Ana səhifə

André Durand présente l’intérêt littéraire de ‘’À la recherche du temps perdu’’


Yüklə 0.67 Mb.
səhifə4/9
tarix24.06.2016
ölçüsü0.67 Mb.
1   2   3   4   5   6   7   8   9

- Mme Verdurin est dite « souffrant pour ses migraines de ne plus avoir de croissant à tremper dans son café au lait,» (III, page 772) : on préfèrerait « du fait de ses migraines ».

- « Le voleur, l’assassin […] ne parlent pas leur crime » (III, page 827) : ne s’agirait-il pas d’une simple coquille?

- « Celui-ci, même pour la conversation, pour lui tenir compagnie, pour jouer aux cartes, ne se plaisait plus qu’avec des gens du peuple.» I(III, page 830) : « pour qu’on lui fasse la conversation, pour qu’on lui tienne compagnie, pour qu’on joue aux cartes avec lui » serait plus correct, tous les éléments étant ainsi de même nature.


Avec « un bandeau qu’il fait perpétuellement effort pour arracher» (III, page 300), on a plutôt une maladresse, une faute de style. Mais, demandera-t-on, est-ce possible de la part de Proust? Oui, car son syle n’est pas iréprochable.

Et, d’ailleurs, plutôt que de son style, que sa foisonnante richesse rend inimitable, il faudrait parler de ses styles. Car il écrivit diféremment selon qu'il fit parler les autres (aspect déjà examiné), qu’il décrivit (sa technique pouvant alors être comparée à celle des peintres impressionnistes), qu'il raconta (quelquefois avec verve mais pas toujours avec clarté car il a souvent apporté trop de surcharges, presque toujours dues au désir de marquer la suite des faits, ou leurs relations avec leurs multiples causes), qu'il expliqua (avec la même tendance à se perdre dans les incidentes).



