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1958 tableau des états-unis


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Chapitre 5.

L'ASSIMILATION
ET SES PROBLÈMES



I



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Cet afflux massif d'éléments humains disparates, le fond national initial, traditionnel, est-il en mesure de l'assimiler ? Le fameux creuset des races fonctionne-t-il efficacement ? N'est-il pas soumis à une épreuve excessive ?

Qu'est-ce même en somme que l'assimilation ? À quoi s'agit-il d'assimiler tous ces étrangers, ces exotiques ? Les vieux Américains estiment qu'assimiler c'est, avec des immigrants quels qu'ils soient, faire des Anglo-Saxons semblables à eux-mêmes. Il y a cependant une alternative, qui consisterait, par cette fusion des races, à créer un peuple vraiment nouveau, non plus étroitement anglo-saxon, mais américain, selon une conception différente. C'était l'espoir, presque mystique, de Zangwill, ce prophète, quand il écrivait il y a un demi-siècle : « L'Amérique, c'est le creuset des races, le grand creuset de toutes les races de l'Europe, dans lequel elles seront fondues et reformées : le vrai Américain n'est pas encore né ! » De ces deux conceptions, la seconde tend à l'emporter par la force des choses, mais la première répond à l'instinct profond, de plus en plus nostalgique, des descendants de l'immigration première.

Dans le processus de l'assimilation, qui consiste à faire des Américains avec des étrangers, ces derniers ne réagissent pas tous de la même façon dans le creuset. Il y a ceux qui fusionnent facilement et en quelque sorte à basse température, ceux qui ne fusionnent que plus difficilement et à haute température, ceux enfin qui n'arrivent pas à fusionner tout à fait. Les Anglo-Saxons [p. 39] et en général les Nordiques protestants, Anglais, Écossais, Hollandais, Scandinaves, s'assimilent vite et sans peine. C'est le fait d'une certaine communauté de langues et de races, d'une formation religieuse et sociale en somme assez voisine : même conception protestante de l'individu, même civisme, issus de la tradition calviniste, et l'on observe en effet que, quoiqu'ils parlent anglais, les Irlandais, parce que catholiques (peut-être aussi parce qu'« Irlandais »), restent longtemps distincts.

Dans une seconde catégorie, où l'assimilation se fait aussi mais plus lentement, figurent les immigrants non anglo-saxons, généralement catholiques, qui ont de la famille, de l'État, du clergé et de son rôle une conception différente : on les voit, surtout dans les grandes villes, rester longtemps compartimentés, maintenus par leurs prêtres en groupes séparés. Il s'agit de civilisations basées sur la famille ou le clan, ayant le sens des solidarités consanguines lié à un instinct héréditaire de l'épargne ; d'origine artisanale ou paysanne, ayant du travail une notion individualiste, ces témoins d'une phase antérieure de la production sont dépaysés d'abord dans un pays d'équipe où tout tend à s'organiser mécaniquement et collectivement. Dans cette liste il faut ranger les Méditerranéens, les Slaves et en général les immigrants venus après 1880.

La capacité d'absorption de la société américaine est telle que tous les éléments européens finissent par s'y intégrer. C'est seulement avec les races non blanches que l'assimilation ne se fait pas, ou du moins, et pour cause, ne réussit pas à se faire intégralement. Les Nègres, par leurs mœurs, sont authentiquement des Américains, souvent plus Américains que bien des nouveaux venus, mais la couleur de leur peau les empêche de « passer ». Dans leurs « réserves », les rares descendants des Peaux-Rouges se défendent par une résistance passive, et les Mexicains, qui sont aussi des Indiens, demeurent bien des Exotiques. Les jaunes sont capables d'une parfaite assimilation à la vie des États-Unis, mais là encore la race constitue une barrière infranchissable.

