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André Durand présente l’intérêt littéraire de ‘’À la recherche du temps perdu’’


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La bourgeoise qu’était Mme Verdurin avait une « vicieuse façon de parler ». Elle montrait à la fois une affectation de familiarité, en produisant un « flot d’expressions toutes faites » (« Je vous dirai que je n'aime pas beaucoup chercher la petite bête et m'égarer dans des pointes d'aiguilles ; on ne perd pas son temps à couper les cheveux en quatre ici, ce n'est pas le genre de la maison» [I, page 213], ) - « Je ne sais pas si comme platine [langage, baratin], celui-là ne damerait pas le pion au professeur » [I, page 257]). Elle qualifia Swann de « sale bête «  (I, page 285), Charlus de « tapette » (III, page 278) et les toiles d’Elstir de « grandes diablesses de compositions », de « grandes machines qu’il expose depuis qu’il ne vient plus chez moi.» (II, page 938). Elle disait « avoir l’air d’une poivrote » (III, page 241), détestait « la Réaction » (I, page 600 : mouvement d’idées, d’action, qui s’oppose au progrès social et vise à rétablir des institutions antérieures), affichait « son horreur de la calotte [le clergé, les prêtres]» (II, page 957), se déclarait « avant tout contre les ‘’calotins’’ [les catholiques] » (II, page 583). Pendant la guerre, elle « tirait gloire d’user des expressions courantes », comme « caviarder » [« biffer à l’encre noire », « censurer », le mot vennat de ce que la pratique était courante en Russie], « limoger » [« relever un officier général de son commandement », ce qu’avait fait Joffre en affectant à Limoges des généraux jugés incapables](III, page 733). Même devenue princesse de Guermantes, elle pouvait encore dire, en parlant de Gilberte : « J’ai énormément connu la mère de cette petite-là ; tenez, c’était une grande amie à ma cousine Marsantes […] Quant au pauvre Saint-Loup, je connaissais d’avance toute sa famille, son propre oncle était mon intime autrefois à la Raspelière. » (III, page 985).
M. Verdurin aussi, tout critique d’art qu’il fut, est épinglé : « il était si ignorant qu’il disait collidor pour corridor » (I, page 259) et, dans ‘’Un amour de Swann’’ fut étalé son goût des clichés quand il dénigra Charlus : « ‘’Il n'est pas franc, c'est un monsieur cauteleux, toujours entre le zist et le zest. Il veut toujours ménager la chèvre et le chou […] Il n'est jamais ni figue ni raisin. […] veut nous la faire à l'homme du monde, au champion des duchesses […] il a cru devoir lancer contre Brichot quelques insinuations venimeuses et assez ridicules. Naturellement, comme il a vu que Brichot était aimé dans la maison, c’était une manière de nous atteindre, de bêcher notre dîner. On sent le bon petit camarade qui vous débinera en sortant […] c’est le raté, le petit individu envieux de tout ce qui est un peu grand. »

Cottard, homme peu assuré, qui manquait de « sens critique », se souciait de bien employer les locutions de la langue française, avait « un zèle de linguiste » (I, page 217), « pour les locutions était insatiable de renseignements [...] plaçait des jeux de mots qu’il avait appris » (I, page 200), osa dire de Vinteuil qu’il était « ce qu’on appelle un musicien di primo cartello » (locution italienne maintenant vieillie désignant des musiciens et des chanteurs au talent incomparable). Pour lui, Marcel était « surtout ‘’toqué’’ » (I, page 499), et, tandis que les Verdurin «ne sont pas des gens chics décatis. Il y a du répondant. On évalue généralement que Mme Verdurin est riche à trente-cinq millions. Vous me parliez de la duchesse de Guermantes. Je vais vous dire la différence : Mme de Verdurin c’est une grande dame, la duchesse de Guermantes est probablement une purée. » (II, pages 880-881).