_________________________________________________________________________________
Un style parfois animé
La narration, habituellement languissante, se fit parfois plus vive, en particulier à quelques moments privilégiés où Proust sut manier un style efficace, relativement sobre.
Dans ‘’Combray’’, le récit de l’expérience de la madeleine trempée dans une tasse de thé est ainsi marqué par une grande tension qui le rend aussi passionnant que celui d’une découverte géographique, scientifique ou amoureuse : « À l'instant même où la gorgée mêlée des miettes du gâteau toucha mon palais, je tressaillis, attentif à ce qui se passait d'extraordinaire en moi. Un plaisir délicieux m'avait envahi, isolé, sans la notion de sa cause. Il m'avait aussitôt rendu les vicissitudes de la vie indifférentes, ses désastres inoffensifs, sa brièveté illusoire, de la même façon qu'opère l'amour, en me remplissant d'une essence précieuse : ou plutôt cette essence n'était pas en moi, elle était moi. J'avais cessé de me sentir médiocre, contingent, mortel. D'où avait pu me venir cette puissante joie? Je sentais qu'elle était liée au goût du thé et du gâteau, mais qu'elle le dépassait infiniment, ne devait pas être de même nature. D'où venait-elle? Que signifiait-elle? Où l'appréhender? [...] Je pose la tasse et me tourne vers mon esprit. C'est à lui de trouver la vérité. Mais comment? Grave incertitude, toutes les fois que l'esprit se sent dépassé par lui-même ; quand lui, le chercheur, est tout ensemble le pays obscur où il doit chercher et où tout son bagage ne lui sera de rien. Chercher? pas seulement : créer. Il est en face de quelque chose qui n'est pas encore et que seul il peut réaliser, puis faire entrer dans sa lumière. [...] Arrivera-t-il jusqu'à la surface de ma claire conscience, ce souvenir, l'instant ancien que l'attraction d'un instant identique est venue de si loin solliciter, émouvoir, soulever tout au fond de moi? Je ne sais. Maintenant je ne sens plus rien, il est arrêté, redescendu peut-être ; qui sait s'il remontera jamais de sa nuit? Dix fois il me faut recommencer, me pencher vers lui. Et chaque fois la lâcheté qui nous détourne de toute tâche difficile, de toute œuvre importante, m'a conseillé de laisser cela, de boire mon thé en pensant simplement à mes ennuis d'aujourd'hui, à mes désirs de demain qui se laissent remâcher sans peine. / Et tout d'un coup le souvenir m'est apparu. » (I, pages 44-48). Pour le texte complet et son analyse, voir PROUST- la madeleine.
Puis, dans ‘’Un amour de Swann’’, on partage l’angoisse de celui-ci dans son ardente recherche d’Odette qui va le faire prendre conscience de son amour : « Elle n’était pas chez Prévost ; il voulut chercher dans tous les restaurants des boulevards. Pour gagner du temps, pendant qu’il visitait les uns, il envoya dans les autres son cocher Rémi [...] qu’il alla attendre ensuite - n’ayant rien trouvé lui-même - à l’endroit qu’il lui avait désigné. La voiture ne revenait pas et Swann se représentait le moment qui approchait, à la fois comme celui où Rémi lui dirait : ‘’Cette dame est là’’ et comme celui où Rémi lui dirait : ‘’Cette dame n’était dans aucun des cafés’’. Et ainsi il voyait la fin la soirée devant lui, une et pourtant alternative, précédée soit par la rencontre d’Odette qui abolirait son angoisse, soit par le renoncement forcé à la trouver ce soir, par l’acceptation de rentrer chez lui sans l’avoir aperçue. [...] Il faut que nous trouvions cette dame ; c’est de la plus haute importance. Elle serait extrêmement ennuyée, pour une affaire, et froissée, si elle ne m’avait pas vu. [...] On commençait à éteindre partout. Sous les arbres des boulevards, dans une obscurité mystérieuse, les passants plus rares erraient, à peine reconnaissables. Parfois l’ombre d’une femme qui s’approchait de lui, lui murmurant un mot à l’oreille, lui demandant de la ramener, fit tressaillir Swann. Il frôlait anxieusement tous ces corps obscurs comme si, parmi les fantômes des morts, dans le royaume sombre, il eût cherché Eurydice. [...] Il poussa jusqu’à la Maison Dorée, entre deux fois chez Tortoni et, sans l’avoir vue davantage, venait de ressortir du Café Anglais, marchant à grands pas, l’air hagard, pour rejoindre sa voiture qui l’attendait au coin du boulevard des Italiens, quand il heurta une personne qui venait en sens contraire : c’était Odette. » (I, pages 228-231).
