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1958 tableau des états-unis


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PREMIÈRE PARTIE

L'ASPECT

GÉOGRAPHIQUE


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Chapitre 1 :

LA PERSONNALITÉ


DU CONTINENT AMÉRICAIN



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Les continents, comme les pays, ont leur individualité et l'on ne comprend bien un pays donné qu'en le considérant comme étant partie d'un continent. C'est souvent autour d'un océan, d'une mer, que se nouent des systèmes de relations répondant à des civilisations distinctes, mais ce sont les unités continentales qui comportent le plus de personnalité. Il sera donc essentiel, en ce qui concerne les États-Unis, de n'oublier jamais qu'ils sont partie du continent américain. S'ils appartiennent d'autre part à un ensemble Atlantique, ou bien Pacifique, c'est là sans doute une considération importante, mais néanmoins secondaire.

Les divers continents ont chacun leur atmosphère propre, leur psychologie. Il y a une façon américaine, européenne, asiatique de poser les problèmes, d'envisager les solutions, de réagir intellectuellement, sentimentalement, politiquement, bref de se comporter, ce qui revient à dire, s'agissant par exemple du nouveau monde, qu'il y a un tempérament américain. À ces individualités particulières correspondent des mystiques : c'est souvent une mystique asiatique ou américaine qui suscite et gouverne la politique de l'Inde ou celle des États-Unis.

Les différences continentales sont du reste si profondes que, si l'on passe d'un continent à un autre, il faut changer de mesures, de points de perspective, d'esprit et surtout de vocabulaire. En Amérique les termes européens s'appliquent mal, soit qu'ils changent de sens, soit même qu'ils n'aient plus aucun sens : parlant des États-Unis, il faut hésiter à se servir de mots comme socialisme, révolution, libéralisme, gauche ou droite. Peut-être ne décrit-on bien un pays que dans sa langue : dire [p. 6] en anglais ce que sont toutes les subtiles nuances de la politique française est presque impossible ; la difficulté est à peine moindre d'évoquer en français l'esprit américain.

Les États-Unis étant en Amérique, comme ne manquerait pas de le rappeler M. de la Palisse, c'est donc en fonction du nouveau monde qu'il convient, sous peine d'erreur, de les étudier. Dès le début de cette entreprise, c'est le contraste Europe-Amérique qui s'impose à notre attention.

I


Ce qui frappe essentiellement dans le nouveau monde, c'est la grandeur de la nature. Tout y est bâti sur un autre plan qu'en Europe, selon d'autres proportions : qu'il s'agisse du Mississipi, des Rocheuses ou des Andes, de la forêt brésilienne ou des plaines sans fin du Far West, la conception géographique de l'ensemble est apparentée à l'Asie ou à l'Afrique plutôt qu'à notre continent exigu. Si des comparaisons sont malgré tout possibles chez nous, c'est en Scandinavie, en Russie, c'est-à-dire dans des régions qui géographiquement ne nous appartiennent plus tout à fait. La structure même est différente : l'Europe est articulée, diverse, complexe ; l'Amérique est massive, simple, non encombrée d'hommes et d'institutions enchevêtrées comme les arbres de quelque vieille forêt.

De là des rapports spéciaux de l'Américain avec la nature : entre elle et lui pas de commune mesure, mais absence de proportion. La mise en valeur s'en ressent : c'est ou trop facile ou trop difficile ; dans certains cas les ressources s'offrent et il n'y a pour ainsi dire qu'à les cueillir ; ailleurs les richesses sont bien là, splendides, mais pour les atteindre il faut des moyens que seules des entreprises géantes sont à même de posséder. Il s'ensuit qu'on conquiert la nature plutôt qu'on ne s'y adapte ; on la brutalise parce qu'on est trop pressé d'en tirer ce qu'elle contient et, dans l'opération, il arrive qu'on la détruise, parce qu'on ne la traite pas comme chose vivante mais comme matière première d'industrie. Dans son livre, Les Américains, Gorrer écrit :

Il est significatif que les termes employés dans l'exploitation minière sont souvent appliqués à l'agriculture. Les récoltes sont extraites, la terre est minée, le bois est extrait, jusqu'à ce que la veine soit épuisée. Le monde végétal est constamment traité, en paroles et en fait, comme le monde minéral. On tire les richesses

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Fig. 1. Carte des États-Unis par États.