Elstir, au temps où, chez les Verdurin, il était M. Biche, parlait d’un tableau avec la verdeur des râpins : « Ça sent bon, ça vous prend à la tête, ça vous coupe la respiration, ça vous fait des chatouilles, et pas mèche de savoir avec quoi c’est fait, c’en est sorcier, c’est de la rouerie, c’est du miracle [...] c’en est malhonnête ! [...] et c’est si loyal !» (I , pages 254-255).
La demi-mondaine Odette, qui avait d’ailleurs « un rien d’accent anglais » (III, page 950), sacrifiait à une anglomanie ridicule. Elle voulait voir Swann « dans son ‘’home’’ où elle l’imaginait ‘’si confortable avec son thé et ses livres’’ », dans ce quartier « qui était si peu ‘’smart’’ pour lui qui l’était tant » (I, page 196). Elle avait un appartement « modern-style », donnait des « five o’clock teas » (I, page 594). Elle disait « darling » à Swann (I, page 244), et « my dear » à Marcel qu’elle quitta sur un « Good evening » (I, page 624), à qui elle parlait de « toutes ces ‘’royautés’’, comme disent les Anglais» (I, page 544). Elle prétendait : « Je ne suis pas fishing for compliments » (I, page 191). Elle désignait Françoise comme une « vieille nurse» (I, page 508). Elle disait de Mme de Cambremer : « Je la crois très ‘’pushing’’, ce qui m'étonne d'une femme intelligente » (I, page 534). Swann disant «que Mme Blatin aime à interpeller tout le monde d'un air qu'elle croit aimable et qui est surtout protecteur », Odette l’interrompit : « Ce que nos bons voisins de la Tamise appellent patronizing» (I, page 535). Elle parlait anglais à sa fille afin de n’être pas comprise par Marcel (I, page 583). Elle lui répondit : « Je n’ai pas réalisé », et il (c’est-à-dire Proust) remarqua qu’elle «  employa un terme traduit de l’anglais » (II, page 273). La guerre lui permit de satisfaire encore plus cette anglomanie, car « elle ne se faisait pas faute de citer à tout propos l’expression de ‘’fair play’’ », de parler des « braves ‘’tommies’’ », des « plus lointains ‘’dominions’’ » (III, page 789). Mais elle recourait aussi à des mots d’argot, disant qu’un poète avait, à une amie, « croqué plus de trois cent mille francs » (I, page 241), trouvant « tocard » ce qui lui avait paru « chic » quelques années auparavant (I, page 615).
Le professeur de la Sorbonne Brichot était un pédant qui accumulait les mots recherchés : « moult sobronagre, sorbonicole et sorboniforme » (II, page 1051 ; il citait alors Rabelais), « recors » (II, page 1052), qui usait de la langue la plus ornée, sa conversation déployant un feu nourri d’effets littéraires.
Le camarade de Marcel qu’était Bloch, avec beaucoup de prétention et d’ostentation bruyante, se complaisait à des hellénismes voyants, empruntés à Leconte de Lisle, à « la mode néo-homérique » qui firent dire à Norpois : « Il est assez amusant, avec sa manière de parler un peu vieux jeu, un peu solennelle » (II, page 243). Ainsi, « il jura par le Kroniòn Zeus, gardien des serments » et ajouta : « Crois-moi et que la noire Kèr me saisisse à l’instant et me fasse franchir les portes d’Hadès, odieux au hommes, si…» (I, page 745) ; au sujet des deux officiers mêlés à l’affaire Dreyfus, il s’écria : « La divine Athéné, fille de Zeus, a mis dans l’esprit de chacun le contraire de ce qui est dans l’esprit de l’autre. Et ils luttent l’un contre l’autre, tels deux lions. Le colonel Picquart avait une grande situation dans l’armée, mais sa Moire l’a conduit du côté qui n’était pas le sien. L’épée des nationalistes tranchera son corps délicat et il servira de pâture aux animaux carnassiers et aux oiseaux qui se nourrissent de la graisse des morts. » (II, page 234). Mais, changeant de ton à la déclaration de la guerre, il « n’avait pas envie de se faire ‘’trouer la peau pour Guillaume’’ » (III, page 740) et disait à Saint-Loup qui faisait preuve de courage : « Naturellement, vous canneriez » (III, page 744 : « vous reculeriez devant le danger »). Marcel nota chez lui cette affectation de prononciation : « Je trouve cela tout de même fffantastique. » (III, page 890).