On assiste ensuite à l’incursion nocturne de Swann à ce qu’il croyait être la fenêtre d’Odette : Un soir où, à sa demande de « catleyas », elle avait répondu : « Mais non, mon petit, pas de catleyas ce soir, tu vois bien que je suis souffrante ! », il dut la quitter ; mais « l’idée lui vint brusquement que peut-être Odette attendait quelqu’un » ; il revint et vit une seule fenêtre éclairée qui auparavant «le réjouissait et lui annonçait : ‘’elle est là qui t’attend’’ et qui maintenant, le torturait en lui disant : ‘’elle est là avec celui qu’elle attendait’’ [...] Certes, il souffrait [...] Et pourtant il était content d’être venu : le tourment qui l’avait forcé de sortir de chez lui avait perdu de son acuité en perdant de son vague. [...] Et peut-être, ce qu’il ressentait en ce moment de presque agréable, c’était autre chose aussi que l’apaisement d’un doute et d’une douleur : un plaisir de l’intelligence [...] la passion de la vérité. [...] Sur le point de frapper contre les volets, il eut un moment de honte en pensant qu’Odette allait savoir qu’il avait eu des soupçons. [...] Elle lui avait dit souvent l’horreur qu’elle avait des jaloux, des amants qui espionnent. Ce qu’il allait faire était bien maladroit, et elle allait le détester désormais, tandis qu’en ce moment encore, tant qu’il n’avait pas frappé, peut-être même en le trompant, l’aimait-elle. [...] Mais le désir de connaître la vérité était plus fort et lui sembla plus noble. [...] Il éprouvait une volupté à connaître la vérité qui le passionnait dans cet exemplaire unique, éphémère et précieux, d’une matière translucide, si chaude et si belle. Et puis l’avantage qu’il se sentait - qu’il avait tant besoin de se sentir - sur eux, était peut-être moins de savoir, que de pouvoir leur montrer qu’il savait. Il se haussa sur la pointe des pieds. Il frappa. [...] Maintenant, il n’y avait plus moyen de reculer et, puisqu‘elle allait tout savoir, pour ne pas avoir l’air trop malheureux, trop jaloux et trop curieux, il se contenta de crier d’un air négligent et gai : - Ne vous dérangez pas, je passais par là, j’ai vu de la lumière, j’ai voulu savoir si vous n’étiez plus souffrante. Il regarda. Devant lui, deux vieux messieurs étaient à la fenêtre, l’un tenant une lampe, et alors, il vit la chambre, une chambre inconnue. [...] Il s’éloigna en s’excusant et rentra chez lui, heureux que la satisfaction de sa curiosité eût laissé leur amour intact et qu’après avoir simulé depuis si longtemps vis-à-vis d’Odette une sorte d’indifférence, il ne lui eût pas donné, par sa jalousie, cette preuve qu’il l’aimait trop, qui, entre deux amants, dispense, à tout jamais, d’aimer assez, celui qui la reçoit.» (I, pages 272-275).
Le terrible et dérisoire engrenage dans lequel Swann s’était engagé en vouant à Odette un jaloux attachement apparut encore dans cette autre de ses enquêtes : « Un jour que Swann était sorti au milieu de l’après-midi pour faire une visite, n’ayant pas trouvé la personne qu’il voulait rencontrer, il eut l’idée d’entrer chez Odette à cette heure où il n’allait jamais chez elle, mais où il savait qu’elle était toujours à la maison à faire sa sieste ou à écrire des lettres avant l’heure du thé, et où il aurait plaisir à la voir un peu sans la déranger. Le concierge lui dit qu’il croyait qu’elle était là ; il sonna, crut entendre du bruit, entendre marcher, mais on n’ouvrit pasAnxieux, irrité, il alla dans la petite rue où donnait l’autre face de l’hôtel, se mit devant la fenêtre de la chambre d’Odette ; les rideaux l’empêchaient de rien voir, il frappa avec force aux carreaux, appela ; personne n’ouvrit. Il vit que des voisins le regardaient. Il partit, pensant qu’après tout, il s’était peut-être trompé en croyant entendre des pas ; mais il en resta si préoccupé qu’il ne pouvait penser à autre chose. Une heure après, il revint. Il la trouva ; elle lui dit qu’elle était chez elle tantôt quand il avait sonné, mais dormait ; la sonnette l’avait éveillée, elle avait deviné que c’était Swann, elle avait couru après lui, mais il était déjà parti. Elle avait bien entendu frapper aux carreaux.» (I, pages 277-278).