Dans les trois cas entrent en jeu deux facteurs, qui sont en lutte : le milieu géographique hâte l'assimilation, l'hérédité la retarde. C'est invariablement l'histoire jetée dans le creuset de la géographie, mais en fin de compte c'est toujours celle-ci qui l'emporte. L'influence du milieu apparaît, notamment dans le nouveau monde, d'une extraordinaire puissance. Les immigrants, surtout ceux de la troisième phase, sont arrivés vieux, [p. 40] chargés de siècles : c'est l'Orient, parfois même l'Orient biblique, jeté sans transition dans le XXe siècle américain, mais il s'ensuit un étonnant, un merveilleux renouvellement : le nouveau venu, qui généralement avait souffert en Europe, secoue et renie son passé, il repart pour une nouvelle vie, dans un environnement continental nouveau ; a-t-il des bras robustes et de l'énergie au travail, on ne lui demande rien d'autre (du moins avant la réaction nationaliste d'après 1918) et il se découvre une dignité d'homme qu'il ne se connaissait pas, celle de celui qui gagne sa vie librement et sans entraves. Il en conçoit pour le pays qui l'accueille ainsi une reconnaissance éperdue, y ayant trouvé, avec l'indépendance, un niveau de vie supérieur.

Stanley, le grand explorateur, qui fut l'un de ces immigrants, a donné, dans son Autobiographie, un vivant tableau de cet état d'esprit :

Peu de semaines après mon arrivée à la Nouvelle-Orléans, j'étais devenu tout différent de caractère et d'esprit. Le sentiment nouveau de ma dignité me faisait redresser de toute ma hauteur et me plongeait dans une sorte d'extase. Les deux pieds carrés du trottoir que j'occupais m'appartenaient bien et aucun homme au monde n'aurait pu me bousculer qu'à ses risques et périls... Ici la pauvreté et l'inexpérience n'avaient rien d'amoindrissant, elles n'étaient pas exposées au mépris de la richesse ou de l'âge mûr. C'étaient là de fières pensées, je respirais plus largement, mes épaules s'élargissaient, mon dos se redressait, mes pas s'allongeaient à mesure que me pénétrait ce sentiment nouveau d'indépendance. Il me faudrait des siècles pour éteindre l'affection que je ressens pour la ville où il me fut révélé qu'un enfant peut devenir un homme 1.

C'est dans un esprit analogue qu'Adlai Stevenson, alors gouverneur de l'Illinois, pouvait dire, en juillet 1952, dans son discours d'accueil à la Convention démocrate de Chicago qui devait le désigner comme candidat à la Présidence :

Jusqu’à il y a trois ans, l'Illinois n'avait jamais eu, en cent ans, que trois gouverneurs démocrates : l'un, John Peter Altgeld, était un immigrant ; le second, Edward F. Dunn, était Irlandais ; le troisième, Henry Horner, était le fils d'un Allemand. Altgeld était protestant, Dunn catholique, Horner juif. Et cela, mes amis, c'est l'Amérique et c'est toute l'histoire américaine, telle qu'elle se reflète dans ces choix de notre parti, ici à Chicago, au milieu des prairies de l'Illinois.

[p. 41]


Comme on comprend, à la lumière de ces citations, la magnifique confiance de l'Américain dans son pays, son optimisme foncier, sa conviction que ce nouveau monde, qui est désormais le sien, représente sur la terre quelque chose de véritablement nouveau ! Telle est la formation américaine, sous réserve que cette atmosphère d'accueil appartient maintenant au passé, dans un milieu où l'immigration est devenue impossible.

Le rythme de l'assimilation obéit à des lois d'une rigueur presque physiologique. La première génération reste habituellement étrangère, s'accumulant en groupes compacts dans certains quartiers, conservant ses mœurs, ses costumes, sa langue : dans certaines rues de New York, on pourrait se croire, même aujourd'hui, à Naples, à Lisbonne ou à Odessa. Par l'école et sous l'action toute-puissante du milieu, la seconde génération s'adapte avec une étonnante aisance : les enfants refusent de parler la langue héréditaire de leur famille et du reste, le plus souvent, ont honte de leurs parents, qu'ils jugent ridicules par leur accent, leur aspect hirsute ; d'où des scènes pénibles, à vrai dire pathétiques. Ces jeunes cependant, Germano-Américains, Italo-Américains, connaissent leur origine, en portent la trace dans leur nom, leur physique, leurs souvenirs ; s'ils renient l'Europe, s'ils cherchent systématiquement à l'oublier, ils conservent une instinctive sympathie pour les pays d'où leur famille est venue. Avec la troisième génération, tout aspect étranger a cessé d'être visible : l'allure est devenue 100 p. cent américaine ; on a éventuellement changé de nom (Troudeau est devenu Waterhole, Sbarboro, Barber), parfois de religion ; le type physique cependant persiste dans une large mesure, justifiant la thèse selon laquelle l'hérédité demeure présente.