Des aristocrates provinciaux que sont les Cambremer, Marcel remarqua qu’ils prononçaient « Ch'nouville » pour « Chenouville » (II, page 819), que Mme de Cambremer, qui était née Legrandin mais était « quelque peu livresque dans son langage », déclara : « Tout de même, il me semble que si j’habitais chez les autres, j’aurais quelque vergogne à tout changer ainsi. » (II, page 923) - « De tous ces potins mondains je ne me préoccupe mie » (II, page 928), qu’elle prononçait Saint-Loup « Saint-Loupe » (II, page 978), qu’elle employait le mot « cheveu » pour « chevelure » (II, page 929), etc..
Le duc de Guermantes, tout grand aristocrate qu’il fut (qui prononçait Villeparisis « Viparisi » [II, page ]) et en dépit de son « petit carnet rempli de citations » (II, page 237), parlait, selon Marcel, un « mauvais français », disant : « en thèse générale » (II, page 720) et appelant un historien « une érudit » (II, page 239). Comme il employa le mot « drolatique », Marcel commenta : son « bizarre vocabulaire permettait à la fois aux gens du monde de dire qu’il n’était pas un sot et aux gens de lettres de le trouver le pire des imbéciles » (II, page 227). Au sujet du dreyfusisme de Saint-Loup, il vitupéra Rachel avec une verve quelque peu populacière : « Il n’y a pas que sa mère, il ne faut pas nous raconter de craques. Il y a une donzelle, une cascadeuse de la pire espèce qui a plus d’influence sur lui et qui est précisément compatriote du sieur Dreyfus. Elle a passé à Robert son état d’esprit. » (II, pages 236-237) - « Sa petite grue lui aura monté le bourrichon ». « Employant dans la conversation certaines expressions qu’il croyait ancien régime », il parla d’« un bruit qui court les ruelles », affirma : « Je me soucierais de l’opinion du tiers et du quart comme de l’an quarante » - « Je sais quelqu’un à qui cela ferait bougrement plaisir » (II, page 724). Mais il affectait aussi d’employer un langage populaire contemporain, appelant la duchesse « ma bourgeoise » (II, page 580), disant : « les intelllectuels, c’est le ‘’tarte à la crème’’ de ces messieurs » (II, page 238) - « Swann a fait une boulette d’une portée incalculable » (III, page 680), désignant par « frusques » le pardessus de Marcel (II, page 416), par « patelin » le lieu d’origine des Guermantes (II, page 532), en faisant soudain, du tableau qu’il croyait un Velasquez mais que Swann touve affreux, un « croûton » (II, page 580). Marcel remarqua que ce n’était que pour parler de l’affaire Dreyfus qu’il employait l’expression « bel et bien » pour dire : « Ce n’est pas une affaire de religion, mais bel et bien une affaire de politique. » (III, page 40).
La duchesse de Guermantes, « restée fermée à toutes les nouveautés », « n’usait guère que du pur vocabulaire dont eût pu se servir un vieil auteur français » (II, page 495), du « français exquis d’Henri IV », disant, par exemple qu’un tableau « s’est trouvé ‘’ fieffé’’ dans le château » (II, page 526). Marcel goûtait « dans ce qu’elle disait cette grâce française si pure qu’on ne trouve plus ni dans le parler ni dans les écrits du temps présent » (III, page 34). Il constatait : « Ces conversations aristocratiques avaient du reste chez Mme de Guermantes le charme de se tenir dans un excellent français. À cause de cela elles rendaient légitime, de la part de la duchesse, son hilarité devant les mots "viatique", "cosmique", "pythique", "suréminent" qu’employait Saint-Loup.» (II, page 840). Elle refusait d’employer le mot « plumitif » qui était pour