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1958 tableau des états-unis


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Chapitre 4.

LA COMPOSITION ETHNIQUE
DU PEUPLE AMÉRICAIN
ET LA POLITIQUE
DE L'IMMIGRATION


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Par ses origines le peuple américain est essentiellement hétérogène. En dépit d'une assimilation intensive, les éléments qui le composent tendent à rester longtemps distincts. L'arrêt de l'immigration depuis la première guerre mondiale a pour effet de hâter l'unification, mais on reste encore loin de l'homogénéité. De là une certaine impression d'exotisme par rapport aux populations plus anciennement fondues de la vieille Europe.


I


S'il ne s'agit pas d'un peuple intégralement blanc, les Blancs en constituent l'immense majorité : 135 215 000 sur 150 697 361 en 1950, soit 89,7 P. cent, les Noirs étant 14 894 000, soit 9,8 p. cent, les Indiens et les jaunes 588 000, soit 0,5 p. cent. Ces pourcentages se sont à peine modifiés depuis le recensement de 1940, les Noirs s'étant accrus relativement de 0,1 p. cent, que les Blancs ont perdu. La place tenue par les Chinois, Japonais ou Indiens est pratiquement nulle, encore que la présence des Porto-Ricains et de nombreux Mexicains non enregistrés ne passe pas inaperçue, mais le bloc nègre est massif, nullement en voie de s'éliminer, d'où aux États-Unis ce tragique problème de la couleur, dont on ne voit pas quelle sera finalement la solution.

Parmi les Blancs, 90 p. cent sont nés aux États-Unis, 10 p. cent, à l'étranger, proportions qui étaient en 1940 de 89 [p. 29] et de 11 p. cent, ce qui signifie que la population tend à devenir de plus en plus américaine, mais que le progrès est extrêmement lent. L'élément étranger ne se limite pas à ces 10 p. cent, car on comptait en 1940 – dernier recensement publié – 19 p. cent d'Américains nés aux États-Unis d'un ou de deux parents étrangers, contre 24 p. cent en 1930. En additionnant ces 19 p. cent aux 11 p. cent nés au dehors, on aboutit en 1940 à une population d'origine étrangère, directement ou indirectement, dans la proportion de 30 p. cent. Cette proportion, qui doit être actuellement d'environ 25 p. cent, diminue régulièrement, mais en somme lentement, de telle sorte que cette présence étrangère, visible ou latente, demeure un aspect essentiel de la psychologie américaine.

Dans les cent vingt-quatre ans qui s'étendent de 1820 à 1943, les pays ayant fourni à l'immigration ses plus forts effectifs sont, par ordre d'importance :

Allemagne

6 028 377

avec maximum atteint en

1882

Italie

4 719 825



1907

Irlande

4 592 525



1851

Grande-Bretagne

4 264 728



1888

Autriche-Hongrie

4 144 366



1907

Russie

3 343 480



1913

Canada et Terre-Neuve

3 037 561



1924

Scandinavie

2 359 049



1882

Au recensement de 1950, les Américains nés à l'étranger se répartissent selon les nationalités suivantes :

Italiens 1 427 000

Allemands 984 000

Canadiens 995 000

Russes 895 000

Polonais 861 000

Anglais 544 000

Irlandais 505 000

On aura tout de suite noté l'importance de l'élément germano-irlandais et slavo-latin. Sans les lois d'immigration ce dernier eût peut-être fini par dominer. Il a été volontairement arrêté, mais il est là, très sensible et même d'influence grandissante par le succès individuel d'un grand nombre de ses membres : la fréquence croissante des noms slaves ou italiens dans les positions importantes en est la preuve indéniable. Il faut signaler d'autre part une population juive de 5 000 000 d'hommes, dont [p. 30] 2 100 000 dans la seule agglomération de New York. Dans les années d'avant la seconde guerre mondiale, ils formaient une partie notable d'une immigration il est vrai fort réduite : c'était la conséquence des persécutions hitlériennes et depuis lors les « personnes déplacées » entrant aux États-Unis sont restées en partie d'origine sémite. Il y a là un ferment qui, avec les Irlandais, maintient de l'inattendu et de la passion dans une psychologie dangereusement menacée de conformisme.