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d'une pièce de terre, après quoi on l'abandonne, exactement comme on extrait le métal d'un filon, pour l'abandonner après épuisement. On s'est mis à comparer fermes et forêts non même plus à des mines mais à des usines, où l'entretien des bâtiments est indispensable à la production des marchandises. La terre n'est toujours qu'une matière première, qu'on n'aime pas plus, avec laquelle on ne s'identifie pas plus qu'avec un bloc de fer ou un puits de pétrole 1.

Il est curieux de constater que l'agriculture soviétique se plaît à ces mêmes artifices de vocabulaire. La France est fière de ses paysans, mais les États-Unis se vantent de n'en point avoir : l'esprit paysan est en effet étranger à un pays qui, ayant brûlé les étapes, ne fait pas entrer le facteur temps dans la production, sinon pour en hâter au maximum toutes les opérations, sans jamais tenir compte des nécessités de la maturation.

C'est le signe d'une singulière jeunesse chez cette population qui, les Indiens mis à part, semble avoir recommencé la vie en traversant l'océan. Un Européen, un Français, surtout un Méditerranéen ont deux mille ans derrière eux, sous eux en quelque sorte, et ces deux mille ans sont présents dans leur formation. L'Américain, dans la plupart des cas, n'a que trois ou quatre cents ans, quelquefois cent ans et même moins encore, derrière lui ; sur l'océan des âges il n'a sous la quille qu'une mince profondeur ! Wickham Steed me racontait une conversation, combien significative, qu'il avait eue avec deux Californiens : « Quel est, leur avait-il demandé, votre plus ancien souvenir historique ? », et ceux-ci, après s'être concertés (car les Américains sont toujours consciencieux dans leurs réponses), avaient simplement répondu : Well, Tariff McKinley. Le Tarif McKinley est, on le sait, de 1890 ! Steed, étonné, avait objecté : « Mais n'y a-t-il pas eu la guerre d'Indépendance ? – Oui, quelques Yankees y pensent encore. » De plus en plus émerveillé, Steed, revenant à la charge, avait repris : « Et la guerre de Sécession, elle est cependant toute proche ? – Il y a des Nègres dans le Sud, dont c'est l'affaire. »

Étonnant pays, tout entier tourné vers l'avenir ! Pareille jeunesse a des conséquences économiques et sociales profondes, qui font contraste avec la maturité, la relative vieillesse de l'Europe. Dans le nouveau monde, à la différence de l'ancien, les ressources naturelles sont disponibles sur place, en quantités pratiquement illimitées. Il s'ensuit que, des possibilités nom-[p. 9] breuses étant ouvertes à chacun, le succès individuel est possible dans le cadre existant et, même s'il n'en est plus tout à fait ainsi, du moins le croit-on encore. Il apparaît dès lors plus facile de produire que de partager, d'où cet esprit conservateur de base qui caractérise les Nord-Américains, par contraste avec l'Europe où c'est le contraire. En Amérique, pas de luttes pour la conquête des territoires : n'en a-t-on pas déjà plus qu'on n'en peut occuper et exploiter ? Pas de luttes de classes non plus, ni de tradition révolutionnaire, au point que le mot de Révolution (avec majuscule) est dépourvu de sens dans pareil milieu. Il est vrai que le continent lui-même vieillit, mais jusqu'ici c'est en effet à peine sensible, de sorte que sa psychologie conserve encore les traits essentiels d'une jeunesse que nous avons perdue.