Ce rythme se retrouve curieusement partout où il y a immigration, en Argentine, au Brésil, en France, le processus ne pouvant davantage être accéléré que dans les expériences chimiques, mais dans quelle mesure y a-t-il vraiment assimilation ? On voit aisément ce qui s'acquiert vite et sans peine : la langue, que les fils seuls parleront sans accent ; le costume et la coupe de cheveux, les vieux seuls conservant leur barbe hirsute ; l'american way of life, auquel on tient à l'égal d'une religion ; surtout l'allure, l'attitude américaine, s'exprimant dans la recherche du succès, le progrès du niveau de vie, l'habitude de ne pas s'embarrasser du passé. On voit aussi ce que le candidat à l'assimilation a laissé derrière lui, ce qu'il a perdu en route en passant l'Océan : [p. 42] sa tradition ancestrale, que l'école américaine brise sans ménagement et qu'il est du reste le premier à renier ; sa façon européenne de réagir, selon des points de vue anciens adaptés à l'échelle réduite du vieux continent. Le déracinement est effectif, c'est comme si une tige avait été coupée : il y a certaines choses de l'Europe qui ne réussissent jamais à traverser l'Atlantique. Attention, cependant ! Ce déraciné devenu Américain prend bien en surface la suite de la tradition américaine, mais il ne l'a pas faite sienne ; il n'a pas acquis la formation morale du puritain, cet esprit protestant qui est le fondement de la nation ; il a pris l'extérieur, ce qui était facile, mais l'essence risque de lui demeurer étrangère : cet Italien qui sera devenu méthodiste, ce juif converti à l'anglicanisme et qui maintenant s'appelle Smith sont-ils d'authentiques Américains de nature à satisfaire les exigences des Pères de la Constitution ? Nietzsche écrivait dans Zarathoustra : « Il n'est pas facile de comprendre du sang étranger ; chaque peuple a son langage du bien et du mal : l'étranger ne le comprend pas. »

Des problèmes se posent ainsi, qu'avant la seconde moitié du XIXe siècle les États-Unis n'avaient pas pressentis et l'on pense instinctivement à la comparaison du palimpseste, où des inscriptions plus anciennes transparaissent sous des inscriptions plus récentes. Sous un uniforme, sous un masque américain persistent des courants spirituels exotiques :

Les tentes posées par les nomades, chaque soir, dans un pays nouveau, écrit Barrès, n'ont pas la solidité des antiques maisons héréditaires, mais quelle joie pour ces errants de se mêler aux races autochtones et de dire avec elles l'hymne du matin, tandis que, pour l'embellir, la mémoire secrètement y mêle les chants appris la veille chez des étrangers.

La nation américaine a été formée, dans ce qui fait sa force essentielle, par le renoncement puritain générateur d'énergie et par cet esprit civique qui me paraît être la véritable épreuve d'une complète assimilation. Les gens qui, par la suite, sont venus pour profiter plus que pour créer ont surtout emprunté au milieu nouveau des notions matérielles, succès, niveau de vie, qui ne sont pas dans la ligne de l'ancien idéal. De là, dans le fleuve puissant né de tous ces affluents, un courant singulièrement mélangé du meilleur et du pire : civisme anglais et scandinave, solidité allemande, sérieux hollandais, mais aussi génialité erratique irlandaise, réactions juives, pratiques méditerranéennes, [p. 43] influences orientales, que sais-je encore ? C'est sans doute visible à tous les yeux dans la pègre des gangsters ou les machines politiciennes qui lui sont parfois associées, mais ces présences lointaines existent même chez ceux qui sont le plus empressés à les renier. C'est souvent le dernier venu qui s'affirme agressivement le plus Américain, plein de dédain pour ces Européens dont hier encore il faisait partie. Dans sa Case de l'Oncle Sam, Henri Troyat a spirituellement évoqué pareille attitude protectrice de la part d'un de ses amis russes, fraîchement débarqué :

Ici, dit Boris, chacun est élevé dans l'idée de sa responsabilité à l'égard du prochain, c'est une sorte de politesse civique. – N'as-tu pas tendance à voir un peu trop l'Amérique en rose ? – Oh ! non, dit Boris, j'ai horreur de la politesse civique, mais que veux-tu, nous avons cela dans le sang. – Dans le sang ? Tu es d'origine russe, il me semble ! – Il y a trois ans que j'ai passé mon examen pour devenir citoyen des États-Unis, dit Boris avec indignation. Je n'osai le contredire.

