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André Durand présente le résumé de ‘’À la recherche du temps perdu’’ (1913-1927) roman de Marcel proust


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Le temps retrouvé

(posthume, 1927)


Roman de 360 pages
Marcel séjourna à Tansonville chez Gilberte et Robert de Saint-Loup, fit des promenades avec Gilberte qui lui rappelèrent celles de son enfance, bien qu’il semblait éprouver peu de plaisir à revoir Combray. Il avait « le sentiment que jamais je ne serais capable d’écrire, auquel s’ajoutait celui que mon imagination et ma sensibilité s’étaient affaiblies ». Gilberte lui apprit que les côtés de Guermantes et de Méséglise « n’étaient pas aussi inconciliables que j’avais cru ». Elle lui révéla le sens du geste qu'elle lui avait fait jadis : tombée amoureuse de lui le jour où ils s’étaient aperçus à Combray, elle trouvait qu’il était un « joli petit garçon » et aurait voulu qu’il vienne « jouer avec de petits amis, dans les ruines du donjon de Roussainville ». Il l’avait aimée comme il avait aimé Albertine, mais il se disait : « Les femmes qu’on n’aime plus et qu’on rencontre après des années, n’y a-t-il pas entre elles et vous la mort. » Il n’avait même pas envie de lui demander « avec qui elle descendait les Champs-Élysées », autre exemple de « cette incuriosité amenée par le temps ». Il était indifférent sur le plan des sentiments, mais sa vision de son passé en était bouleversée. À ses yeux, Gilberte « résumait tout ce que j'avais désiré dans mes promenades jusqu’à ne pas pouvoir me décider à rentrer. »

« Entre deux promenades ou pendant l’averse », il passait toute sa journée dans sa chambre. « Pendant ces promenades, Gilberte me parlait de Robert comme se détournant d’elle, mais pour aller vers d’autres femmes », tandis que Marcel le savait sodomiste, et constatait les effets de son vice sur ses manières : « il était devenu plus élancé, plus rapide » ; « il ne faisait presque plus preuve vis-à-vis de ses amis, par exemple vis-à-vis de moi, d’aucune sensibilité» ; à Gilberte, « il mentait tout le temps ». Françoise avait de l’estime pour lui, car elle voyait « tout ce qu’il faisait pour Morel ». Il demandait à Marcel, au sujet de Gilberte : « Ne trouves-tu pas qu’elle a quelque chose de Rachel? » Et Marcel remarqua « une similitude réelle de quelques traits (dus par exemple à l’origine hébraïque) », tandis que, dans Robert de Saint-Loup, apparaissait de plus en plus le type Guermantes. Il avait hérité de M. de Charlus son « genre d’amours ». Gilberte en parlait avec Marcel, « non certes relativement à son mari, car elle ignorait, ou feignait d’ignorer tout. » Aussi lui demanda-t-il « si, dans un genre parallèle, Albertine […] avait de ces goûts. » Mais « Gilberte ne put me donner ce renseignement. » Elle lui prêta « un volume du journal inédit des Goncourt » qui lui permit de trouver son « absence de disposition pour les lettres » « moins regrettable ». Sont transcrites des pages où il est question de M.Verdurin, critique d’art, sur le salon Verdurin, et qui lui font écrire : « Prestige de la littérature ! » Il se consola un peu d’être peu doué en se disant que la littérature, en somme, n’est que cela. Mais il constata aussi la faible importance du sujet pour l'œuvre d'art.

« Ces idées, tendant les unes à diminuer, les autres à accroître mon regret de ne pas avoir de dons pour la littérature, ne se présentèrent jamais à ma pensée pendant les longues années où d’ailleurs j’avais tout à fait renoncé au projet d’écrire et que je passai à me soigner, loin de Paris, dans une maison de santé, jusqu’à ce que celle-ci ne pût plus trouver de personnel médical, au commencement de 1916. Je rentrai alors dans un Paris bien différent de celui où j’étais déjà revenu une première fois […], en août 1914. » Mme de Villeparisis était morte dans la solitude. Madame Verdurin était devenue « une des reines de ce Paris de la guerre » où avaient changé les modes féminines, où le «monde» s’était transformé, où « le dreyfusisme était maintenant intégré dans une série de choses respectables et habituelles . […] Il n’était plus ‘’shocking’’ ». Mme Bontemps s’était « solidement installée dans le faubourg Saint-Germain ». Les nouvelles de la guerre étaient répercutées dans le salon Verdurin dont, parmi les nouveaux fidèles, se trouvait Morel qui « n’aurait pas dû être là, pour la raison qu’il n’était nullement réformé. Simplement, il n’avait pas rejoint et était déserteur, mais personne ne le savait. » Il y avait aussi le mari d'Andrée. Mme Verdurin fit des avances à 0dette.

Se donnant un grand rôle politique, se voulant le porte-parole officieux des nouvelles sur la guerre, elle se plaisait à communiquer avec le « G.Q.G. », avec M. Bontemps, grand fonctionnaire qui était un « jusqu’auboutiste », faisant de nombreux « téléphonages ». Elle « tirait gloire d’user des expressions courantes », comme le mot « limoger ». Le salon « s’était transporté momentanément dans un des plus grands hôtels de Paris, le manque de charbon et de lumière rendant plus difficiles les réceptions des Verdurin dans l’ancien logis, fort humide, des Ambassadeurs de Venise. » « Tous les gens les plus intéressants, les plus variés, les femmes les plus élégantes de Paris, étaient ravis de profiter du luxe des Verdurin, qui avec leur fortune allait croissant à une époque où les plus riches se restreignaient faute de toucher leurs revenus. »



« À la tombée du jour », apparaissait dans le ciel « un aéroplane monté par des hommes qui veillaient sur Paris. » Marcel compare les promenades dans le Paris nocturne à celles des soirs de Combray.

