu’il vient de quitter, laisse éblouir sa vue, plutôt qu’il ne leur jette des regards, par les rayons qu’émet vers lui l’azur lumineux et résistant des eaux. » (I, pages 231-232).

- Revenant vers l’appartement d’Odette dans la nuit, « il savait que la réalité de circonstances, qu’il eût donné sa vie pour restituer exactement, était lisible derrière cette fenêtre striée de lumière, comme sous la couverture enluminée d’or d’un de ces manuscrits précieux à la richesse artistique elle-même desquels le savant qui les consulte ne peut rester indifférent. » (I, page 274).

- Pour Swann, Odette était « une eau informe qui coule selon la pente qu’on lui offre, un poisson sans mémoire et sans réflexion qui, tant qu’il vivra dans son aquarium, se heurtera cent fois par jour contre le vitrage qu’il continuera à prendre pour de l’eau. » (I, page 290).

- Pendant qu’elle faisait de l’orangeade, « comme quand un réflecteur mal réglé d’abord promène autour d’un objet, sur la muraille, de grandes ombres fantastiques, qui viennent ensuite se replier et s’anéantir en lui, toutes les idées terribles et mouvantes qu’il se faisait d’Odette s’évanouissaient.» (I, page 298).

- La jalousie de Swann était « comme l’ombre de son amour » (I, page 330).

- En écoutant le violon, « on a l’illusion qu’une chanteuse s’est ajoutée au concert […] par moments, on est encore trompé par l’appel décevant de la sirène ; parfois aussi on croit entendre un génie captif qui se débat au fond de la docte boîte, ensorcelée et frémissante, comme un diable dans un bénitier ; parfois enfin, c’est, dans l’air, comme un être surnaturel et pur qui passe en déroulant son message invisible. » (I, page 347).

- « Le piano solitaire se plaignit, comme un oiseau abandonné de sa compagne ; le violon l’entendit, lui répondit comme d’un arbre voisin. [...] Est-ce un oiseau, est-ce l’âme incomplète encore de la petite phrase, est-ce une fée, cet être invisible et gémissant dont le piano ensuite redisait tendrement la plainte? [...] Merveilleux oiseau ! le violoniste semblait vouloir le charmer, l’apprivoiser, le capter.» (I, page 352).

- « La petite phrase » de la sonate de Vinteuil « était encore là comme une bulle irisée qui se soutient. Tel un arc-en-ciel, dont l’éclair faiblit, s’abaisse, puis se relève et, avant de s’éteindre, s’exalte un moment comme il n’avait pas encore fait : aux deux couleurs qu’elle avait jusque-là laissé paraître, elle ajouta d’autres cordes diaprées, toutes celles du prisme, et les fit chanter. » (I, page 352).

- L’exécution de la musique de Vinteuil donna lieu aux « rites de ces officiants [qui] faisaient de cette estrade où une âme était ainsi évoquée un des plus nobles autels où pût s’accomplir une cérémonie surnaturelle», ce qui fit dire à une des assistantes : « C’est prodigieux, je n’ai rien vu d’aussi fort [...] depuis les tables tournantes. » (I, pages 352-353).

- « Il y a des jours montueux et malaisés qu’on met un temps infini à gravir et des jours en pente qui se laissent descendre à fond de train en chantant. » (I, page 391).

- Le train est « le laboratoire charbonneux, la chambre magique qui se chargeait d’opérer la transmutation tout autour d’elle » (I, page 392).

- « Même quand j’eus écouté la Sonate d’un bout à l’autre, elle me resta presque tout entière invisible, comme un monument dont la distance ou la brume ne laissent apercevoir que de faibles parties. » (I, page 530).

- « La vraie variété est dans cette plénitude d’éléments réels et inattendus, dans le rameau chargé de fleurs bleues qui s’élance, contre toute attente, de la haie printanière qui semblait déjà comble » (I, page 551).

- De l’église de Balbec, « la coupole moelleuse et gonflée sur le ciel était comme un fruit dont la même lumière qui baignait les cheminées des maisons, mûrissait la peau rose, dorée et fondante. » (I, page 659).

- Saint-Loup se distinguait « au milieu d’une foule comme un filon précieux d’opale azurée et lumineuse, engainé dans une matière grossière. » (I, page 729).

- Mais Marcel le découvrit sous un autre jour : « Les premiers rites d’exorcisme une fois accomplis, comme une fée hargneuse dépouille sa première apparence et se pare de grâces enchanteresses, je vis cet être dédaigneux devenir le plus aimable, le plus prévenant jeune homme que j’eusse jamais rencontré. » (I, page 732).