II


L'assimilant anglo-saxon n'a pu digérer complètement la masse immigrante. L'immigration a pratiquement cessé depuis un quart de siècle : il subsiste néanmoins des blocs humains non intégrés, cependant qu'une présence étrangère latente demeure sensible, davantage peut-être qu'il y a cinquante ans. Dans les milieux étrangers, on se marie de préférence dans sa communauté d'origine : chez les Juifs et les Italiens de la côte Atlantique les mariages mixtes ne dépassent pas respectivement 10 et 15 p. cent, et l'on ne peut s'étonner que chez les Noirs ou les jaunes la proportion en soit presque nulle.

Le mélange, dans ces conditions, est long à se faire, de sorte qu'il y a lutte entre deux formations. C'est de l'ancienne que continue d'être issue l'élite agissante : elle doit sa force à sa tradition britannique lointaine, à ses principes moraux d'essence protestante ; c'est d'elle que Nietzsche eût pu dire : « Ils ne sont pas venus pour être heureux. » Mais très différent est le caractère des Américains issus de l'immigration du XIXe siècle, surtout de la marée slavo-latine qui a envahi le pays à partir de 1880 ou 1890. La thèse de Gobineau , fort à la mode aux États-Unis lors de la première guerre mondiale, avait alors convaincu les milieux anglo-saxons et protestants que ces nouveaux venus ne [p. 44] pouvaient représenter qu'une humanité inférieure. L'expérience prouve cependant qu'individuellement le Méditerranéen, le Slave sont mieux doués, plus vifs, plus débrouillards, éventuellement plus créateurs en art et en science que le Nordique. Le succès récent de nombre d'Italiens, de Polonais, de Russes en est la preuve. L'influence de cette section du peuple américain s'est accrue d'autant, entraînant un progrès correspondant du catholicisme. Les États-Unis se sont de ce fait enrichis de possibilités que la seule hérédité anglo-saxonne ne leur eût certainement pas fournies. Il est vrai que la société américaine a été pénétrée en même temps d'une inspiration qui n'était plus celle de la Nouvelle-Angleterre : esprit de facilité matérielle, de jouissance, de profit sans le contrepoids d'une conscience exigeante. Si, selon le mot de Saint-Just en 1793, « le bonheur est une idée neuve en Europe », c'est une relative nouveauté que cette idée du bonheur ait fini par exprimer l'idéal américain : elle devait particulièrement séduire ces dernières recrues qui, comme les bas humains méprisés de Zarathoustra, avaient « abandonné les contrées où il était dur de vivre ».

Même quand il n'est pas d'origine strictement anglo-écossaise, mais Hollandais ou Scandinave, l'Américain de la tradition est toujours de tradition protestante et britannique. L'Angleterre lui a transmis sa langue, sa culture, sa littérature, son code de manières, sa législation, nombre de ses institutions et il appartient indéniablement de ce fait à la famille anglo-américaine. C'est lui qui tient, encore aujourd'hui, les véritables leviers de commande, non pas tant politiques (surtout municipaux) que sociaux ; en vertu d'une loi non écrite, certains postes de confiance, dans les universités, les églises et même les grandes affaires, lui appartiennent par une sorte de privilège : il suffit de considérer dans Who is who la composition des leaders sociaux pour en être persuadé. C'est comme une délégation implicite, en vertu de laquelle, selon le mot de ce prédicateur du XVIIe siècle, « Dieu a filtré toute une nation pour transmettre dans le désert une graine de choix » : une saine hérédité confirmée par une saine tradition. Les personnalités repérées dans le Who is Who comprennent 56 p. cent d'Américains ayant déclaré une affiliation religieuse, mais, sur ces 56 p. cent, les catholiques sont seulement 5 p. cent. Sur 34 présidents de la République, de Washington à Eisenhower, 28 sont d'origine britannique et 31 protestants (Jefferson, Lincoln, Hayes ne se sont déclarés [p. 45] membres d'aucune Église, encore qu'appartenant au protestantisme, au moins indirectement). En marge de cette tradition britannique il faut mentionner l'Allemagne, qui s'approche plus près de l'axe moral américain que les Slaves ou les Latins ; au cours de mes rencontres, je ne me rappelle pas avoir vu un président d'université Italien ou Russe d'origine.