Il se souvenait de sa rencontre avec Saint-Loup, en 1914, à la déclaration de guerre où « il avait effacé toutes les impressions peu agréables d’insincérité qu’il avait produites pendant le séjour à Tansonville […] et j’avais reconnu en lui toutes les belles qualités d’autrefois» ; il lui apprit que la duchesse de Guermantes « divorcerait » ; il disait n’avoir pas repris de service car, prétendait-il, il avait peur ; mais, en réalité, « il faisait des pieds et des mains » pour que son engagement fût accepté. Bloch, au contraire, « faisait montre des sentiments les plus chauvins », et avait « quoique myope, été reconnu bon pour le service ». Le patriotisme de Saint-Loup était vrai et faux celui de Bloch. À propos de Saint-Loup, Marcel observait que « en dehors de l’homosexualité, chez les gens les plus opposés par nature à l’homosexualité, il existe un certain idéal conventionnel de virilité, qui, si l’homosexuel n’est pas un être supérieur, se trouve à sa disposition, pour qu’il le dénature d’ailleurs. » Marcel parla à Saint-Loup du directeur du Grand Hôtel qui était « germanophobe », mais qu’on considéra comme « un Boche » et qu’on a « mis dans un camp de concentration », tandis que Saint-Loup lui parla de « l’ancien liftier » qui cherchait à « rentrer » dans l'aviation. Françoise répétait qu’« on ne devait pas abandonner les ‘’pauvres Russes’’, puisqu’on était ‘’alliancé’’ ». Comme elle n’avait pas réussi à « faire réformer son neveu », le maître d’hôtel se plaisait à l’inquiéter, affirmant : « C’est toute la jeunesse qui sera en avant, il n’en reviendra pas lourd ». Marcel avait regagné assez vite sa maison de santé. Il y reçut une lettre de Gilberte qui, « effrayée par les raids perpétuels de ‘’taubes’’ au-dessus de Paris », s’était réfugiée à Tansonville où elle avait été obligée d’héberger « un état-major allemand » sur « la parfaite éducation » duquel « elle ne tarissait pas». Il reçut aussi une lettre de Saint-Loup où il analysait la guerre, trouvait que « des mots comme ‘’passerons pas’’ ou ‘’on les aura’’ ne sont pas agréables » car « c’est ennuyeux de construire une épopée sur des termes qui sont pis qu’une faute de grammaire ou une faute de goût », admirait l’« héroïsme » des « gens du peuple » qui donne « une belle idée des Français ». À son second retour à Paris, Marcel reçut une nouvelle lettre de Gilberte, où elle disait être allée à son voyage à Tansonville « pour rencontrer les Allemands et défendre contre eux son château » et donnait des précisions sur les combats dans ce secteur. Saint-Loup, venu en permission, lui rendit visite, et Marcel l’avait « approché avec ce sentiment de timidité, avec cette impression de surnaturel que donnaient au fond tous les permissionnaires » ; ils avaient échangé des propos sur la beauté des raids nocturnes d’aviation et des considérations stratégiques. Pour Marcel, « si la guerre n’avait pas grandi l’intelligence de Saint-Loup, cette intelligence conduite par une évolution où l’hérédité entrait pour une grande part, avait pris un brillant que je ne lui avais jamais vu» ; mais il lui paraissait moins original cependant que son oncle Charlus dont « il était comme un successeur ». Marcel appréciait la beauté du Paris nocturne qui lui donna une « impression d'Orient ». Il fit la rencontre de M. de Charlus qu’il eut du mal à reconnaître car l'air commun à tous les invertis couvrait tout chez lui ; il s’était brouillé avec Mme Verdurin qui faisait preuve de malveillance à son égard, le trouvait « avant-guerre » et demandait : « Est-ce qu’il n’est pas autrichien? » ; il prenait un sombre plaisir à énumérer ses amis morts, parmi lesquels Charles Swann ; aussi vivait-il « dans un isolement relatif » ; il subissait encore l’ingratitude de Morel auquel il avait obtenu une place dans la presse où il écrivait des chroniques scandaleuses où il l’attaquait, l’appelant « Frau Bosch », « Tante de Frankfort » ou « Gaillard d’arrière ». Marcel jugeait la gigantesque querelle entre la France et l'Allemagne à la lumière de celles qu’il avait lui-même connues ; il était devenu méfiant à l’égard des nations depuis qu’il avait été trahi. Malgré la guerre, « la vie continuait presque semblable pour bien des personnes qui ont figuré dans ce récit ». Mme Verdurin, « souffrant pour ses migraines de ne plus avoir de croissant à tremper dans son café au lait, avait fini par obtenir de Cottard une ordonnance qui lui permit de s’en faire faire dans certain restaurant », et « elle reprit son premier croissant le matin que les journaux narraient le naufrage du ‘’Lusitania’’ ». M. de Charlus affichait sa germanophilie, et les articles de Brichot, où il critiquait le militarisme de l’Allemagne, lui inspiraient des sarcasmes. M. de Charlus et Morel se rencontrèrent : le premier fut suppliant, le second s’esquiva en se moquant, et le baron le menaça : « Prends garde, je me vengerai. » Il souffrait d’être dédaigné par Morel, disant de lui : « C’est un garçon fou de femmes et qui ne pense qu’à cela» alors que Marcel l’avait vu « donner pour cinquante francs une de ses nuits au prince de Guermantes ». Il se moquait aussi des articles de Norpois pour leur « pullulement d’expressions nouvelles ». Marcel observe alors les « extraordinaires enfantillages » de la conversation de Charlus sur la guerre. Quant à Mme de Forcheville, elle prononçait des sottises d'un autre genre, tout en satisfaisant encore plus son anglomanie, car « elle ne se faisait pas faute de citer à tout propos l’expression de ‘’fair play’’ », de parler des « braves ‘’tommies’’ », des « plus lointains ‘’dominions’’ ». Brichot, « quand il se mit à écrire presque quotidiennement des articles », subit une disgrâce chez les Verdurin, Mme Verdurin s'acharnant contre leur ridicule.