Il ne peut guère y avoir d'unité ethnique dans un peuple ainsi formé et l'on est en droit de se demander ce qu'est un Américain. Sinclair Lewis suggère cette réponse :

Martin Arrowsmith était, comme la plupart des habitants d'Elk Mills, avant l'immigration slavo-latine, un typique Américain anglo-saxon, ce qui signifie qu'il était un mélange d'Allemand, d'Écossais, de Français, d'Irlandais, peut-être un peu d'Espagnol, vraisemblablement mâtiné de juif et beaucoup d'Anglais, cette dernière race étant elle-même le résultat d'une combinaison de Bretons, de Celtes, de Phéniciens, de Romains, d'Allemands, de Danois et de Suédois...

C'est dans le même esprit que Saint-Cloud (Minnesota), modèle du Main Street de Sinclair Lewis, était qualifié par son maire

... une ville au nom français, fondée par les Suédois, administrée par des Irlandais, quoique la population soit à moitié allemande, avec un maire polonais, encore que les Polonais n'y soient qu'une petite minorité.

Pareilles compositions ethniques sont courantes aux États-Unis, d'où cette impression persistante d'un peuple encore en formation. L'assimilation aux mœurs américaines a beau être rapide, les différences d'origines demeurent visibles, surtout dans les grandes villes, où la rue conserve un caractère exotique, comme dans tels de nos ports méditerranéens. Ainsi l'évolution continue, ou plus exactement elle a repris avec l'intrusion slavo-latine, car le pays était peut-être plus stabilisé au XIXe siècle, quand il était germano-britannique, qu'il ne l'est aujourd'hui. Les foyers où subsiste une vieille race anglo-saxonne se trouvent essentiellement dans le Sud, où plus de 95 p. cent des gens sont nés de deux parents déjà eux-mêmes Américains (dans les Carolines, ce serait presque 100 p. cent) : les immigrants se détournaient naturellement d'une région où dominait la main-d’œuvre nègre. L'arrière-pays, l'Upstate des États de l'est, a le même [p. 31] caractère : les immigrants, surtout ceux de l'étape slavo-latine, se sont accumulés dans les agglomérations urbaines de la côte, mais dans les campagnes et les petites villes de l'intérieur, en dépit de groupes italiens, russes ou canadiens, l'esprit reste protestant et républicain. Rappelons encore que, dans la plupart des villes de l'Ouest, ce qui compte comme influence et comme argent est également anglo-saxon : le Who is Who serait là pour nous en persuader.