II


Du fait qu'il vit dans une partie du monde où persiste pareille atmosphère, l'Américain se caractérise, dans sa psychologie, par quelques traits dominants, dont la confiance, la bonne volonté et surtout un optimisme congénital sont ceux qui frappent tout d'abord l'observateur étranger. Il croit sincèrement au progrès : le progrès américain (peut-être la nuance de cet adjectif s'impose-t-elle ?) lui apparaît garanti, statutaire, sans limites. Dans sa pensée il s'agit d'une marée montante, perpétuellement telle, qui soulève les gens, les affaires, les cours, la société tout entière. Je me rappelle avoir entendu un New Yorkais, à qui l'on demandait comment il était devenu si riche, répondre : « C'est bien simple, tous les matins en descendant down town j'achète, tous les soirs en remontant up town je revends ! » Cette confiance dans l'avenir est propre non seulement aux Américains du Nord mais à tous les Américains : on la trouve en Argentine ou au Brésil tout aussi bien qu'aux États-Unis, mais elle n'existe dans aucun autre continent. L'Europe du XIXe siècle possédait semblable enthousiasme dans la croyance qui était alors la sienne au progrès indéfini par le libéralisme : elle l'a perdu.

L'homo americanus est persuadé que tout est possible à l'homme, que la technique est à même de résoudre tous les problèmes. Chez le Russe cette même conviction est l'effet d'une doctrine. Aux États-Unis il s'agit d'une foi instinctive, spontanée. La source en est facile à discerner, elle provient de la facilité relative de toutes choses dans un milieu neuf, où il y a de la place ; [p. 10] elle provient de l'orgueil du pionnier devant son œuvre, dont évidemment il peut être fier ; et puis aussi de cette prospérité quasi ininterrompue qui règne depuis près d'un siècle, surtout depuis la guerre hispano-américaine. La crise de 1929 est venue l'interrompre et des lézardes se dessinaient dans cet édifice de satisfaction. La néo-prospérité de la deuxième guerre mondiale a remis le courant séculaire dans sa ligne, mais l'optimisme retrouvé n'est plus à l'abri d'une rechute, car la menace d'une nouvelle crise est toujours là. Cette nouveauté, cette absence de passé ont pour effet d'entretenir chez les gens du nouveau monde une singulière liberté d'esprit : aucune routine ne les encombre et, s'ils ont quelque raison d'être conservateurs, ils sont exempts de tout complexe réactionnaire ; en présence de problèmes relativement simples, dans une économie en expansion, ils ont appris, ce qui n'est pas vrai partout, qu'en ce qui les concerne le progrès « paie ». La vieille forêt européenne ne permet pas semblable conclusion. Il est vrai que ce progrès entraîne les États-Unis dans un cycle d'évolution rapide dont ils ne sont pas maîtres. Ce peuple n'est pas encore un peuple fixé : ni géographiquement, car aux immigrations initiales succèdent des migrations intérieures qui retardent l'enracinement ; ni physiquement, car la race – si l'on peut ici parler de race – évolue encore ; ni socialement, car l'Américain reste marqué de nomadisme, peu stable, toujours prêt à changer de résidence ou de profession.

Il y a là tous les éléments d'une civilisation propre, à l'avant-garde de l'armée occidentale, qui croit qu'on peut changer le rythme de la nature. On pourrait parler, selon l'expression de Valéry, d'une « grande aventure » américaine dont nous ne connaissons pas l'aboutissement, car l'homme peut-il se désolidariser de la nature à ce point ?

III


L’unité foncière du continent américain doit toujours être présente à l'esprit quand on se préoccupe de situer les États-Unis. Le trait essentiel à retenir, c'est que le nouveau monde est nouveau, s'opposant ainsi au vieux monde qui est vieux, remarque qui s'applique à l'Amérique du Sud aussi bien qu'à l'Amérique du Nord. Dans ces conditions, entre les deux sections du continent les différences géographiques sont moindres que les ressemblances : Latins et Anglo-Saxons du nouveau monde foulent [p. 11] du pied le même sol, respirent le même air, évoluent dans le même climat économique, un climat où les problèmes de la production, de la mise en valeur, du peuplement, de la colonisation se posent de la même façon. De part et d'autre les réactions sont les mêmes devant les questions internationales, et c'est le sens profond du Panaméricanisme qui, dans la mesure où il est vidé de tout impérialisme, répond à une évidente réalité.