Descendant les boulevards avec M. de Charlus, Marcel l’entendit se plaindre de la guerre qui faisait qu’on était plus sûr de « revoir un servant (sic)» ou « ce lieutenant anglais qui vient peut-être pour la première fois et sera peut-être tué demain », trahissant ainsi son vice. Il l’entendit encore prononcer une harangue défaitiste. Marcel était sensible au spectacle « des aéroplanes qui montaient comme des fusées rejoindre les étoiles, et des projecteurs promenaient lentement, dans le ciel sectionné, comme une pâle poussière d’astres, d’errantes voies lactées. » M. de Charlus aurait voulu renouer avec Morel. Anticipant « de beaucoup d’années », Marcel annonce la peur de M. de Charlus que Morel avouera et qui sera justifiée après la mort du baron par une lettre de lui. Il revient à la conversation avec M. de Charlus qui faisait une comparaison entre le Paris actuel et Pompéi ; qui disait son admiration pour les soldats alliés et allemands. Il quitta Marcel en lui serrant « la main à me la broyer, ce qui est une particularité allemande ». Ayant soif et tous les bars étant fermés, Marcel chercha un hôtel. Il en trouva un d'où il lui sembla voir sortir Saint-Loup. Dans l'hôtel, il écouta une conversation entre des militaires et des ouvriers. Le patron entra, chargé de grosses chaînes. Marcel obtint une chambre, d’où il entendit et vit M. de Charlus fustigé et injurié par un militaire. Apparut Jupien, à qui le baron se plaignit de la mollesse du soldat. Il y avait dans l'hôtel d’autres clients : « un député de l’Action Libérale » qui « avait marié sa fille à midi à Saint-Pierre de Chaillot », « le grand-duc de Russie » qui se faisait appeler M. Lebrun. Jupien présentait à M. de Charlus « un garçon laitier » qui était « surtout un des plus dangereux apaches de Belleville » car le baron était toujours fidèle à un même type d'éphèbe, celui de Morel. Le narrateur dégage alors des lois générales de l'amour. Il retourna dans l'antichambre où « on était très agité d’une croix de guerre qui avait été trouvée par terre, et on ne savait pas qui l’avait perdue, à qui la renvoyer pour éviter au titulaire une punition ». Survinrent « deux clients très élégants, en habit et cravate blanche sous leurs pardessus - deux Russes, me sembla-t-il à leur très léger accent […] partagés entre le désir, la tentation et une extrême frousse», et, dans leurs propos, Marcel décela des déviations révélatrices produites par l’émotion dans le langage. Jupien « s’arrêta stupéfait » en voyant Marcel qui lui expliqua pourquoi il était venu. Des clients demandaient au patron « s’il ne pouvait pas leur faire connaître un valet de pied, un enfant de chœur, un chauffeur nègre. Toutes les professions intéressaient ces vieux fous, dans la troupe toutes les armes, et les alliés de toutes les nations. Quelques-uns réclamaient surtout des Canadiens, subissant peut-être à leur insu le charme d’un accent si léger qu’on ne sait pas si c’est celui de la vieille France ou de l’Angleterre. À cause de leur jupon et parce que certains rêves lacustres s’associent souvent à de tels désirs, les Écossais faisaient prime.» « Le baron entra, marchant assez difficilement à cause des blessures, dont il devait sans doute pourtant avoir l’habitude », se tenant au milieu du « harem » de jeunes gens qui « tous semblaient le connaître ». M. de Charlus parti, Marcel fut intrigué par « une personne qui me parut une dame assez âgée, en jupe noire. Je reconnus bientôt mon erreur, c’était un prêtre. » Jupien donna des explications sur sa maison qu’il avait prise « uniquement pour rendre service au baron et distraire ses vieux jours». Alors qu’il parlait à Marcel éclata « le bruit d’une détonation, une bombe que les sirènes n’avaient pas devancée. […] Bientôt les tirs de barrage commencèrent. » Marcel s’enfuit par les rues « entièrement noires », éclairées enfin par « les flammes d’un incendie » Il pensa que la maison de Jupien avait pu être détruite et que « les Pompéiens » qui s’y trouvaient avaient pu y être ensevelis. Mais il en retrouva plusieurs dans les couloirs du métro où régnait une obscurité propice qui permettait de « mordre à même le fruit sans le convoiter des yeux et sans demander de permission ».

« Dans une même salle beaucoup d’hommes, qui n’avaient pas voulu fuir, s’étaient réunis. » Ils appartenaient à un « monde riche et aristocratique. L’aspect de chacun avait quelque chose de répugnant qui devait être la non-résistance à des plaisirs dégradants. » Marcel, « tout en [s]e rapprochant de [s]a demeure, songeai[t] combien la conscience cesse vite de collaborer à nos habitudes. » Il trouvait Jupien très doué « sous le rapport de l’intelligence et de la sensibilité ». Il s’étonnait que M. de Charlus n’ait pas pu « refuser à sa sensualité certaines satisfactions dans lesquelles il semble qu’on ne pourrait avoir comme excuse que la démence complète », mais devait admettre que, dans ces aberrations, se reconnaît cependant l'amour. La fin de l'alerte fut sonnée « comme [il] arrivai[t] à la maison » où, apprit-il de Françoise, Saint-Loup était venu chercher sa croix de guerre perdue. Françoise était toujours torturée par le maître d'hôtel qui était désolé parce que « la victoire des Alliés semblait, sinon rapprochée, du moins à peu près certaine ». Elle allait beaucoup chez des cousins qui étaient millionnaires et s’étaient retirés depuis dix ans à la campagne, mais qui, leur neveu cafetier ayant été tué à la guerre, « s’étaient remis cafetiers sans vouloir toucher un sou ». Ici intervient l’auteur qui déclare : « Dans ce livre où il n’y a pas un seul fait qui ne soit fictif, où il n’y a pas un seul personnage ‘’à clefs’’, où tout a été inventé par moi selon les besoins de ma démonstration, je dois dire à la louange de mon pays que seuls les parents millionnaires de Françoise ayant quitté leur retraite pour aider leur nièce sans appui, que seuls ceux-là sont des gens réels qui existent » et il donne leur nom : « Larivière ». Le départ de Marcel de Paris « se trouva retardé » par la mort de Robert de Saint-Loup, « tué le surlendemain de son retour au front ». Il resta pendant plusieurs jours enfermé dans sa chambre, pensant à lui, se souvenant de son amitié, voyant un secret parallèle entre sa vie et celle d'Albertine. « Françoise prit immédiatement son rôle de pleureuse ». L’enterrement eut lieu dans l’église Saint-Hilaire de Combray. La duchesse de Guermantes, en dépit de « la méchanceté dont elle avait fait preuve à son égard », « pleura toute une journée, tomba malade et mit longtemps - plus d’une semaine, c’était longtemps pour elle - à se consoler ». Et « elle fut peut-être seule, après la révolution russe, à faire preuve à l’égard des grandes-duchesses et des grands-ducs d’un dévouement sans bornes. » M. de Charlus avait promis de se venger : Morel, qui était déserteur, fut arrêté ; mais il fit des révélations qui entraînèrent l’arrestation de M. de Charlus et de M. d'Argencourt. « Morel fut simplement envoyé sur le front ; il s’y conduisit bravement, échappa à tous les dangers et revint, la guerre finie, avec la croix que M. de Charlus avait jadis vainement sollicitée pour lui. ». Marcel imagine ce que Saint-Loup aurait pu faire s’il avait survécu.