Proust se délecta aussi à faire peser le mystère du personnage de Charlus sur un Marcel particulièrement naïf, comme on le voit lors de la visite qu’il lui rendit. Il le fit d’abord attendre longtemps dans un salon avant de l’accueillir « en robe de chambre chinoise, le cou nu, étendu sur un canapé », fixant sur lui « des yeux implacables », ne répondant pas à son salut. « Je regardais M. de Charlus. Certes sa tête magnifique, et qui répugnait, l’emportait pourtant sur celle de tous les siens ; on eût dit Apollon vieilli ; mais un jus olivâtre, hépatique, semblait prêt à sortir de sa bouche mauvaise ; pour l’intelligence, on ne pouvait nier que la sienne, par un vaste écart de compas, avait vue sur beaucoup de choses qui resteraient toujours inconnues au duc de Guermantes. Mais de quelques belles paroles qu’il colorât toutes ses haines, on sentait que, même s’il y avait tantôt de l’orgueil offensé, tantôt un amour déçu, ou une rancune, du sadisme, une taquinerie, une idée fixe, cet homme était capable d’assassiner et de prouver à force de logique et de beau langage, qu’il avait eu raison de le faire et n’en était pas moins supérieur de cent coudées à son frère, sa belle-sœur, etc., etc. » (II, page 555). Montrant une « colère froide », il lui fit alors une scène violente, en apparence incompréhensible, proféra des reproches, « en pesant tous les termes, dont il faisait précéder les plus impertinents d’une double paire de consonnes » (II, page 554). Il lui déclara : « Je vous ai soumis à l’épreuve que le seul homme éminent de notre monde appelle avec esprit l’épreuve de la trop grande amabilité et qu’il déclare à bon droit la plus terrible de toutes, la seule qui puisse séparer le bon grain de l’ivraie. Je vous reprocherais à peine de l’avoir subie sans succès, car ceux qui en triomphent sont bien rares. Mais du moins, et c’est la conclusion que je prétends tirer des dernières paroles que nous échangerons sur terre, j’entends être à l’abri de vos inventions calomnieuses.» (II, page 556). Il lui reprocha d’avoir « laissé sans réponse la proposition » qu’il lui avait faite et, « avec vraiment des pleurs dans sa voix », se plaignit qu’il n’ait pas eu de considération pour son âge, lui révéla : « J’avais conçu pour vous des choses infiniment séduisantes que je m’étais bien gardé de vous dire » (II, page 557), lui retira sa sympathie. Marcel, pensant avoir lui-même été « perfidement calomnié » (II, page 559), se mit en colère, et cet affrontement fut suivi d'une demi-réconciliation, quand, comme il le faisait partir et qu’ils traversaient « le grand salon verdâtre », le jeune garçon le calma en lui disant qu’il le trouvait beau. Charlus prévit même une autre visite où il lui donnerait « une édition curieuse de Mme de Sévigné ». (II, page 563). On le voit, cette scène est l’une des plus fortes d’’’À la recherche du temps perdu’’, comique et pathétique se mêlant, le jeune garçon faisant enfin preuve de quelque énergie.
La lumière se fit enfin chez Marcel, il comprit la raison de tout ce qui lui avait paru si surprenant, il découvrit la vraie nature du baron, trouva la clef de toute son étrange personnalité, quand il le surprit dans sa « conjonction » avec Jupien, scène capitale, contée avec brio. « M. de Charlus, lequel, allant chez Mme de Villeparisis, traversait lentement la cour, bedonnant, vieilli par le plein jour, grisonnant. » (II, page 602). Puis il ressortit de chez la marquise et, comme il avait « relâché, dans son visage, cette tension, amorti cette vitalité factices, qu’entretenaient chez lui l’animation de la causerie et la force de la volonté », il lui apparut «  pâle comme un marbre, il avait le nez fort, ses traits fins ne recevaient plus d’un regard volontaire une signification différente qui altérât la beauté de leur modelé […] Je regrettais pour lui qu’il adultérât habituellement de tant de violences, d’étrangetés déplaisantes, de potinages, de dureté, de susceptibilité et d’arrogance, qu’il cachât sous une brutalité postiche l’aménité, la bonté qu’au moment où il sortait de chez Mme de Villeparisis, je voyais s’étaler si naïvement sur son visage […] Ce à quoi me faisait penser cet homme qui était si épris, qui se piquait si fort de virilité, à qui tout le monde semblait odieusement efféminé, ce à quoi il me faisait penser tout d’un coup, tant il en avait passagèrement les traits, l’expression, le sourire, c’était à une femme». Or, « ayant soudain largement ouvert ses yeux mi-clos, il regardait avec une attention extraordinaire l’ancien giletier sur le seuil de sa boutique, cependant que celui-ci, cloué subitement sur place devant M. de Charlus, enraciné comme une plante, contemplait d’un air émerveillé l’embonpoint du baron vieillissant. Mais, chose plus étonnante encore, l’attitude de M. de Charlus ayant changé, celle de Jupien se mit aussitôt, comme selon les lois d’un art secret, en harmonie avec elle. Le baron, qui cherchait maintenant à dissimuler l’impression qu’il avait ressentie, mais qui, malgré son indifférence affectée, semblait ne s’éloigner qu’à regret, allait, venait, regardait dans le vague de la façon qu’il pensait mettre le plus en valeur la beauté de ses prunelles, prenait un air fat, négligent, ridicule. Or Jupien, perdant aussitôt l’air humble et bon que je lui avais toujours connu, avait - en symétrie parfaite avec le baron - redressé la tête, donnait à sa taille un port avantageux, posait avec une impertinence grotesque son poing sur la hanche, faisait saillir son derrière, prenait des poses avec la coquetterie qu’aurait pu avoir l’orchidée pour le bourdon providentiellement survenu.