L'étranger qui relève d'une tradition autre que nordique apparaît évidemment très différent. Cela se voit dans son nom, quand il ne l'a pas changé (on éprouve le besoin de demander aux gens comment ils s'appelaient à leur naissance), dans sa religion, catholique, juive, orthodoxe même, quand il ne s'est pas converti. Cela se voit aussi au caractère brillant, parfois génial, de ses dons individuels (c'est parmi les « personnes déplacées » que la recherche atomique a trouvé quelques-uns de ses collaborateurs les plus brillants), mais l'esprit civique, héritage calviniste, n'est pas inné chez ces hommes, dont le mérite est plus personnel que social. S'ils parviennent, et de plus en plus, à des postes éminents, c'est en vertu d'une supériorité tout individuelle et souvent, comme les aventuriers, par les chemins de traverse. L'art, le théâtre, la littérature ont été longtemps, sont encore leur domaine, de même que la politique municipale et ces activités commerciales, éventuellement importantes, qui relèvent du trafic à l'orientale plutôt que de l'organisation économique à l'occidentale : Giannini, fondateur de la plus grande banque de dépôts des États-Unis et sans doute du monde, était un rude et fruste montagnard du Piémont, que j'ai encore pu connaître à San Francisco. Je me suis amusé, en 1925, à compulser les noms des musiciens du Symphonic orchestra de New York – il n'y avait que des consonances en ski, en vich, en ino, mais pas un ne s'appelait Smith ! L'exclusive qui écartait des positions d'influence les Slavo-Latins s'atténue rapidement. Elle existe cependant encore. S'il faut en croire un reportage du New York Times, en date du 9 juillet 1953, l'entrée dans telles écoles de médecine dans l'État de New York serait plus difficile pour les juifs, les Italiens catholiques, que pour les protestants. On ne peut nier qu'une barrière ne se soit souvent dressée devant ceux que ne favorisait pas une naissance anglo-saxonne et protestante, mais elle tend à être forcée, les Néo-Américains s'élevant de plus en plus nombreux aux étages supérieurs, où ils introduisent une influence catholique hier encore inconnue à ce niveau. La société américaine se pénètre [p. 46] ainsi de ferments qui l'enrichissent, mais sans accroître son unité morale.

Il ne faut pas ignorer cependant que l'élément étrange, n'a d'autre alternative que de s'intégrer dans l'armature anglo-saxonne léguée par le passé. Cette intégration, génératrice de conformisme, est l'épreuve d'une américanisation qu'il veut atteindre à tout prix, au point d'y prétendre par toutes sortes de surenchères, à la manière des nouveaux convertis. De ce point de vue, et encore qu'elle ait perdu sa pureté première, c'est donc malgré tout la conception anglo-saxonne qui reste victorieuse.

III


Il n'y a en somme pas de race américaine, pas plus du reste qu'il n'y a de race française, et nul pays n'a moins que les États-Unis le droit d'être raciste, mais il y a sans conteste un peuple américain. Américain, authentiquement tel, ce peuple l'est, non par ses traits physiques étonnamment disparates, mais par son allure, c'est-à-dire par sa façon de réagir, de sentir, de se comporter. Qu'il soit encore en voie de formation, mal fixé, c'est indéniable, mais il évolue dans un certain cadre, comportant essentiellement, avec la langue anglaise, un ensemble d'institutions politiques et civiles imprégnées de protestantisme : c’est à cet environnement que les immigrants et leurs enfants doivent impérieusement s'ajuster.

Ce qu'il faut souligner surtout, c'est que ce peuple a coupé ses racines européennes. Le 100 p. cent est là depuis si longtemps ! Et l'immigré est venu pour oublier, entendant bien lui aussi devenir un 100 p. cent. C'est maintenant avec une rapidité croissante que la civilisation américaine se sépare de la tradition du vieux monde : elle perd le contact de la culture gréco-romaine, qui n'est plus pour elle une réalité, et si elle reste foncièrement chrétienne, c'est plutôt à la façon juive qu'à la façon grecque, éprise de témoignage plus que de raisonnement critique. Si l'assimilation a joué en américanisant des dizaines de millions d'immigrants, elle n'en a pas fait des Anglo-Saxons du vieux type, tout proches encore de l'Angleterre, mais un peuple nouveau qui, dans son américanisme, n'est pas si loin en somme du rêve mystique de Zangwill. La géographie a pris le pas sur l'histoire, le milieu sur l'hérédité.

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