Il revint de « la nouvelle maison de santé » où il avait passé « beaucoup d’années » mais n’avait pas été guéri. Dans le train du retour, il fut de nouveau frappé par « la pensée de mon absence de dons littéraires ». Le train s’étant arrêté en pleine campagne, il observa une ligne d’arbres, le long de la voie, éclairés par le soleil jusqu’à la moitié de leur troncs ; n’éprouvant aucun plaisir devant ce spectacle, il s’adressa aux arbres : « Vous n’avez plus rien à me dire, mon cœur refroidi ne vous entend plus. […] Si j’ai jamais pu me croire poète, je sais maintenant que je ne le suis pas. Peut-être dans la nouvelle partie de ma vie, si desséchée, qui s’ouvre, les hommes pourraient-ils m’inspirer ce que ne me dit plus la nature.». Ne voyant pas de raison de ne pas « mener la vie de l’homme du monde », il se rendit à une matinée chez le prince de Guermantes, son nom lui donnant envie de « me rapprocher de mon enfance et des profondeurs de ma mémoire ». Le prince, qui était devenu veuf et appauvri et avait épousé la riche Mme Verdurin après la mort de son premier mari, s’était fait construire un magnifique hôtel avenue du Bois. Au cours du trajet dans une voiture qui traversa les rues qui vont vers les Champs-Élysées, Marcel eut l’impression d’entrer dans un pays merveilleux et connu, celui de son enfance, s’éleva « lentement vers les hauteurs silencieuses du souvenir ». Il rencontra, vieux prince déchu accompagné de Jupien, M. de Charlus qui était « convalescent d’une attaque d’apoplexie », qui consentit à saluer Mme de Saint-Euverte en ôtant un chapeau « d’où les torrents de sa chevelure d’argent ruisselèrent », qui lui susurra des paroles embrouillées mais en « gardant absolument intactes son intelligence » et sa mémoire, ce qui lui permit d’énumérer ses parents et amis morts. La duchesse de Létourville, qui passait, fut choquée de son bredouillement. Jupien donna des détails sur la santé du baron, sa germanophilie, sa polissonnerie persistante. Arrivant chez la princesse, Marcel pensa qu’était frivole le plaisir d'aller à cette matinée mais qu’il n’y avait pas lieu de s’en priver puisqu’il avait renoncé aux joies de la littérature. Dans la cour de l'hôtel de Guermantes, il buta « contre les pavés assez mal équarris ». « Mais au moment où, me remettant d’aplomb, je posai mon pied sur un pavé qui était un peu moins élevé que le précédent, tout mon découragement s’évanouit devant la même félicité qu’à diverses époques de ma vie m’avaient donnée la vue d’arbres que j’avais cru reconnaître dans une promenade en voiture autour de Balbec, la vue des clochers de Martinville, la saveur d’une madeleine trempée dans une infusion, tant d’autres sensations dont j’ai parlé et que les dernières œuvres de Vinteuil m’avaient paru synthétiser. Comme au moment où je goûtais la madeleine, toute inquiétude sur l’avenir, tout doute intellectuel étaient dissipés. Ceux qui m’assaillaient tout à l’heure au sujet de la réalité de mes dons littéraires, et même de la réalité de la littérature, se trouvaient levés comme par enchantement. » Il a reçu une « vision éblouissante et indistincte » d’abord dont il découvrit que « c’était Venise » et « la sensation que j’avais ressentie jadis sur deux dalles inégales du baptistère de Saint-Marc ». On le fit attendre dans la bibliothèque la fin du morceau de musique qu’on jouait dans le salon. De nouvelles sensations exaltantes lui vinrent quand un domestique « cogna une cuiller contre une assiette », bruit qui lui rappela le « bruit du marteau d’un employé qui avait arrangé quelque chose à une roue du train » vers Balbec ; quand un maître d’hôtel lui apporta un plateau avec une serviette « qui avait précisément le genre de raideur et d’empesé de celle avec laquelle j’avais eu tant de peine à me sécher devant la fenêtre, le premier jour de mon arrivée à Balbec ». Il voulut « voir clair le plus vite possible dans la nature de ces plaisirs identiques », se disant que « les vrais paradis sont les paradis qu'on a perdus ». Ces impressions « avaient entre elles ceci de commun que je les éprouvais à la fois dans le moment actuel et dans un moment éloigné », qu’elles faisaient « jouir de l'essence des choses, c’est-à-dire en dehors du temps ». « Tant de fois, au cours de ma vie, la réalité m’avait déçu parce qu’au moment où je la percevais, mon imagination, qui était mon seul organe pour jouir de la beauté, ne pouvait s’appliquer à elle, en vertu de la loi inévitable qui veut qu’on ne puisse imaginer que ce qui est absent. […] Mais ce trompe-l'œil qui mettait près de moi un moment du passé incompatible avec le présent, ce trompe-l’œil ne durait pas. […] Et pourtant je sentais que le plaisir qu'il m’avait, à de rares intervalles, donné dans ma vie, était le seul qui fût fécond et véritable. […] Cette contemplation de l’essence des choses, j’étais maintenant décidé à m’attacher à elle, à la fixer, mais comment? par quel moyen? […] J’avais trop expérimenté l’impossibilité d'atteindre dans la réalité ce qui était au fond de moi-même ; que ce n’était pas plus sur la place Saint-Marc que ce n’avait été à mon second voyage à Balbec, ou à mon retour à Tansonville pour voir Gilberte, que je retrouverais le Temps perdu. » L'œuvre d'art lui parut le seul moyen d'interpréter ces signes en dépit de la difficulté de déchiffrer ce « livre intérieur ». Il en arriva à penser que « cette découverte que l'art pouvait nous faire faire n’était-elle pas, au fond, celle de ce qui devrait nous être le plus précieux, et qui reste d’habitude à jamais inconnu, notre vraie vie. » Il sentait qu’il n’aurait pas à s’« embarrasser des diverses théories littéraires qui m’avaient un moment troublé. » Se trouvant dans la bibliothèque du prince de Guermantes, il ouvrit ‘’François le Champi’’ de George Sand qui suscita en lui l’enfant qu’il avait été, les livres restant unis à ce que nous étions quand nous les lûmes. Il se dit qu’il aurait pu être bibliophile pour réunir les livres liés à « l’histoire de ma propre vie ».

Marcel statuait : « L'idée d'un art populaire ou patriotique me semblait ridicule. »

Il constatait qu’« une image offerte par la vie nous apportait en réalité, à ce moment-là, des sensations multiples et différentes », que « ce que nous appelons la réalité est un certain rapport entre ces sensations et ces souvenirs qui nous entourent simultanément », qu’on ne peut donc se contenter d’«une sorte de film cinématographique », que son « livre essentiel, le seul livre vrai, un grand écrivain n’a pas, dans le sens courant, à l’inventer, puisqu’il existe déjà en chacun de nous, mais à le traduire », qu’«il fallait tâcher d'interpréter les sensations comme les signes d'autant de lois et d'idées, en essayant de penser, c'est-à-dire de faire sortir de la pénombre ce que j'avais senti, de le convertir en un équivalent spirituel. Or, ce moyen qui me paraissait le seul, qu'était-ce autre chose que faire une œuvre d'art? »

Il regrettait que « même dans les joies artistiques, qu’on recherche pourtant en vue de l’impression qu’elles donnent, nous nous arrangeons le plus vite possible à laisser de côté comme inexprimable ce qui est précisément cette impresion même, et à nous attacher à ce qui nous permet d’en éprouver le plaisir sans le connaître jusqu’au fond et de croire le communiquer. […] Aussi combien s’en tiennent là qui n’extraient rien de leur impression, vieillissent inutiles et insatisfaits, comme les célibataires de l'art», ébauches informes de l'artiste. Il s’opposait à ce que « l’intelligence raisonneuse veuille se mettre à juger des œuvres d’art ».