[…] Chaque fois que M. de Charlus regardait Jupien, il s’arrangeait pour que son regard fût accompagné d’une parole […] Toutes les deux minutes, la même question semblait intensément posée à Jupien dans l’œillade de M. de Charlus […] Quel que fût le point qui pût retenir M. de Charlus et le giletier, leur accord semblait conclu et ces inutiles regards n’être que des préludes rituels […] On eût dit deux oiseaux, le mâle et la femelle, le mâle cherchant à s’avancer, la femelle - Jupien - ne répondant plus par aucun signe à ce manège, mais regardant son nouvel ami sans étonnement, avec une fixité inattentive, jugée sans doute plus troublante et seule utile, du moment que le mâle avait fait les premiers pas, et se contentant de lisser ses plumes. Enfin l’indifférence de Jupien ne parut plus lui suffire ; de cette certitude d’avoir conquis à se faire poursuivre et désirer, il n’y avait qu’un pas et Jupien, se décidant à partir pour son travail, sortit par la porte cochère. Ce ne fut pourtant qu’après avoir retourné deux ou trois fois la tête, qu’il s’échappa dans la rue où le baron, tremblant de perdre sa piste […] s’élança vivement pour le rattraper […] lui demanda du feu, mais observa aussitôt : ‘’Je vous demande du feu, mais je vois que j’ai oublié mes cigares.’’ Les lois de l’hospitalité l’emportèrent sur les règles de la coquetterie. ‘’Entrez, on vous donnera tout ce que vous voudrez’’, dit le giletier, sur la figure de qui le dédain fit place à la joie. La porte de la boutique se referma sur eux.» (II, pages 604-607).
On a vu comment Proust avait suivi avec attention la véritable enquête passionnée que Marcel fit sur le « casser le pot » d’Albertine (III, pages 339-340) : « Jusque-là je m'étais hypnotisé sur le dernier mot : ‘’casser’’, elle avait voulu dire casser quoi? Casser du bois? Non. Du sucre? Non. Casser, casser, casser. Et tout à coup, le retour au regard avec haussement d'épaules qu'elle avait eu au moment de ma proposition qu'elle donnât un dîner, me fit rétrograder aussi dans les mots de sa phrase. Et ainsi je vis qu'elle n'avait pas dit ‘’casser’’, mais ‘’me faire casser’’. Horreur ! c'était cela qu'elle aurait préféré. Double horreur ! car même la dernière des grues, qui consent à cela, ou le désire, n'emploie pas avec l'homme qui s'y prête cette affreuse expression. Elle se sentirait par trop avilie. Avec une femme seulement, si elle les aime, elle dit cela pour s'excuser de se donner tout à l'heure à un homme. » (III, pages 339-340).
Un des sommets dramatiques de l’existence de Marcel fut les quelques heures angoissantes où il voulut laisser sa mère repartir à Paris tandis qu’il resterait seul à Venise. « Ma mère avait décidé que nous partirions, quand à la fin de la journée, quand nos malles étaient déjà parties en gondole pour la gare, je lus dans un registre des étrangers attendus à l’hôtel : ‘’Baronne Putbus et suite’’. Aussitôt, le sentiment de toutes les heures de plaisir charnel que notre départ allait me faire manquer, éleva ce désir, qui existait chez moi à l’état chronique, à la hauteur d’un sentiment, et le noya dans la mélancolie et le vague ; je demandai à ma mère de remettre notre départ de quelques jours. » Mais elle refusa. « Et quand fut venue l’heure où, suivie de toutes mes affaires, elle partit pour la gare, je me fis porter une consommation sur la terrasse, devant le canal, et m’y installai, regardant se coucher le soleil tandis que sur une barque arrêtée en face de l’hôtel un musicien chantait ‘’Sole mio’’. / Le soleil continuait de descendre. Ma mère ne devait pas être maintenant bien loin de la gare. Bientôt elle serait partie, je serais seul à Venise, seul avec la tristesse de la savoir peinée par moi, et sans sa présence pour me consoler. L’heure du train s’avançait. Ma solitude irrévocable était si prochaine qu’elle me semblait déjà commencée