Les foyers des populations d'origine étrangère se trouvent par contre principalement dans les grandes villes de la côte Atlantique, au Nord de Washington et en général dans toutes les agglomérations industrielles de quelque importance. Par suite de l'immigration irlandaise, italienne, russe, portugaise, polonaise (l'énumération pourrait se poursuivre indéfiniment), des éléments nouveaux, profondément hétérogènes, ont transformé des milieux antérieurement anglo-saxons et protestants en groupements d'esprit slavo-latin et catholique, où le vieil élément américain ne reconnaît plus son image. C'est dans cette partie des États-Unis que se rencontrent les États ayant, en 1950, le plus fort pourcentage de gens nés à l'étranger : New York, 17 p. cent, Massachusetts, 15 p. cent ; Rhode Island, 14 p. cent ; Connecticut, 15 p. cent ; New jersey, 13 p. cent. Dans le Massachusetts, sur 713 699 foreign born, il y a 192 514 Canadiens, 101 548 Italiens, 81 214 Irlandais, 46 597 Polonais, 46 193 Anglais, 52 353 Russes, 21 333 Suédois. Le cas de Boston, la Genève américaine, est pathétique : les anciens éléments protestants, de culture anglaise, n'y sont plus qu'une citadelle battue d'un flot exotique ; le cardinal irlandais ou allemand, le maire irlandais sont désormais les personnalités dominantes de la cité. New York est, si possible, plus cosmopolite encore. en 1940, sur une population de 7 454 995 habitants, 2 080  021 (soit 28 p. cent) sont nés à l'étranger, 2 751 560 ont un ou deux parents étrangers (soit 36 p. cent), de sorte que, sans compter les Noirs et les Porto-Ricains, près des deux tiers de la population portent, directement ou indirectement, la marque d'une origine qui n'est pas nationale. Dans ce milieu où le juif foisonne, où l'Italien, l'Irlandais, le Russe, l'Allemand, le Polonais, l'Autrichien, sans parler du Nègre ou du Porto-Ricain, se croisent à chaque tournant, le bariolage ethnique est aussi accentué que dans une ville de la Méditerranée orientale, et cependant cette ville d'étrangers est aussi typiquement américaine qu'aucune autre. De même qu'il n'est [p. 32] pas nécessaire d'être Français pour faire un Parisien, il ne l'est pas d'être Américain pour faire un parfait New Yorkais : les maires de New York, traditionnellement Irlandais, tendent maintenant à être Italiens et la liste électorale ayant le plus de chances de succès est celle contenant à sa tête un Irlandais, un Italien et un juif.

Un second foyer de même nature se trouve dans le Centre-Ouest et dans le Nord-Ouest, comprenant surtout les Allemands dans l'Ohio, l'Illinois, le Wisconsin, des Scandinaves dans le Minnesota et les Dakotas, sans oublier, dans l'extraordinaire mélange humain de Chicago, les Italiens, les Polonais et pratiquement toutes les races de la Méditerranée ou de l'Europe orientale. Enfin une combinaison, non moins exotique mais plus latine et méditerranéenne, se rencontre en Californie, avec des Italiens, des Espagnols, des Mexicains, des Français, des Slaves du Sud, des Chinois et des Japonais. L'atmosphère ethnique, dans cet Extrême-Ouest, est plus méditerranéenne, soit à cause d'une histoire qui fut d'abord espagnole et mexicaine, soit aussi d'un ciel plus bleu, d'une couleur plus africaine, qui font que nous, Français, ne nous y sentons pas dépaysés.

Sur un total de 10 161 168 foreign born en 1950, il y en a 78 p. cent dans l'Est et le Centre, 14,7 p. cent dans les Rocheuses et le Pacifique, mais seulement 7,4 p. cent dans le Sud. L'assimilation, qui se poursuit à un rythme rapide, tend à diminuer l'importance de ces foyers, encore qu'un afflux récent de « personnes déplacées », peu nombreux mais étonnamment actif comme ferment, ait semblé leur donner un renouveau d'influence. Ni la politique, surtout municipale, ni même la vie américaine en général ne sauraient être comprises sans en tenir le plus grand compte. Je cherche un équivalent en France. C'est sans doute à Marseille qu'on pourrait le trouver.

II


Qu'ont voulu les Américains par leur législation restrictive de l'immigration ? Être un peuple homogène plutôt qu'un peuple nombreux. Il faut voir dans cette attitude une conséquence lointaine du machinisme, combiné, au lendemain de la première guerre mondiale, avec un malthusianisme eugénique, mettant l'accent, non sur les grands nombres d'hommes, mais sur leur efficacité.