Il refusait toute valeur à « la littérature de notations, puisque c’est sous de petites choses comme celles qu’elle note que la réalité est contenue. » Il considérait que «la grandeur de l'art véritable […] c’était de retrouver, de ressaisir, de nous faire connaître cette réalité loin de laquelle nous vivons […] et qui est tout simplement notre vie », et aussi celle des autres, que « autant qu’il y a d’artistes originaux, autant nous avons de mondes à notre disposition, plus différents les uns des autres que ceux qui roulent dans l’infini. » Il se rendit compte qu’« il me fallait rendre aux moindres signes qui m’entouraient (Guermantes, Albertine, Gilberte, Saint-Loup, Balbec, etc.) leur sens que l'habitude leur avait fait perdre pour moi » ; que les vérités que l'intelligence dégage directement de la réalité « n’ont pas de profondeur parce qu’il n’y a pas eu de profondeurs à franchir pour les atteindre, parce qu’elles n’ont pas été recréées » ; que « tous les matériaux de l'œuvre littéraire, c'était ma vie passée, qui aurait pu se résumer sous ce titre : une vocation » ; que s'était constituée d'instinct sa documentation fondée sur une observation de « riens puérils » parmi lesquels il choisit grâce à son « sentiment du général » ; que les douleurs ressenties, « si pénibles qu’elles soient à l’homme, deviennent précieuses pour l’artiste » ; que la vie des êtres qui lui avaient révélé des vérités n'avait profité qu'à lui ; qu’« un livre est un grand cimetière où sur la plupart des tombes on ne peut plus lire les noms effacés » ; que « l'œuvre à laquelle nos chagrins ont collaboré peut être interprétée pour notre avenir à la fois comme un signe néfaste et comme un signe heureux de consolation […] elle peut être considérée seulement comme un amour malheureux qui en présage fatalement d’autres […] Mais à un autre point de vue, l’œuvre est signe de bonheur, parce qu’elle nous apprend que dans tout amour le général gît à côté du particulier, et à passer du second au premier par une gymnastique qui fortifie contre le chagrin en faisant négliger sa cause pour approfondir son essence » ; que « c'est le chagrin qui développe les forces de l’esprit » et que « les idées sont des succédanés des chagrins » ; qu’« on fait son apprentissage d'homme de lettres » avec « ses sentiments, ses passions, c’est-à-dire les passions, les sentiments de tous » ; que « les chagrins sont des serviteurs obscurs, détestés, contre lesquels on lutte, sous l’empire de qui on tombe de plus en plus, des serviteurs atroces, imposibles à remplacer et qui par des voies souterraines nous mènent à la vérité et à la mort » ; que « les moindres épisodes de ma vie passée avaient concouru à me donner la leçon d’idéalisme dont j’allais profiter aujourd’hui » ; que la « la matière » de l'œuvre « est indifférente et que tout peut y être mis par la pensée, vérité que le phénomène si mal compris, si inutilement blâmé, de l'inversion sexuelle grandit plus encore que celui, déjà si instructif, de l’amour » ; que « chaque lecteur est, quand il lit, le propre lecteur de soi-même. »

Marcel considère que « les rêves que l’on a pendant le sommeil […] aident à mieux comprendre ce qu’a de subjectif, par exemple, l’amour ».

Il s’était rendu compte que « seule la perception grossière et erronée place tout dans l’objet, quand tout est dans l'esprit » ; que l'amour et la haine sont subjectifs.

Il avait « vu les nobles devenir vulgaires quand leur esprit […] était vulgaire. » Il avait pu constater que, pendant l’affaire Dreyfus, « les gens du pouvoir savaient si Dreyfus était coupable ».

Il comprenait que « la matière de mon expérience, laquelle serait la matière de mon livre, me venait de Swann ».

Il pensait que la jalousie crée l'amour et la beauté.


Marcel revint à la matinée chez le prince de Guermantes où le maître d’hôtel vint lui dire qu’il pouvait quitter la bibliothèque et entrer dans les salons, ce qu’il fit en pensant qu’il lui faudrait « réserver [s]a solitude » pour rester attentif à ses sensations comme l’avaient été Chateaubriand (« le gazouillement de la grive » dans ‘’Mémoires d’outre-tombe’’), Gérard de Nerval (dans ‘’Sylvie’’), Baudelaire. Mais « un coup de théâtre se produisit qui allait élever contre [s]on entreprise la plus grave des objections » : il découvrit l’«action destructrice du Temps au moment même où [il] voulai[t] entreprendre de rendre claires, d’intellectualiser dans une œuvre d’art, des réalités extra-temporelles» ; il eut du mal à reconnaître le maître de maison et les invités dont la plupart étaient de ses connaissances mais avaient été littéralement déguisées par l'âge : les uns étaient complètement gâteux, mais d’autres, plus troublants encore, étaient reconnaissables tout en étant devenus différents ; ainsi M. d'Argencourt semblait « un vieux mendiant qui n’inspirait plus aucun respect» et chez « ce sublime gaga » le temps avait aussi changé le caractère. M. de Charlus, « foudroyé et poli » donna à Marcel « l’illusion d’être devant une autre personne »

Les autres gens présents étaient, comme lui, des « poupées baignant dans les couleurs immatérielles des années, des poupées extériorisant le Temps», offrant « comme toutes les images successives, et que je n’avais jamais vues, qui séparaient le passé du présent ». La vie lui apparaissait « comme la féerie où on voit d’acte en acte le bébé devenir adolescent, homme mûr et se courber vers la tombe. »

Mais Marcel eut la révélation que le temps avait passé aussi pour lui. Entra Bloch qui montrait « la docte fatigue des vieillards aimables ». « Comme quelqu’un, entendant dire que j’étais souffrant, demanda si je ne craignais pas de prendre la grippe qui régnait à ce moment-là, un autre bienveillant me rassura en me disant : ‘’Non, cela atteint plutôt les personnes encore jeunes. Les gens de votre âge ne risquent plus grand’chose» (III, page 929)

