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André Durand présente l’intérêt littéraire de ‘’À la recherche du temps perdu’’


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Un style souvent lourd
Proust ne mérite-t-il pas l’appréciation que M. de Guermantes fit de l’article de Marcel : «Il regrettait la forme un peu poncive de ce style où il y avait de l’enflure, des métaphores comme dans la prose démodée de Chateaubriand’’»? C’est qu’il avait emprunté à Ruskin un style à la va-comme-je-te-pousse, essentiellement bavard, amorphe, caractérisé par l’absence d’ossature.
Il s’empêtra souvent dans de gauches élucubrations de collégien, comme celle-ci : « De même qu’il est des corps d’animaux, des corps humains, c’est-à-dire des assemblages de cellules dont chacun par rapport à une seule est grand comme le mont Blanc, de même il existe d’énormes entassements organisés d’individus qu’on appelle nations ; leur vie ne fait que répéter en les amplifiant la vie des cellules composantes ; et qui n’est pas capable de comprendre le mystère, les réactions, les lois de celle-ci, ne prononcera que des mots vides quand il parlera des luttes entre nations. Mais s’il est maître de la psychologie des individus, alors ces masses colossales d’individus conglomérés s’affrontant l’une l’autre prendront à ses yeux une beauté plus puissante que la lutte naissant seulement du conflit de deux caractères ; et il les verra à l’échelle où verraient le corps d’un homme de haute taille des infusoires dont il faudrait plus de dix mille pour remplir un cube d’un millimètre de côté. Telles, depuis quelque temps, la grande figure France remplie jusqu’à son périmètre de millions de petits polygones aux formes variées, et la figure, remplie d’encore plus de polygones, Allemagne, avaient entre elles deux de ces querelles. Ainsi, à ce point de vue, le corps Allemagne et le corps France, et les corps alliés et ennemis se comportaient-ils dans une certaine mesure comme des individus... » (III, page 771).
On peut s’étonner encore plus des fréquentes répétitions de mêmes mots dans la même phrase. Ce ne sont évidemment pas des répétitions expressives ; comme celle d’« Odette » dans « une heure de la vraie vie d’Odette, de la vie d’Odette quand lui n’était pas là. » (I, page 298) ; comme celle de « Morel » dans « C’était plutôt l’ombre de Morel, Morel embaumé, pas même Morel ressuscité comme Lazare, une apparition de Morel, un fantôme de Morel, Morel revenant ou évoqué dans cette chambre » (II, page 1080) ; comme celle de « la maladie » dans : « La maladie qui, en me faisant, comme un rude directeur de conscience, mourir au monde, m’avait rendu service […], la maladie qui, après que la paresse m’avait protégé contre la facilité, allait peut-être me garder contre la paresse, la maladie avait usé mes forces et […] les forces de ma mémoire. » (III, page 1044). Non, ce sont des répétitions véritablement et inexplicablement maladroites des mêmes mots à intervalles très courts :

- « Une odeur de vernis qui avait en quelque sorte absorbé, fixé, cette sorte particulière de chagrin. » (‘’Du côté de chez Swann’’).

- « Plus tard, quand on eût installé partout l’éclairage électrique, on put couper l’électricité dans une maison. » (I, page 268).

- « Mon oncle était pareil à tous les hommes : il venait d’essayer de la prendre de forceElle calma Swann qui au premier moment voulait aller provoquer mon oncle, mais il refusa de lui serrer la main quand il le rencontra. Il regretta d’autant plus cette brouille avec mon oncle Adolphe qu’il avait espéré [...] tirer au clair certains bruits relatifs à la vie qu’Odette avait mené autrefois à Nice. Or mon oncle Adolphe y passait l’hiver. » (I, page 312).

- « On dit souvent qu’en dénonçant à un ami les fautes de sa maîtresse, on ne réussit qu’à le rapprocher d’elle parce qu’il ne leur ajoute pas foi, mais combien davantage s’il leur ajoute foi ! » (I, page 364).