elle « une horreur de mot » : « Je ne parle pas ce français-là » (II, page 203). Pour lui, elle se servait d’un parler savoureux, très proche de celui de la paysannerie. Goûtant chez elle « cette grâce française si pure qu'on ne trouve plus ni dans les paroles, ni dans les écrits du temps présent », il entendait dans sa conversation « comme une chanson populaire délicieusement française ». Elle avait « choisi pour la plupart des mots la prononciation qui lui semblait le plus ‘’Île-de-France’’, le plus ‘’champenoise’’ » (ainsi « Fitt-jam » pour « Fitz-James » [III, page 35]). Elle pouvait détacher un mot « comme s’il était entre guillemets, petite affectation de débit qui était particulière à la coterie Guermantes » (I, page 337) ; pour marquer sa désapprobation, elle s’amusait aussi à dire : « Votre Cartier m’a toujours embbaitée. » (III, page 41) et, pendant la guerre rejeter « la KKKKultur » (III, page 1005). Mais fut-ce avec la même fidélité à la langue ancienne qu’elle put indiquer qu’elle était « tapée de cent francs tous les ans par le curé » de Combray (I, page 341), traiter Mme de Montmorency de « vieille crétine » (II, page 749), Mme de Chaussepierre de « chauve-souris inconnue » (III, page 40), Gilberte de « petite horreur » (III, page 1027) et même de « cochonne » (III, page 1028), dire de Rachel : « Je l’ai dénichée» (III, page 1012), craindre « qu’une voiture me demande des prix trop chers pour moi » (III, page 31)?
La conversation du marquis de Norpois « était un répertoire des formes surannées du langage particulières à une carrière, à une classe et à un temps » (I, page 437). Comme il était diplomate, « sortaient de sa bouche un peu trop harmonieuse » des « sons de voix facilement apitoyés » (II, page 529), et il se perdait dans des réserves nuancées. Mais, pendant la guerre, il écrivit des articles, et Charlus se moqua de leur « pullulement d’expressions nouvelles », trouvant que « même la syntaxe de l’excellent Norpois subit du fait de la guerre une altération aussi profonde que la fabrication du pain ou la rapidité des transports. » (III, pages 781, 782).
Chez Saint-Loup qui disait : « Ça ‘’fait’’ assez ‘’vieille demeure historique’’ », Marcel remarqua : il « employait à tout propos ce mot de ‘’faire’’ pour ‘’avoir l’air’’, parce que la langue parlée, comme la langue écrite, éprouve de temps en temps le besoin de ces altérations du sens des mots, de ces raffinements d’expression. » (II, page 71). Le militaire usait en effet d’un langage assez familier : « Mme Swann […] est une ancienne grue. Son mari est juif et elle nous le fait au nationalisme. » (II, page 264) ; pour lui, la duchesse de Guermantes offrait « un gueuleton à tout casser » (II, page 412). Ce langage pouvait même être assez vert : il parlait de « parents qui ont le plus fait la bombe [la fête, la noce, bombance], à commencer par le plus noceur de tous, mon oncle Charlus […] qui à son âge ne dételle pas » (II, pages 691-692) ; faisant l'éloge des maisons de passe, il considérait qu’« il n’y a là qu’on trouve chaussure à son pied, ce que nous appelons au régiment son gabarit » (II, page 693).
Chez Gilberte, on remarque qu’elle dit à Marcel que ses parents ne le « gobent pas » (I, page 490).
Swann avait, avec la duchesse de Guermantes, « une grande analogie dans la façon de s’exprimer et jusque dans la prononciation » ; il employait « les mêmes phrases, les mêmes inflexions, le tour de la coterie Guermantes » (I, page 342). Il s’exprimait avec délicatesses : « Quand il employait une expression qui semblait impliquer une opinion sur un sujet important, il avait soin de l’isoler dans une intonation spéciale, machinale et ironique, comme s’il l’avait mise entre guillemets, semblant ne pas vouloir la prendre à son compte et dire : ‘’la hiérarchie [des arts], vous savez, comme disent les gens ridicules’’. » (I, page 98). Mais il pouvait se montrer plus familier dans le mépris : « Entendre du Wagner pendant quinze jours avec elle qui s’en soucie comme un poisson d’une pomme, ce serait gai ! » (I, page 301).