Pourtant, la duchesse de Guermantes, toujours élégante et brillante, lui dit : « Vous êtes toujours le même. Vous êtes étonnant, vous restez toujours jeune», mais lui donna le sentiment de sa propre vieillesse en lui rappelant qu’il était son plus vieil ami. De même, un jeune homme lui témoigna des sentiments respectueux, en se désignant comme « [son] petit ami ». Ainsi tous « extériorisaient » pour lui le temps. Il constatait que « chez certains êtres le remplacement successif, mais accompli en mon absence, de chaque cellule par d’autres, avait amené un changement complet, une entière métamorphose. »

Gilberte l’invitant à dîner avec elle, il lui répondit : « Si vous ne trouvez pas compromettant de venir dîner seule avec un jeune homme. » Cela le fit méditer : « Je ne m’apercevais pas combien j’avais changé. […] Et maintenant, je comprenais ce qu'était la vieillesse». Mais il appréciait le profit de cette découverte pour son livre. M. de Cambremer lui demanda : « Est-ce que vous avez toujours vos étouffements? » et, sur sa réponse affirmative, ajouta : « Vous voyez que ça n’empêche pas la longévité. » Il observait divers effets du temps : Legrandin avait pris un aspect sculptural ; la vieillesse avait embelli le prince d'Agrigente, car elle fait de certains des adolescents fanés. Il méditait sur ce que c'est que « reconnaître» quelqu'un, sur les difficultés qu'y oppose le temps écoulé, sur les ressemblances imprévues entre des parents, révélées par le temps.

D’un ancien camarade, il ne retrouva que la voix. Il lui fallut admettre l’accélération ou le ralentissement des mesures du temps pour certaines personnes.

S’imposait à lui l’idée de la survivance à travers les générations des « cellules morales qui composent un être ».

Chez Legrandin, il découvrit « avec une satisfaction de zoologiste » des traits de certains de ses parents qui faisaient « de lui comme une caricature plus vraie, plus profonde, que si elle avait été littéralement ressemblante ».

Il remarqua la lutte des femmes contre l’âge.

Mais « certains hommes, certaines femmes ne semblaient pas avoir vieilli ; leur tournure était aussi svelte, leur visage aussi jeune». Cependant, de près, leur figure « apparaissait tout autre ».

Devant les femmes, « on était effrayé, en pensant aux périodes qui avaient dû s’écouler avant que s’accomplît une pareille révolution dans la géologie d’un visage. » « Seule peut-être Mme de Forcheville, comme injectée d’un liquide, d’une espèce de paraffine qui gonfle la peau mais l’empêche de se modifier, avait l’air d’une cocotte d’autrefois à jamais ‘’naturalisée’’. » À un ministre, naguère taré, le temps avait ramené la considération. Si Marcel trouvait que « Mme de Forcheville avait l'air d'une rose stérilisée », il lui fit cependant « des compliments sur sa jeunesse » ; elle lui dit : « Vous êtes gentil, my dear, merci tant, merci tant», mais « les minutes maintenant passées auprès d'elle me semblaient interminables à cause de l’impossibilité de savoir quoi lui dire. »

« Moins de trois ans après », il la revit qui était devenue « un peu gaga ».



Bloch « avait pris non seulement le pseudonyme, mais le nom de Jacques du Rozier », et avait adopté « un chic anglais ». Il demanda à Marcel « de le présenter au prince de Guermantes », ce qu’il fit, estimant qu’il était devenu « un familier » même s’il n’était pas « un véritable homme du monde », et sentant « derrière la hauteur dédaigneuse du prince une grande avidité humaine de connaître les êtres ». Bloch trouvait la princesse de Guermantes « très racée » ; or elle était l'ex-Mme Verdurin que « le prince, ruiné par la défaite allemande, avait épousée » alors qu’elle était devenue « duchesse de Duras », cette entorse au « principe des castes » étant douloureuse pour Marcel qui regrettait les changements amenés par le temps dans la composition du « monde ». Ainsi Morel était entouré de déférence et on considérait qu’Odette « avait épousé un aventurier du nom de Swann, mais qu’ensuite elle avait épousé un des hommes les plus en vue de la société, le comte de Forcheville. » Pour l’épouse américaine du comte de Farcy, Gilberte était liée aux Guermantes parce qu’elle était une Forcheville, erreur comparable, pour Marcel, aux méprises nobiliaires dénoncées par Saint-Simon. Elle fit une erreur aussi sur Mme Leroi, et Marcel commentait : « Pour les gens qui ne savent pas, ces renseignements par la conversation équivalent à ceux que donne la Presse aux gens du peuple […] Cette ignorance […] est aussi un effet (mais cette fois s’exerçant sur l’individu et non sur la couche sociale) du Temps. Sans doute, nous avons beau changer de milieu, de genre de vie, notre mémoire, en retenant le fil de notre personnalité identique, attache à elle, aux époques successives, le souvenir des sociétés où nous avons vécu, fût-ce quarante ans plus tôt. […] Un nom, c'est tout ce qui reste bien souvent pour nous d'un être, non pas même quand il est mort, mais de son vivant. » Il se dit : « De changements produits dans la société je pouvais d’autant plus extraire des vérités importantes et dignes de cimenter une partie de mon œuvre qu’ils n’étaient nullement, comme j’aurais pu être au premier moment tenté de le croire, particuliers à notre époque. » Il se souvint des erreurs que, « à peine parvenu », il avait dû commettre à ses débuts dans le « monde » où il faisait maintenant « la figure d’homme élégant non titré », comme était accepté Bloch qui, « jadis indiscret autant qu’incapable de bienveillance et de conseil », était devenu discret. Il récapitulait ses différentes perspectives sur Mlle Swann, sur Charlus, sur Mme de Guermantes. Il observait : « La diversité des points de ma vie par où avait passé le fil de chacun de ces personnages avait fini par mêler ceux qui semblaient le plus éloignés, comme si la vie ne possédait qu’un nombre limité de fils pour exécuter les dessins les plus différents. » L’image des êtres se modifie dans le souvenir, et changent les idées qu'ils se font les uns des autres. Il mesurait ce qui subsistait, dans sa mémoire et son imagination, du charme de « ces Guermantes qui avaient été pour moi l’objet d’un si grand rêve ».