- « Les tables rondes dont l’assemblée innombrable emplissait le restaurant […] l’incessante révolution des servants [sic] innombrables » (I, page 810).

- « Il passa dans la rue près de Mme Sazerat, dont la pauvreté relative réduisait la vie à Paris à de rares séjours chez une amie. Personne autant que Mme Sazerat n’ennuyait mon père […] il faudrait bien que j’invite une fois Mme Sazerat […] va faire une petite visite à Mme Sazerat […] Malgré donc que Mme Sazerat […] Mme Sazerat se contenta d’un salut glacé […] ma mère rencontra Mme Sazerat dans un salon. Celle-ci […]» : ainsi, in extremis, on se rend compte que Proust savait donc qu’on peut remplacer un nom par un pronom ! (II, page 151).

- « Gardiens des souvenirs de l’âge d’or, garants de la promesse que la réalité n’est pas ce qu’on croit, que la splendeur de la poésie, que l’éclat merveilleux de l’innocence peuvent y resplendir et pourront être la récompense que nous nous efforcerons de mériter, les grandes créatures blanches merveilleusement penchées au-dessus de l’ombre propice à la sieste, à la pêche, à la lecture, n’était-ce pas plutôt des anges? » (II, pages 160-161).

- « Telle était la puissance que l’éducation des Jésuites avait sur M. de Guermantes, sur le corps de M. de Guermantes du moins, car elle ne régnait pas aussi en maîtresse sur l’esprit du duc. » (II, page 284).

- « M. de Guermantes se trouvait posséder des souvenirs qui donnaient à sa conversation un bel air d’ancienne demeure dépourvue de chefs-d’oeuvre véritables, mais pleine de tableaux authentiques, médiocres et majestueux, dont l’ensemble a grand air. » (II, page 536).

- « Il lui était donné, grâce aux données héritées de son ascendance » (II, page 582).

- « Rien que cette idée me rend quelque gaillardise et je sens que rien nest fini. » (II, page 613).

- « Je ne sais même pas par quel hasard je sais le nom de ce chameau.» (II, page 724).

- « Les deux antiques clochers d’un rose saumon et comme palpitants, avaient l’air de vieux poissons aigus, imbriqués d’écailles, moussus et roux, qui, sans avoir l’air de bouger, s’élevaient dans une eau transparente et bleue. » (II, page 1015).

- « Elle continuait à dormir comme une montre qui ne s’arrête pas, comme une plante grimpante, un volubilis qui continue de pousser ses branches quelque appui qu’on lui donne. » (III, page 113).

- « Tout être aimé, même, dans une certaine mesure, tout être est pour nous comme Janus, nous présentant le front qui nous plaît si cet être nous quitte, le front morne si nous le savons à notre perpétuelle disposition. » (III, page 181).

- « Prière, espérance qui était au fond Ia même, reconnaissable sous ses déguisements dans les diverses œuvres de Vinteuil, et d'autre part qu'on ne trouvait que dans les œuvres de Vinteuil.» (III, page 255).

- « Les deux maîtres d'hôtel que j'entendis en rentrant faisaient exception à la règle. Le nôtre laissa entendre que Dreyfus était coupable, celui des Guermantes qu'il était innocent. Ce n'était pas pour dissimuler leurs convictions, mais par méchanceté et âpreté au jeu. Notre maître d’hôtel, incertain si la révision se ferait, voulait d'avance, pour le cas d'un échec, ôter au maître d'hôtel des Guermantes la joie de croire une juste cause battue. Le maître d’hôtel des Guermantes pensait qu'en cas de refus de révision, le nôtre serait plus ennuyé de voir maintenir à l’île du Diable un innocent. » (II, page 297).

- « Sentant que son sommeil était dans son plein, que je ne me heurterais pas à des écueils de conscience recouverts maintenant par la pleine mer du sommeil profond » (III, page 72).