et totale. Car je me sentais seul, les choses m’étaient devenues étrangères, je n’avais plus assez de calme pour sortir de mon coeur palpitant et introduire en elles quelque stabilité. La ville que j’avais devant moi avait cessé d’être Venise.» Et, sur plus de deux pages, tandis qu’il se sentit dépossédé de la ville et que se développait ‘’Sole mio’’ qui « s’élevait comme une déploration de la Venise que j’avais connue, et semblait prendre à témoin mon malheur », s’imposa de plus en plus l’urgence de rejoindre sa mère combattue par une impossibilité de se décider jusqu’à ce que « d’antres plus obscurs que ceux d’où s’élance la comète qu’on peut prédire » [...] mon action surgit enfin : je pris mes jambes à mon cou et j’arrivai, les portières déjà fermées, mais à temps pour retrouver ma mère rouge d’émotion, se retenant pour ne pas pleurer car elle croyait que je ne viendrais plus. » (III, page 653).
Un intermède bouffon fut ménagé quand le prince de Guermantes donna à Morel un rendez-vous au ‘’Palace’’ de Maineville, « une maison de prostitution », rendez-vous dont Charlus eut vent. Il fit venir Jupien pour qu’il obtienne qu’on les cachât et qu’ils puissent ainsi assister à la scène ; mais Morel, qui était « avec trois dames », ayant été prévenu que « deux messieurs avaient payé fort cher pour le voir », resta « paralysé par la stupeur » quand il vit le baron (II, pages 1077-1081). Le lendemain, un autre rendez-vous ayant été donné par le prince de Guermantes, cette fois dans la villa qu’il habitait, Morel vit alors une photographie de Charlus et, « fou de terreur », s’enfuit. (II, pages 1081-1082).
Enfin, dans l’invraisemblable, superflu mais intense épisode de l’hôtel de Jupien, le récit prit des allures de roman naturaliste sinon de roman policier. Entré par hasard dans un hôtel, d'où il lui sembla voir sortir Saint-Loup (III, page 810), Marcel écouta à l’intérieur une conversation entre des militaires et des ouvriers qui lui fit croire qu’« un crime atroce allait y être consommé si on n’arrivait pas à temps pour le découvrir et faire arrêter les coupables» (III, pages 811, 812). Il vit le patron entrer, « chargé de plusieurs mètres de grosses chaînes de fer capables d’attacher plusieurs forçats » (III, page 814). Cela excita sa « curiosité » au point qu’après avoir obtenu une chambre, il en sortit pour monter à l’étage supérieur, aller jusqu’à « une chambre qui était isolée au bout d’un couloir » d’où lui « semblèrent venir des plaintes étouffées. Je marchai rapidement dans cette direction et appliquai mon oreille à la porte. ‘’Je vous en supplie, grâce, pitié, détachez-moi, ne me frappez pas si fort, disait une voix. Je vous baise les pieds, je m’humilie, je ne recommencerai pas. Ayez pitié. - Non, crapule, répondit une autre voix, et puisque tu gueules et que tu te traînes à genoux, on va t’attacher sur le lit, pas de pitié’’, et j’entendis le bruit du claquement d’un martinet, probablement aiguisé de clous, car il fut suivi de cris de douleur. Alors je m’aperçus qu’il y avait dans cette chambre un œil-de-bœuf latéral dont on avait oublié de tirer le rideau ; cheminant à pas de loup dans l’ombre, je me glissai jusqu’à cet œil-de-bœuf, et là, enchaîné sur un lit comme Prométhée sur son rocher, recevant les coups d’un martinet en effet planté de clous que lui infligeait Maurice, je vis, déjà tout en sang, et couvert d’ecchymoses qui prouvaient que le supplice n’avait pas lieu pour la première fois, je vis devant moi M. de Charlus. / Tout d’un coup la porte s’ouvrit et quelqu’un entra qui heureusement ne me vit pas, c’était Jupien. Il s’approcha du baron avec un air de respect et un sourire d’intelligence : ‘’Hé bien, vous n’avez pas besoin de moi?’’ Le baron pria Jupien de faire sortir un moment Maurice. Jupien le mit dehors avec la plus grande désinvolture. ‘’On ne peut pas nous entendre?’’ dit le baron à Jupien, qui lui affirma que non. […] ‘’Une seconde’’, interrompit Jupien, qui avait entendu une sonnette retentir à la chambre no 3.» (III, pages 815-816).
Dans ces passages, Proust manifesta des qualités de véritable romancier, c’est-à-dire de conteur. Mais, le plus souvent, mémorialiste appesanti sur son moi, essayiste voué à de minutieuses et inerminables réflexions, il déploya un tout autre style.

_________________________________________________________________________________


1   2   3   4   5   6   7   8   9


Verilənlər bazası müəlliflik hüququ ilə müdafiə olunur ©atelim.com 2016
rəhbərliyinə müraciət