Sur les gens du monde très âgés planait l’incertitude : « On faisait tous les jours prendre des nouvelles de tant de gens à l’article de la mort. » Mais Marcel y voyait des avantages : « Toute mort est pour les autres une simplification d'existence, ôte le scrupule de se montrer reconnaissant, l’obligation de faire des visites. » Sortit la princesse de Nassau, « cette grande cocotte du monde que j’avais connue autrefois […] qui restait une Marie-Antoinette au nez autrichien, au regard délicieux, conservée, embaumée grâce à mille fards adorablement unis qui lui faisaient une figure lilas ».

Lui « dit un bonjour » « une grosse dame » dans laquelle il ne reconnaissait pas Gilberte : « Nous parlâmes beaucoup de Robert», des « idées qu’il exposait jadis sur l'art de la guerre ».

« Il y a un côté de la guerre qu’il commençait, je crois, à apercevoir, lui dis-je, c’est qu’elle est humaine, se vit comme un amour ou comme une haine, pourrait être racontée comme un roman. »

Gilberte parlait « de Robert avec une déférence qui semblait plus s’adresser à mon ancien ami qu’à son époux défunt » qu’elle n’aimait plus mais auquel elle restait en quelque sorte fidèle en ayant « maintenant pour amie inséparable Andrée ». Elle montrait du dédain pour la nouvelle princesse de Guermantes, « cette tante mauvais teint ». S’étonnant de le trouver dans « un de ces grands tralalas », elle demanda Marcel : « Puisque vous sortez quelquefois de votre tour d’ivoire, des petites réunions intimes chez moi, où j’inviterais des esprits sympathiques, ne vous conviendraient-elles pas mieux? » Mais il avait pris la résolution de ne pas se laisser désormais détourner de son travail par les visites « car le devoir de faire mon œuvre primait celui d’être poli ou même bon. » Cependant, il demanda à Gilberte de l'inviter « avec de très jeunes filles, pauvres s’il était possible, pour qu’avec de petits cadeaux je puisse leur faire plaisir, sans leur rien demander d’ailleurs que de faire renaître en moi les rêveries, les tristesses d’autrefois, peut-être, un jour improbable, un chaste baiser. […] Je me donnais l’excuse d’être attiré par un certain égoïsme esthétique vers les belles femmes qui pouvaient me causer de la souffrance, et j’avais un certain sentiment d’idolâtrie pour les futures Gilberte, les futures duchesses de Guermantes, les futures Albertine que je pourrais rencontrer, et qui, me semblait-il, pourraient m’inspirer. […] J’aurais dû pourtant penser qu’antérieur à chacune était mon sentiment du mystère où elles baignaient. » Il remarqua la duchesse de Guermantes « en grande conversation avec une affreuse vieille femme » qui était Rachel, « c’est-à-dire l’actrice, devenue célèbre, qui allait, au cours de cette matinée, réciter des vers de Victor Hugo et de La Fontaine ». La duchesse pensait toujours « occuper la première situation de Paris », mais « le faubourg Saint-Germain l’ennuyait » et elle préférait « déjeuner avec telle ou telle artiste ».

Marcel observait que « les conglomérats de coteries se défaisaient et se reformaient selon l’attraction d’astres nouveaux destinés d’ailleurs eux aussi à s’éloigner, puis à reparaître, des cristallisations puis des émiettements suivis de cristallisations nouvelles. »

Du fait que la duchesse « avait décidément Rachel pour amie », les nouvelles générations en concluaient que, « malgré son nom, elle devait être quelque demi-castor qui n’avait jamais été tout à fait du gratin. » Mais cette amitié « pouvait signifier que nous nous étions trompés quand nous la croyions hypocrite et mentense dans ses condamnations de l’élégance » ou montrer « l’antipathie qu’avait depuis peu pour Gilberte la versatille duchesse ». Quant à Rachel, son intimité avec la duchesse « tenait d’une façon générale à la fascination que les gens du monde exercent à partir d’un certain moment sur les bohèmes les plus endurcis, parallèle à celle que ces bohèmes exercent eux-mêmes sur les gens du monde. »

Pendant ce temps, la Berma, vexée de la présence de Rachel chez les Guermantes, attendait vainement des invités au goûter qu'elle offrait. Elle était « atteinte d’une maladie mortelle qui la forçait à fréquenter peu le monde». N’étaient venus que sa fille, son gendre et un jeune homme. « Quand la Berma vit l’heure passer et comprit que tout le monde la lâchait, elle fit servir le goûter et on s’assit autour de la table, mais comme pour un repas funéraire. »

Chez le prince de Guermantes, on vit l’actrice, « avant de commencer, chercher partout des yeux d’un air égaré, lever les mains d’un air suppliant et pousser comme un gémissement chaque mot […] plier les genoux, tendre les bras, en berçant quelque être invisible, devenir cagneuse, et tout d’un coup, pour dire des vers fort connus, prendre un ton suppliant», et « chacun se sentit gêné, presque choqué de cette exhibition de sentiments. » Mais Bloch félicita Rachel qui dégrina la Berma.

Marcel se rendit compte « que le temps qui passe n’amène pas forcément le progrès dans les arts. »

Il commentait la conduite de Rachel : « Il ne faut pas s’étonner que l’ancienne maîtresse de Saint-Loup débinât la Berma», n’y voyant que la « rosserie » des comédiennes entre elles.

Mme de Guermantes trouvait la récitation « admirable », car, « au déclin de sa vie », elle « avait senti s’éveiller en soi des curiosités nouvelles ». « Parce qu’à certains soirs elle recevait des souverains », elle « croyait que rien n’était changé à sa situation », mais sa position mondaine avait baissé et elle avait cessé d’avoir de l’esprit. Ses amitiés et ses opinions « s’étaient renouvelées ».

Elle conversa avec Marcel pour lui parler des relations que Basin l’obligeait à avoir avec les femmes avec lesquelles il la trompait. Le duc « était presque le même et seulement plus blanc, étant toujours aussi majestueux et aussi beau ». Marcel constatait les différences entre les souvenirs de la duchesse et les siens.

De Rachel, elle disait : « Je l’ai dénichée, appréciée, prônée, imposée à une époque où personne ne la connaissait et où tout le monde se moquait d’elle. »

« À ce moment se produisit un incident inattendu. Un valet de pied vint dire à Rachel que la fille de la Berma et son gendre demandaient à lui parler», ce à quoi l’actrice consentit après s’y être refusée.