- « Les yeux (comme, dans un minerai d’opale où elle est encore engainée, les deux plaques seules polies encore» (III, page 383).

- « Les articles de journaux remettaient brusquement devant moi, sans que j’eusse eu le temps de me détourner, l’image d’Albertine, et je me remettais à pleurer. » (III, page 522).

- « Prendre des cahiers où je prendrais des notes relatives à un travail que je faisais sur Ruskin » (III, page 645).

- « La tâche à laquelle il nous astreint, nous l’accomplissons les yeux fermés […] les plus malins, à peine la tâche finie, tâchent de subrepticement regarder. » (III, page 717).

- « De hautes guêtres rappelant celles de nos chers combattants […] au lieu d’ornements égyptiens rappelant la campagne d’Égypte […] la correction qu’il est inutile de rappeler à des Françaises. » (III, pages 723-724).

- « Apparaissait, ayant l’air de se soutenir tout seul sur d’impalpables ténèbres, comme une projection purement lumineuse, comme une apparition sans consistance » (III, page 737).

- « En dehors de l’homosexualité, chez les gens les plus opposés par nature à l’homosexualité, il existe un certain idéal conventionnel de virilité, qui, si l’homosexuel n’est pas un être supérieur, se trouve à sa disposition, pour qu’il le dénature d’ailleurs. » (III, page 744).

- « Quant au premier de ces faits, il se produisit deux ou trois ans seulement après le soir où je descendis ainsi les boulevards avec M. de Charlus. Donc environ deux ans après cette soirée… » (III, page 804).

- « Se laisser rassurer par ses assurances » (III, page 817).

- La duchesse de Guermantes «, jeune fille, avait fait preuve de tant d’impertinente audace, si l’on s’en souvient, à l’égard de la famille impériale de Russie et qui, mariée, leur avait toujours parlé avec une liberté qui la faisait parfois accuser de manque de tact,  fut peut-être seule, après la Révolution russe, à faire preuve à l’égard des grandes-duchesses et des grands-ducs d’un dévouement sans bornes. » (III, page 852).

- « La seule présence de ce monocle dans la figure de Bloch dispensait d’avoir à se demander si elle était jolie ou non, comme devant ces objets anglais dont un garçon dit, dans un magasin, que c’est ‘’le grand chic’’, après quoi on n’ose plus se demander si cela vous plaît. » (III, page 953) ; il faut aussi regretter le passage de « on » à « vous ».

- « M. de Guermantes ne gardait ses foudres que pour la duchesse, sur les libres fréquentations de laquelle Mme de Forchevile ne manquait pas d’attirer l’attention irritée de M. de Guermantes. » (III, page 1023).

- « Il faudrait user, par opposition à la psychologie plane dont on use d’ordinaire, d’une sorte de psychologie dans l'espace». (III, page 1031).