[p. 33]


Jusqu'au début du XXe siècle les États-Unis avaient été sans discussion un pays d'accueil, pleinement confiant dans sa capacité illimitée d'assimiler les éléments étrangers les plus divers. Mais quand l'immigration tendit à n'être plus ni anglo-saxonne ni protestante, cependant que la natalité des nouveaux venus se révélait beaucoup plus forte que celle des nationaux antérieurs, une crainte instinctive se fit jour de voir le pays perdre son caractère traditionnel. La théorie du creuset des races (melting pot), universellement acceptée jusqu'alors, donnait au milieu le pas sur l'hérédité : on ne doutait pas qu'avec l'immigration la plus bigarrée il ne fût possible de faire d'authentiques Américains anglo-saxons. Au XIXe siècle et jusqu'en 1914, la politique d'immigration était en conséquence celle de la sélection individuelle : le cas des jaunes mis à part, on acceptait ou refusait les immigrants selon leur mérite individuel, sans considération d'origine ethnique ou nationale. C'est sous pareil régime que des dizaines de millions d'Européens ont pu, sans restrictions sérieuses, s'établir dans l'Amérique du Nord.

En présence d'un flux croissant d'Exotiques, on en vint à douter du creuset, la faveur passant à la doctrine de Mendel selon laquelle c'est l'hérédité qui constitue le facteur décisif. L'année 1917 marqua l'affirmation d'un principe nouveau, celle d'une discrimination ethnique avouée, en vertu de laquelle les immigrants de l'Asie méridionale ou orientale et du Pacifique en général devaient être exclus comme inassimilables. L'inspiration était nettement raciste, comme allait l'être la législation de 1921-1924, désormais opposée à l'entrée massive des Européens. Des raisons complexes mais convergentes concouraient à l'adoption de cette nouvelle attitude, si différente de l'ancienne. Les vieux Anglo-Saxons redoutaient, après la guerre, le redoublement d'une inondation slavo-latine dont ils avaient déjà pu mesurer les effets ; les protestants craignaient une invasion catholique, dont l'immigration irlandaise et italienne leur fournissait depuis longtemps l'image ; les milieux ouvriers croyaient voir se dessiner la menace d'une baisse des salaires, conséquence de l'entrée massive de travailleurs à bas niveau de vie ; le patronat s'effrayait d'une intrusion communiste ; les eugénistes enfin, s'appuyant sur Mendel, défendaient la pureté de la race, préconisant l'interdiction de ceux qu'ils qualifiaient pittoresquement de « cacogéniques ». La convergence de ces arguments, la conjonction exceptionnelle d'ouvriers et de patrons, de protestants, de [p. 34] nationalistes, de racistes et de doctrinaires pour réclamer une politique de défense américaine devait entraîner une révision complète du régime de l'immigration, tel que l'avaient connu les États-Unis depuis un siècle.

Selon les principes de la législation nouvelle, l'immigrant est admis ou rejeté, non en raison de ses mérites personnels (qui ne seront examinés qu'ensuite), mais de son origine ethnique, dans la limite de contingents strictement déterminés. Seront acceptés seulement les assimilables et, parmi eux, de préférence aux Slavo-Latins, les Nordiques, considérés comme mieux préparés à une assimilation de type anglo-saxon. Un traitement différentiel est ainsi appliqué, selon la provenance géographique : les Asiatiques sont exclus, purement et simplement ; les Canadiens, Mexicains, Sud-Américains sont admis sans limites de contingents, à titre de solidarité continentale, encore que des mesures de police puissent les arrêter ; les Européens, Africains, Asiatiques occidentaux ne sont reçus que dans le cadre d'un quota annuel, chaque pays ayant droit à l'entrée de 2 p. cent de l'effectif représenté par lui dans la population américaine en 1890. À partir de 1929, le quota global a été fixé au chiffre de 154 000, au prorata de la contribution calculée de chaque peuple à la formation américaine. La sélection individuelle reste prévue à l'intérieur de chaque contingent, en vertu d'interrogatoires qui soulèvent l'ironie européenne mais sont susceptibles de conséquences fort sérieuses : Êtes-vous anarchiste ? – Entretenez-vous des idées contre le gouvernement ? – Êtes-vous bigame ? (Plus récemment on m'a seulement demandé : Êtes-vous polygame ?) – L'argent qui est dans votre poche est-il à vous ? Votre père a-t-il été dans une maison d'aliénés ? – Are you in good moral and physical spirits ? – Êtes-vous muet ? (j'ai entendu l'inspecteur répéter avec insistance : I want to hear your voice à une femme terrorisée qui ne réussissait à émettre aucun son). Mais quoi qu'il en soit, qu'il s'agisse du fonctionnaire américain à l'arrivée ou du consul chargé de donner le visa, l'administration peut toujours refuser son accord, de sorte que la fermeture de la porte, au besoin hermétiquement, est toujours possible.