Le baron de Charlus, qui avait un ton, un accent et une hauteur, où semblait revivre le génie de Saint-Simon, « une voix piaillante et cadencée, sans qu’un seul mouvement, sauf des lèvres, fît bouger son masque grave et enfariné » (III, page 290), prononçait « bourgeois » « en détachant le mot qu’il fit précéder de plusieurs ‘’b’’, et en le soulignant par une sorte d’habitude d’élocution, correspondant elle-même à un goût des nuances dans la pensée qui lui était propre, mais aussi peut-être pour ne pas résister au plaisir de me témoigner quelque insolence. » (III, page 290). D’habitude, avec « l’affectation de grandiloquence qui caractérisait sa conversation » (III, page 302), il se lançait dans de vibrantes et solennelles tirades. Il « se servait, avec le giletier, du même langage qu’il eût fait avec des gens du monde de sa coterie, exagérant même ses tics » (II, page 610), mais était capable, « après une interpolation du langage vulgaire » de redevenir « aussi précieux et hautain qu’il était d’habitude » (II, page 1009). On trouve de telles « interpolations du langage vulgaire » quand, se laissant aller un instant avec Marcel, il lui dit «avec une familiarité et un rire vulgaires : ‘’Mais on s’en fiche bien de sa vieille grand’mère, hein? petite fripouille !’’ » (I, page 767) ; quand il l’appela « ce gosse » (III, page 219) ; quand il lui proposa d’aller chercher sa « pelure » (III, page 288) ; quand, évoquant son passage à la Sorbonne, il se traita de « vieux trumeau » (III, page 291) ; quand il dit d’Odette de Crécy qu’elle n’avait cessé de le « cramponner » (III, page 300) et qu’« elle avait ratissé jusqu’au dernier centime » M. de Crécy (III, page 301) ; quand il s’intéressa aux « petits Parigots, tenez, comme celui qui passe là, avec son air dessalé, sa mine éveillée et drôle » (III, page 807) ; quand il s’adressa à un des membres du « harem » de Jupien : « Toi, c’est dégoûtant, je t’ai aperçu devant l’Olympia avec deux cartons. C’est pour te faire donner du pèze. » (III, page 825). L’alternance fut particulièrement frappante quand, toujours chez Jupien, s’intéressant à un « charmant., délicieux jeune homme », il lui dit : « Monsieur, je suis charmé, je suis enchanté de faire votre connaissance» tandis qu’à Maurice qui l’avait auparavant fouetté, il lança : « Tu ne m’avais jamais dit que tu avais suriné une pipelette de Belleville. » (III, page 826). Sa grandiloquence se déploya évidemment dans la lettre de lui (où il y avait « bien de l’orgueil et de la littérature ») qu’on trouva après sa mort et où il parla de Morel : « Vous savez qu’il a préféré retourner non pas à la poussière et à la cendre d’où tout homme, c’est-à-dire le véritable phoenix, peut renaître, mais à la boue où rampe la vipère. Il s’est laissé choir, ce qui m’a préservé de déchoir. » (III, pages 805-806).
Ainsi, si les propos des personnages d’’’À la recherche du temps perdu’’ ont été notés par un Proust passionné de l’étude de l’état et de l’évolution de la langue, qui dégagea des « lois du langage » dont « l’une veut qu’on s’exprime comme les gens de sa classe mentale et non de sa caste d’origine », l’autre étant « que de temps en temps [...] il naît on ne sait trop comment, soit spontanément, soit par un hasard [...] des modes d’expression qu’on entend dans la même décade dites par des gens qui ne se sont pas concertés pour cela. » (II, page 236), ils participaient aussi chez eux de ce retournement ironique qu’ils connurent presque tous.