On s’étonne de pléonasmes tels que « beauté esthétique » (II, page 109) ou « je ne fais jamais de projets d’avance » (III, page 129), d’incohérences telle que celle qu’on observe quand il est question des Goncourt : Proust parla bien d’abord du « journal intime des Goncourt » (III, page 708), du « journal des Goncourt » (III, page 717) ; puis, curieusement, il adopta le singulier : « les pages de Goncourt » (III, pages 718, 720), « la page de Goncourt » (III, page 719), « le Journal de Goncourt », « la naïveté de Goncourt », « Goncourt savait écouter » (III, page 720), « Goncourt savait écouter »  (III, page 721) !
Il a pu commettre aussi des phrases confuses sinon incompréhensibles, comme celles-ci : « L’affaire Dreyfus était pourtant terminée depuis longtemps, mais vingt ans après on en parlait encore, et elle ne l’était que depuis deux ans » (III, page 39) - « J’avais vu dans l’affaire Dreyfus, pendant la guerre, croire que la vérité est un certain fait, que les ministres possèdent, un oui ou un non qui n’a pas besoin d’interprétation…» (III, pages 914-915). Peut-être, dans ce denier cas, un sens apparaîtrait-il avec une meilleure ponctuation?
En effet, il n'a pas toujours établi sa ponctuation avec tout le soin désirable. Ainsi dans ce passage où, Saint-Loup s’étant dit « un homme condamné d’avance », Marcel offrit une première explication : « Faisait-il allusion au vice qu’il avait réussi jusqu’alors à cacher à tout le monde mais qu’il connaissait, et dont il s’exagérait peut-être la gravité? » gravité sur laquelle il s’étend dans toute une longue phrase, la première idée étant continuée dans une deuxième phrase, où, après un simple point-virgule, est présentée la seconde explication : « ou bien avait-il, le justifiant au besoin par la mort de son père enlevé asez jeune, le pressentiment de sa fin prématurée? » (III, page 850).
Cette longueur et cette complexité de nombreuses phrases de Proust sont des caractéristiques d’un autre de ses styles.