L'effet de cette législation a bien été ce que souhaitaient ses auteurs. Sur le quota global de 154 000 entrées établi en 1929, les Anglais ont droit à un chiffre de 65 721, les Allemands à un nombre égal, les Irlandais à 17 853, mais ensuite il n'y a place que pour 5 801 Italiens, 6 524Polonais... Les Anglais, [p. 35] Allemands, Irlandais, Hollandais, Scandinaves disposent de 79 p. cent du total, alors que l'immigration italienne, qui avait été en moyenne de 205 000 annuellement entre 1900 et 1910, n'est plus, dans le régime de 1929, que de 5 800. Or les quotas non utilisés ne sont pas reportés, ce qui fait que, les Nordiques n'utilisant souvent pas le leur, l'effectif total admis se trouve encore réduit. L'immigration globale, qui avait été de 1 218 480 en 1914, qui était encore de 706 896 en 1924, est tombée à 294 314 en 1925 et au-dessous de 100 000 après la crise de 1929. On peut donc considérer que la grande vague d'immigration européenne qui – depuis le XVIIe siècle et surtout le XIXe – peuplait le continent nord-américain, a maintenant pris fin. Dans l'histoire générale du monde le fait est d'importance capitale. Il l'est à peine moins dans l'histoire propre des États-Unis, car cette suppression de l'immigration, venant s'ajouter à un protectionnisme industriel séculaire, marque un cran nouveau dans le continentalisme américain.


III


La politique d'immigration de 1921-1924 était une conséquence de la première guerre mondiale, mais ni la grande dépression ni la seconde guerre mondiale n'ont changé l'orientation d'opinion dont elle était le signe. Sans doute doit-on signaler, depuis 1945, le régime spécial appliqué aux « personnes déplacées » : en 1945, priorité de 39 000 entrées dans le quota général ; en 1948, admission de 205 000 réfugiés, chiffre élevé en 1950 à 405 744 ; en 1953, admission en dehors du quota de 204 000 réfugiés en trois ans. Compte tenu de ces dispositions exceptionnelles, l'immigration générale est restée minime : 108 721 en 1946, 147 292 en 1947, 170 570 en 1948, 188 317 en 1949, 249 187 en 1950. En fait, les États-Unis ne veulent pas d'immigration.

C'est qu'on assiste, surtout depuis la guerre de Corée, à une recrudescence d'anti-communisme, conduisant à une crainte quasi pathologique des intrusions étrangères. L'état d'esprit qui, dès après la première guerre mondiale, avait suscité la législation de 1921-1924 reparaît sous la forme d'une instinctive suspicion de tout ce qui relève, ou même paraît relever, du totalitarisme, fasciste et surtout communiste, et en général de l'esprit « radical », mot qui, dans le vocabulaire américain, a conservé le sens fort d'extrémiste, de révolutionnaire (le terme a perdu chez nous tout mordant, mais il faut se souvenir que, sous Mac Mahon, il [p. 36] épouvantait les conservateurs de l'Ordre moral). Une nouvelle législation, confirmant, aggravant même la législation antérieure, est née de cette atmosphère, que l'Europe n'est pas seule à juger malsaine.