« La vie de la duchesse ne laissait pas d’être très malheureuse » car le duc « s’était épris de Mme de Forcheville » que, dans sa jalousie, il « séquestrait », ce qui ne l’empêchait pas de le tromper, son amour rappelant, notait Marcel, « celui que j’avais eu pour Albertine ». Il prétendait : « Je ne l’avais pas  aperçu et je ne l’eusse sans doute pas reconnu, si on me l’avait clairement désigné. Il n'était plus qu'une ruine, mais superbe. » Mais « il n’avait pas subi la déchéance de son frère ». Il était toujours installé chez Odette dont les invités « étaient trop contents de lui être présentés ». « Dans le faubourg Saint-Germain, ces positions en apparence imprenables du duc et de la duchesse de Guermantes, du baron de Charlus, avaient perdu leur inviolabilité. […] Ainsi change la figure des choses de ce monde ; ainsi le centre des empires et le cadastre des fortunes, et la charte des situations, tout ce qui semblait définitif est-il perpétuellement remanié, et les yeux d’un homme qui a vécu peuvent-ils contempler le changement le plus complet là où justement il lui paraissait le plus impossible. »

Odette avoua à Marcel la « réclusion » qui lui était imposée par le duc, et lui livra des souvenirs de sa vie de « cocotte », car elle avait « entendu dire que les écrivains se plaisent auprès des femmes pour se documenter, se faire raconter des histoires d’amour », « elle s’imaginait, bien que je n’eusse écrit que des articles ou publié que des études, que j’étais un auteur connu ». Elle constatait mélancoliquement : « Au fond, j’ai passé ma vie cloîtrée parce que je n’ai eu de grands amours que pour des hommes qui étaient terriblement jaloux de moi ». Marcel, jugeant qu’elle mentait, « dégagea d’elle à son insu les lois de sa vie ».

Il est répété que « la duchesse était fort malheureuse » ; mais, selon M. de Charlus, «les premiers torts n’avaient pas été du côté de son frère, la légende de pureté de la duchesse était faite en réalité d’un nombre incalculable d’aventures habilement dissimulées. » Mais Marcel « n’avait jamais entendu parler de cela. » La duchesse, reprenant « son point de vue de femme du monde, c’est-à-dire de contemptrice de la mondanité », lui fit visiter l’hôtel, et, dans un salon où l’on écoutait de la musique, ils virent une jeune femme mollement étendue qui était Mme de Saint-Euverte, la femme d’un des petits-neveux de « la madame de Saint-Euverte » que Marcel avait connue. Il appréciait ce « nouvel épanouissement du nom de Saint-Euverte, qui, à tant d’intervalle, marquait la distance et la continuité du Temps». Mme de Guermantes s’étonna : « Comment ces riens-là peuvent-ils intéresser un homme de votre mérite? », se demandant s’il ne venait pas à des soirées comme celle du prince de Guermantes « pour faire des études ». Marcel lui parlant de Gilberte déclencha chez elle des propos haineux : elle l’accusa d’avoir trompé Saint-Loup qui, de ce fait, se serait engagé pour aller à la guerre, la traitant de « petite horreur » et même de « cochonne ». Gilberte présenta à Marcel sa fille.

Mlle de Saint-Loup raviva chez lui l'« idée du Temps passé », temps qui fait que, si on veut raconter une vie, « il faudrait user, par opposition à la psychologie plane dont on use d’ordinaire, d’une sorte de psychologie dans l'espace». Il trouva que « la jeune fille de seize ans » « pleine encore d’espérances, riante, formée des années mêmes que j’avais perdues ressemblait à ma Jeunesse ». « Cette idée du Temps » était pour lui un aiguillon pour concevoir un livre qu’il lui faudrait « préparer minutieusement, avec de perpétuels regroupements de forces, comme une offensive, supporter comme une fatigue, l’accepter comme une règle, le construire comme une église, le suivre comme un régime, le vaincre comme un obstacle, le conquérir comme une amitié, le suralimenter comme un enfant, le créer comme un monde sans laisser de côté ces mystères qui n’ont probablement leur explication dans d’autres mondes et dont le pressentiment est ce qui nous émeut le plus dans la vie et dans l’art. Et dans ces grands livres-là, il y a des parties qui n’ont eu le temps que d’être esquissées, et qui seront sans doute jamais finies, à cause de l’ampleur même du plan de l’architecte. Combien de grandes cathédrales restent inachevées ! » Mais, plus loin, il se vit plutôt bâtir son livre, « je n’ose pas dire ambitieusement comme une cathédrale, mais tout simplement comme une robe. » Françoise, « si vieille maintenant, elle n’y voyait plus goutte », « devinait mon bonheur et respectait mon travail », en particulier ces papiers qu’elle appelait ses « paperoles ». Il pensait : « Oui, à cette œuvre, cette idée du Temps que je venais de former disait qu’il était temps de me mettre ». Mais il devrait se méfier de son corps car « avoir un corps, c’est la grande menace pour l’esprit », même si « l'idée de la mort lui était devenue indifférente » à condition qu’elle survienne après « les mois nécessaires pour écrire ce livre ». Il distinguait le moi mondain et « l’autre moi, celui qui avait conçu son œuvre ». « Bientôt je pus montrer quelques esquisses », mais « personne n’y comprit rien ». « L'idée de la mort s'installa définitivement en moi comme fait un amour ».

Il décida de travailler la nuit. « Mais il me faudrait beaucoup de nuits », d’où une comparaison avec ‘’Les mille et une nuits’’. Il espérait mourir pour son œuvre, comme la graine pour la plante qui va sortir. Avant, il avait à craindre l’usure des forces de sa mémoire. Il donnerait à son œuvre « la forme que j’avais pressentie autrefois dans l’église de Combray, et qui nous reste habituellement invisible, celle du Temps », à l’être humain la dimension de ses années. « Si c’était cette notion du temps évaporé, des années passées non séparées de nous, que j’avais maintenant l’intention de mettre si fort en relief, c’est qu’à ce moment même, dans l’hôtel du prince de Guermantes », il entendit « ce bruit de pas de mes parents reconduisant M. Swann, ce tintement rebondissant, ferrugineux, intarissable, criard et frais de la petite sonnette qui m’annonçait qu’enfin M. Swann était parti et que maman allait monter ». Il lui faudrait descendre « plus profondément en moi ». « J’éprouvais un sentiment de fatigue et d’effroi à sentir que tout ce temps si long non seulement avait, sans une interruption, été vécu, pensé, sécrété par moi, qu’il était ma vie, qu’il était moi-même. » Il était résolu, si la force lui était donnée d’accomplir cette œuvre, à « d’abord décrire les hommes (cela dût-il les faire ressembler à des êtres monstrueux) comme occupant une place si considérable, à côté de celle si restreinte qui leur est réservée dans l’espace, une place au contraire prolongée sans mesure - puisqu’ils touchent simultanément, comme des géants plongés dans les années, à des époques si distantes, entre lesquelles tant de jours sont venus se placer - dans le Temps. »



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André Durand
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