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Un style souvent solennel
‘’À la recherche du temps perdu’’ étant dominé par la tristesse due à l’état maladif et nerveux, à l’amour malheureux, à la jalousie, au spectacle du vice, de la duplicité généralisée ; par la mélancolie rêveuse et la nostalgie lancinante ; par la méchanceté de la satire de la société ; par la plainte lancinante, l’inquiétude obsédante, la constatation pessimiste, la vision désenchantée du monde, son style est, la plupart du temps, non seulement soutenu, mais élégant, subtil, sinon précieux, éloquent. Il a d’ailleurs, dans le manifeste esthétique qui figure dans ‘’Le temps retrouvé’’, indiqué que les objets qu’il voulait décrire, le bon écrivain « les enfermera dans les anneaux nécessaires d’un beau style » (III, page 889). Ce beau style, il l’avait, pour sa part, acquis à la fréquentation qu’il ne cessa de faire des ‘’Mémoires’’ de Saint-Simon, fréquentation si assidue qu’il s’en était incorporé la susbtance.
Si, par le pastiche qu’il fit du ‘’Journal’’ des Goncourt (III, pages 709-717), il prétendit marquer son refus de leur « écriture artiste », de la magie illusoire de la littérature, de l’enjolivement de la réalité par des raffinements de style (termes rares, néologismes, alliances de mots, rupture de la syntaxe traditionnelle, rythmes évocateurs), d’une écriture originale mais artificielle dont les délicatesses ne s’accordent pas toujours avec le sujet, car il disait vouloir « non par symbolisme, mais par retour sincère à la racine même de l’impression, représenter une chose par cette autre que dans l’éclair d’une illusion première nous avons prise pour elle » (II, page 419), il usa lui aussi des hellénismes à la Leconte de Lisle reprochés à Bloch car ne vit-il pas « l’implacable concierge, changé en une bienveillante Euménide » (I, page 503)? ne voyait-il pas l’appartement des Swann comme « un Temple asiatique »? y dégustant « un gâteau architectural » qui lui parut une « pâtisserie ninivite » (I, page 506) ; il déroula même tout un couplet sur « les parfums que chantent les Hymnes orphiques » (II, page 840).
Il respecta parfois « la vieille règle des trois adjectifs » qu’il avait remarquée chez Mme de Cambremer mère et dont il semblait se moquer : elle déclara que, selon elle, les qualités de Saint-Loup étaient « uniques - rares - réelles » (II, page 945), demanda à Marcel : « Amenez votre cousine délicieuse - charmante - agréable » (II, page 1087), pratiquant dans les deux cas un « diminuendo ». Mais, pour Marcel lui-même, en Françoise « il y avait un passé français très ancien, noble et mal compris » (I, page 29) ; il cessa de se sentir « médiocre, contingent, mortel » (I, page 45) ; Swann souffrait d’« une paresse d’esprit qui était chez lui congénitale, intermittente et providentielle » (I, page 268) ; il voulait connaître « cet exemplaire unique, éphémère et précieux » (I, page 274) ; il voulait «  ne pas avoir l’air trop malheureux, trop jaloux et trop curieux» (I, page 275) ; « son coeur » était « heureux, vagabond et multiplié. » (I, page 294) ; un valet de pied de Mme de Saint-Euverte avait un « regard impétueux, vigilant, éperdu » (I, page 325) ; le général de Froberville avait une « figure vulgaire, balafrée et triomphale » (I, 326) ; la marquise de Gallardon était « par nature courtaude, hommasse et boulotte » (I, page 329) ; on entendit les phrases de Chopin « si libres, si flexibles, si tactiles» (I, page 331) ; il remarqua un jeune homme « à la voix un peu chantante, étrangère et fausse » (I, page 332). On pourrait aussi voir l’application d’une « règle des trois noms » dans ces accumulations : « Pour faire partie du ‘’petit noyau’’, du ‘’petit groupe’’, du ‘’petit clan’’ des Verdurin... » (I, page 188) - « ce toupet, ce monocle, ce sourire ! [...] ce monocle, ce toupet, ce sourire ! » (I, page 320) ; l’application d’une « règle des trois verbes » : « Merveilleux oiseau ! le violoniste semblait vouloir le charmer, l’apprivoiser, le capter. » (I, page 352). Gide a pu estimer : « L’écriture de Proust est […] la plus artiste que je connaisse. »
On remarque encore d’autres accumulations : le visage de Mme Verdurin scandalisée , « ce n’était plus qu’une cire perdue, qu’un masque de plâtre, qu’une maquette pour un monument, qu’un buste pour le Palais de l’Industrie, devant lequel le public s’arrêterait certainement pour admirer comment le sculpteur, en exprimant l’imprescriptible dignité des Verdurin opposée à celle des La Trémoïlle et des Laumes qu’ils valent certes ainsi que tous les ennuyeux de la terre, était arrivé à donner une majesté presque papale à la blancheur et à la rigidité de la pierre.» (I, page 259) - Marcel se dit que son livre, il lui faudrait le « préparer minutieusement, avec de perpétuels regroupements de forces, comme une offensive, supporter comme une fatigue, l’accepter comme une règle, le construire comme une église, le suivre comme un régime, le vaincre comme un obstacle, le conquérir comme une amitié, le suralimenter comme un enfant, le créer comme un monde sans laisser de côté ces mystères qui n’ont probablement leur explication que dans d’autres mondes et dont le pressentiment est ce qui nous émeut le plus dans la vie et dans l’art. Et dans ces grands livres-là, il y a des parties qui n’ont eu le temps que d’être esquissées, et qui seront sans doute jamais finies, à cause de l’ampleur même du plan de l’architecte. Combien de grandes cathédrales restent inachevées ! » (III, pages 1032-1033).
En bon rhétoricien, Proust sut recourir à des prétéritions : « L’abside de l’église de Combray, peut-on vraiment en parler? » se demanda Marcel avant de lui consacrer une demi-page ! - « Ne parlons pas de ces jeunes fous qui, par une sorte d'enfantillage, pour taquiner leurs amis, choquer leurs parents, mettent une sorte d'acharnement à choisir des vêtements qui ressemblent à des robes, à rougir leurs lèvres et noircir leurs yeux ; laissons-les de côté, car ce sont eux qu'on retrouvera, quand ils auront trop cruellement porté la peine de leur affectation, passant toute une vie à essayer vainement de réparer, par une tenue sévère, protestante, le tort qu'ils se sont fait. » (II, page 623).
Des élans oratoires furent soulevés par :