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La langue de Marcel
On s’accorde généralement pour considérer qu’en regard de la langue des personnages, celle du narrateur présente une grande homogénéité et qu’elle se tient constamment en un registre très soutenu. Or, à bien l’examiner, on constate une belle variété. On trouve chez lui :
Des mots et expressions familiers :

- « à l’œil » (gratuitement) : Mme de Villeparisis demandait à Bloch de lui « procurer à l’œil des artistes » (II, page 190).

- « apache » (voyou des grandes villes prêt à tous les mauvais coups) : II, pages 261, 617 ; III, pages 204, 817, 830.

- « avoir quelqu’un dans la peau» (« éprouver pour quelqu’un un désir intense ») : « Les rêves réalisent ce qu’on appellerait vulgairement vous mettre une femme dans la peau» (III, page 911).

- « bec » (bouche) : « Bloch me présenta ses sœurs, auxquelles il fermait le bec »  (I, page 739).

- « blondin » (jeune homme à cheveux blonds) : « Le jeune blondin qui jadis était courtisé par les femmes » (III, page 760).

- « la boîte à Bruant » (le cabaret de ce chanteur où l’on était accueilli par « Ah ! voyez c’te gueule, c’te binette. Ah ! voyez c’te gueule qu’elle a. » (III, page 246).

- « boche » (terme de mépris pour « allemand ») : III, page 728.

- « bon coeur » : « le chirurgien bon coeur » (III, page 745).

- « calicot» (commis de magasins de nouveautés) : II, page 161.

- « chichi » (minauderie) : III, page 212.

- « cocotte » (femme de mœurs légères) : II, page 260 - III, page 947.

- « collage » (concubinage) : III, page 679.

- « crever de rage » : « On crève de rage contre le cocher trop lent» (III, page 143).

- « débiner » (décrier, dénigrer) : « Il ne faut pas s’étonner que l’ancienne maîtresse de Saint-Loup débinât la Berma» (III, page 1003).

- « demi-castor » (courtisane de second ordre, demi-mondaine, femme de moeurs légères) : l’expression est appliquée à Rachel, à Mme Verdurin et même à la duchesse de Guermantes qui, « malgré son nom, devait être quelque demi-castor qui n’avait jamais été tout à fait du gratin. » (III, page 993).

- « fâche » (fâcherie) : « de la fâche dans la famille » (II, page 267).

- « faiblards » : « Barrès avait perdu tout talent, et même ses ouvrages de jeunesse étaient faiblards » (II, page 582).

- « faire bon marché » (« ne pas en faire grand cas », « ne pas y attacher d’importance ») : de Venise, de Saint-Marc, des palais, Mme Verdurin « faisait bon marché » (III, page 726).

- « frousse » (peur) : III, page 822 ; d’où « froussard » (peureux) : III, page 816.

- « gaga » (gâteux) : Monsieur d’Argencourt était devenu « un sublime gaga » (III, page 922) ; Mme Swann était devenue « un peu gaga » (III, pages 951, 952).

- « gigolo » (jeune amant d’une femme plus âgée qui l’entretient) : III, pages 163, 826.

- « gober » (avaler, accepter) : « Leur naïveté qui gobe aisément tout ce que leur maîtresse a voulu leur faire croire » (III, page 298) - (estimer) : « Mes parents ne vous gobent pas «  (I, page 490).

- « golf » (gilet de laine) : Albertine (I, page 794) et la crémière (III, page 144) en portaient un.

- « gratin » (partie de la société relevée par ses titres, son élégance, sa richesse) : la duchesse de Guermantes « malgré son nom, devait être quelque demi-castor qui n’avait jamais été tout à fait du gratin. » (III, page 993).

- « se retrouver Gros-Jean comme devant » (être frustré d’un avantage espéré, subir une désillusion) : « l’imaginatif qui, après avoir ainsi rêvassé tout seul, pour son compte, à haute voix, se retrouve, les acclamations imaginaires une fois apaisées, Gros-Jean comme devant » (I, page 731).

- « grue » (prostituée) : « Mme Swann […] est une ancienne grue.» (II, page 264).

- « poser un lapin » (faire attendre quelqu’un en ne venant pas à un rendez-vous) : « Un ‘’lapin’’ que la demoiselle nous a posé » (III, page 66).

- « lever une femme » (séduire et entraîner avec soi) : Charlus procéda avec Morel à Doncières comme « certains de ses parents, quand ils levaient une femme » (II, page 862). Mais Proust envisagea aussi la possibilité qu’offrait Gomorrhe, et l’on voit une « gomorrrhéenne » qui « levait des petites filles et les ramenait chez l’autre,» son amante (III, pages 350-351) !

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