- Au restaurant de Rivebelle, Marcel observa « le spectacle » des garçons : « Toute cette activité vertigineuse se fixait en une calme harmonie. Je regardais les tables rondes dont l’assemblée innombrable emplissait le restaurant, comme autant de planètes, telles que celles-ci sont figurées dans les tableaux allégoriques d’autrefois. D’ailleurs, une force d’attraction irrésistible s’exerçait entre ces astres divers […] L’harmonie de ces tables astrales n’empêchait pas l’incessante révolution des servants (sic) innombrables. » (I, page 810).

- Le groupe de « petites filles » qui deviendra la bande dont faisait partie Albertine était « une sorte de blanche et vague constellation », une « nébuleuse indistincte et lactée […] Comme ces organismes primitifs où l’individu n’existe guère par lui-même, est plutôt constitué par le polypier que par chacun des polypes qui le composent, elles restaient pressées les unes contre les autres. […] dans la gelée d’une seule grappe scintillante et tremblante. […] les sporades aujourd’hui individualisées et désunies du pâle madrépore.» (I, pages 823-824).

- « Après cette marée montante du génie qui recouvre la vie, quand le cerveau se fatigue, peu à peu l’équilibre se rompt, et comme un fleuve qui reprend son cours après le contre-flux d’une grande marée, c’est la vie qui reprend le dessus. » (I, page 851).

- Les mains d’Andrée « s’allongeaient souvent devant elle comme de nobles lévriers, avec des paresses, de longs rêves, de brusques étirements d’une phalange. » (I, page 919).

- « Mais comme la lune, qui n’est qu’un petit nuage blanc d’une forme plus caractérisée et plus fixe pendant le jour, prend toute sa puissance dès que celui-ci s’est éteint, ainsi, quand je fus rentré à l’hôtel, ce fut la seule image d’Albertine qui s’éleva de mon cœur et se mit à briller. »  (I, page 925).

- « Le visage rond d’Albertine, éclairé d’un feu intérieur comme par une veilleuse, prenait pour moi un tel relief qu’imitant la rotation d’une sphère ardente, il me semblait tourner, telles ces figures de Michel-Ange qu’emporte un immobile et vertigineux tourbillon. » (I, page 934).

- Quand Françoise, à la fin du séjour à Balbec, tirait les rideaux, « le jour d’été qu’elle découvrait semblait aussi mort, aussi immémorial qu’une somptueuse et millénaire momie que notre vieille servante n’eût fait que précautionneusement désemmailloter de tous ses linges, avant de la faire apparaître, embaumée dans sa robe d’or. » (I, page 955).

- Pour Marcel, le nom de Guermantes « me rend ce mauve si doux, trop brillant, trop neuf, dont se veloutait la cravate gonflée de la jeune duchesse, et, comme une pervenche incueillissable et refleurie, ses yeux ensoleillés d’un sourire bleuEt le nom de Guermantes d’alors est aussi comme un de ces petits ballons dans lesquels on a enfermé de l’oxygène ou un autre gaz : quand j’arrive à le crever, à en faire sortir ce qu’il contient, je respire l’air de Combray.» (II, page 12).

- La duchesse de Guermantes lui apparut « comme un nuage au soleil couché, c’était tous les plaisirs du faubourg Saint-Germain que je voyait tenir devant moi, sous ce petit volume, dans une coquille, entre ces valaves glacées de nacre rose. » (II, page 36).

- Marcel trouva à l’Opéra la liquidité transparente et ombreuse d'un fond marin, dont les loges et les baignoires étaient comme des « grottes marines », le « royaume mythologique des nymphes des eaux », de « blanches déités qui habitaient ces sombres séjours », de « radieuses filles de la mer », de « tritons barbus », de « quelque demi-dieu aquatique ayant pour crâne un galet poli sur lequel le flot avait ramené une algue lisse et pour regard un disque en cristal de roche», d’« une nouvelle néréide », de « la grande déesse qui préside de loin aux jeux des divinités inférieures», qui est la princesse de Guermantes que sa beauté mettait « bien au-dessus des autres filles fabuleuses de la pénombre » (II, pages 40-41) ; comme elle vint « sur le devant de la baignoire ; alors je vis que le doux nid d’alcyon qui protégeait tendrement la nacre rose de ses joues était, douillet, éclatant et velouté, un immense oiseau de paradis. » (II, page 44). Dans ‘’Le temps retrouvé’’, au cours de la réception chez le prince de Guermantes, Marcel allait se souvenir que le duc de Guermantes, « le premier soir à l’Opéra-Comique », lui « avait paru un dieu nautique habitant son antre marin » (III, page 1007). Aussi les spectateurs de l’orchestre n’étaient-ils que des « madrépores anonymes et collectifs », Marcel lui-même qu’un « protozoaire dépourvu d’existence individuelle » (II, page 58). On cite souvent cette métaphore filée qui est un morceau de bravoure révélant la virtuosité et l'humour d'un auteur qui réussit à nous faire voir le monde avec un regard neuf.

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