- la musique de Vinteuil, qui fit s’écrier Swann : « Ô audace aussi géniale peut-être que celle d’un Lavoisier, d’un Ampère, l’audace d’un Vinteuil expérimentant, découvrant les lois secrètes d’une force inconnue, menant à travers l’inexploré, vers le seul but possible, l’attelage invisible auquel il se fie et qu’il n’apercevra jamais ! » (I, page 351) ;

- les poiriers et les cerisiers du jardin de Rachel : « Gardiens des souvenirs de l’âge d’or, garants de la promesse que la réalité n’est pas ce qu’on croit, que la splendeur de la poésie, que l’éclat merveilleux de l’innocence peuvent y resplendir et pourront être la récompense que nous nous efforcerons de mériter, les grandes créatures blanches merveilleusement penchées au-dessus de l’ombre propice à la sieste, à la pêche, à la lecture, n’était-ce pas plutôt des anges? » (II, pages 160-161) ;

- les jeunes filles : « Ô jeunes filles, ô rayon successif dans le tourbillon où nous palpitons de vous voir reparaître en ne vous reconnaissant qu’à peine, dans la vitesse vertigineuse de la lumière […], gouttes d’or toujours dissemblables et qui dépassent toujours notre attente. » (III, page 64) ;

- le couple : « Ô grandes attitudes de l’Homme et de la Femme où cherchent à se joindre, dans l’innocence des premiers jours et avec l’humilité de l’argile, ce que la création a séparé, où Ève est étonnée et soumise devant l’Homme au côté de qui elle s’éveille, comme lui-même, encore seul, devant Dieu qui l’a formé. », ce qui est pourtant suivi (ruptures de ton voulue?) par cette platitude : « Albertine nouait ses bras derrière ses cheveux noirs, la hanche renflée, la jambe tombante… » (III, page 79) ;

- les aristocrates et surtout ces Guermantes que Marcel considérait comme quasi divins, adoration où se manifesta particulièrement la filiation de Proust avec Saint-Simon que François Mauriac a bien remarqué : « Il a pris le ton de Saint-Simon pour tout ce qui touche à l'univers des Guermantes, il a ‘’intériorisé’’ ce style et, par là, découvert le sien. »


D’autre part, la narration fut émaillée d’innombrables sentences et maximes qui requièrent un registre de haut niveau. Mais elle dériva trop souvent dans de très compactes démonstrations, qui se déployèrent souvent dans de ces longues phrases (la plus longue, où Proust voulut embrasser la multitude des « invertis », compte quatre cent quatorze mots [II, pages 615-618]), phrases aux innombrables méandres, qui sont la tarte à la crème des commentateurs, qui les ont souvent attribuées à son asthme, et ont beaucoup fait pour sa gloire.

S’il a pu être concis (ainsi dans l'incipit si court de cette œuvre si longue : « Longtemps, je me suis couché de bonne heure»), si, à de très rares fois, il a pu être d’une extrême brièveté (l’énigmatique « Cf. poker » [II, page 412] par lequel Saint-Loup assimile les manigances politiques allemandes à celles que ce jeu permet - l’étonnante apostrophe : « Méduse ! Orchidée! » (II, page 626) - le cri « Bouleversements de toute ma personnalité » [II, page 755] qui annonce la découverte que fit Marcel du retour dans sa mémoire du « visage tendre, préoccupé et déçu de ma grand’mère » [II, page 756] - le « Long à écrire. » [III, page 1043] qui est comme un soupir de découragement au moment où Marcel se fixe sa tâche d’écrivain), il a, à la parution de ses œuvres, étonné par la dimension de ses phrases, car, autour des années 1900, la critique universitaire, les diverses catégories de romanciers et les auteurs dramatiques, avaient mis à la mode une phrase brève et précise, au contenu variable selon le genre, mais toujours intelligible à la première lecture. Seuls quelques poètes symbolistes, que du reste il n'aimait pas, l'avaient précédé dans le maniement de la phrase longue et sinueuse.

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