L'Internal Security Act de 1950 exclut, même pour un bref séjour, les communistes, les anarchistes, ainsi que les membres de tout « parti totalitaire » ou partisan de « renverser le gouvernement par violence ». Les consuls doivent refuser le visa de tous ceux qu'« ils savent ou croient susceptibles de s'engager dans des activités nuisibles à l'intérêt public ou de mettre en danger la prospérité, le salut ou la sécurité des États-Unis ». Appliquée par des sous-ordres craintifs, cette loi aboutit éventuellement à interdire arbitrairement l'entrée du pays aux personnages les plus qualifiés : terrorisés par ce Fouquier-Tinville qu'est le sénateur McCarthy, les consuls appliquent les textes littéralement, ce qui aboutit aux interdictions les plus choquantes ou les plus stupides, et souvent les ambassadeurs n'osent pas intervenir, se disant, non sans raison, qu'ils risqueraient leur poste. Dans les milieux libéraux américains l'Internal Security Act fait scandale, mais il subsiste.

D'une portée non moins grande est le McCarran-Walter Immigration Act de 1952, omnibus bill de 300 pages, qui codifie, sans la renier et bien au contraire en l'aggravant, toute la législation antérieure contre l'immigration. Le régime nouveau conserve le système du quota, mais en le resserrant encore : calculé sur la base de la population de 1920, le contingent annuel correspondait à 1/7 de 1 p. cent de cette population ; sur la base du recensement de 1950, la proportion n'est plus que de 1/10 de 1 p. cent et, si l'on tient compte des attributions non utilisées, de 1/15 de 1 p. cent. Pour ménager la susceptibilité des Asiatiques et supprimer toute apparence de discrimination raciale, la loi leur applique le régime commun, mais avec un quota dérisoire, ne laissant par exemple entrer que 185 Japonais. Le plafond de l'immigration totale reste fixé à 154 000 entrées.

Il serait imprudent de penser que cette législation ne corresponde pas aux États-Unis à une opinion de fond. Sans doute a-t-elle suscité l'opposition des milieux libéraux, notamment dans les États où il y a beaucoup de gens d'origine étrangère, et subi le veto du président Truman : « La conception, écrivait-il, est absolument indigne de nos traditions et de notre idéal, elle viole la grande doctrine de la Déclaration d'indépen-[p. 37] dance en vertu de laquelle tous les hommes sont créés égaux. » Step backward, conclut-il, mais son veto est annulé par le vote des deux tiers requis, dans les deux Assemblées, par la Constitution, sans même que le président ait été suivi par l'ensemble de son parti (au Sénat, 57 suffrages, dont 32 républicains et 25 démocrates, confirment la loi, contre une minorité de 26, composée de 18 démocrates et de 8 républicains, le sénateur McCarran, qui a donné son nom au nouveau statut, étant lui-même démocrate.) On ne saurait douter que l'opinion, dans son ensemble, approuve cette politique, qui répond manifestement à la tendance, non seulement de milieux connus pour nationalistes tels que les Daughters of the American Revolution ou la Huguenot Societies Federation, mais des administrations intéressées, le State Department, l'Immigration Office, le Department of justice ; McCarran a sans doute traduit l'impression de la majorité en la qualifiant « essential to the preservation of our way of life ». Observation significative en effet, les amendements suggérant que les quotas non utilisés soient reportés, que les admissions de personnes déplacées ne comptent pas dans le calcul des contingents, ont tous été repoussés.

Il a fallu en 1953 toute l'insistance du président Eisenhower pour obtenir du Congrès le vote d'une loi admettant exceptionnellement 207 000 réfugiés. Encore cette admission n'a-t-elle été consentie qu'après de longs marchandages et manifestement contre la véritable opinion des représentants et des sénateurs. Ils ne semblent même avoir cédé qu'en échange de l'assurance (mais donnée par qui ?) qu'aucune révision de la loi McCarran ne serait proposée avant 1956. Il est permis de conclure que le renversement d'attitude issu de la première guerre mondiale correspond à une tendance de fond. La seconde guerre mondiale l'a confirmée : le peuple américain entend désormais conserver pour lui seul le privilège de son continent.

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