Cette unité toutefois n'est que géographique : historiquement les différences l'emportent sur les ressemblances. Les deux grands courants d'immigration qui ont peuplé l'Amérique y ont surtout implanté des Anglo-Saxons protestants au Nord et des Latins catholiques au Sud. Ainsi reparaît, en contradiction avec le facteur géographique qui tend à l'unification, un facteur historique qui exerce son action dans le sens des divergences. Il s'agit en réalité de deux axes. L'axe géographique, unificateur, s'inscrit impérieusement dans l'architecture même du continent. Baulig écrit dans la Géographie Universelle 1 :

On peut dire que, si le relief de l'Europe favorise les mouvements de toute nature dans le sens des parallèles, la circulation dans l'Amérique du Nord est plutôt sollicitée vers la direction méridienne : les limites climatiques, indistinctes entre zones de latitude, se précisent dans le sens transversal et s'accusent fortement dans les montagnes de l'Ouest. Et si le peuplement blanc, prolongeant les migrations transatlantiques, a marché d'Est en Ouest, suivant les parallèles de latitude, si le tracé des frontières politiques et le dessin des chemins de fer perpétuent ce fait historique, d'autres courants s'affirment, plus conformes à la nature physique du continent, à sa division fondamentale en Est, Centre, Ouest : division inscrite dans l'architecture profonde et que toutes les ressources de la technique ne sauraient abolir.

C'est latitude contre méridien, histoire contre géographie. Laquelle des deux influences doit à la longue l'emporter ? Si c'est celle de l'axe géographique, alors les Américains, Anglo-Saxons ou Latins, se ressembleront de plus en plus en tant qu'Américains et le Panaméricanisme deviendra une réalité de plus en plus vivante. Si c'est l'axe historique, alors l’Europe continuera de rester présente dans la destinée américaine : l'Amérique du Sud demeurera plus latine et plus catholique que spécifiquement américaine, l'Amérique du Nord plus anglo-saxonne et protestante, le Canada plus marqué de Communauté britannique que d'appartenance continentale américaine. C'est sous le signe de [p. 12] cette rose des vents que doit se faire l'étude de tout pays du nouveau monde, du Canada comme de l'Argentine, donc aussi des États-Unis.


IV


Je m'autorise des observations qui précèdent pour conclure qu'il est difficile pour un Européen de bien comprendre les États-Unis et que, s'il les juge, ce ne peut être que d'un point de vue européen. La difficulté n'est pas seulement de pays à pays, mais encore et surtout peut-être de continent à continent. Les Européens entre eux, même quand ils sont séparés par des oppositions politiques violentes, se comprennent plus aisément : ne sont-ils pas un peu comme les locataires d'un même immeuble ?

Il faut tenir compte cependant du fait que le peuple des États-Unis provient presque entièrement d'un stock européen initial, de race blanche, de religion chrétienne, de civilisation occidentale. L'histoire, la tradition sont donc présentes, mais déviées, adaptées, digérées, souvent reniées, presque toujours méconnaissables du fait d'une reconstruction dans un environnement continental entièrement différent. La compréhension de pareil pays nécessite donc, chez l'observateur venu du vieux monde, une sorte de réglage. Il faut avoir, du continent américain, le sens de ses mesures, qui ne sont pas les nôtres, de son climat, pour nous exotique, de sa couleur, de sa saveur, de ses parfums, de sa masse ; il faut comprendre le mouvement paradoxal d'une vie sociale dont le rythme est rapide avec des gens de réflexes lents ; il faut apprécier une température morale faite d'optimisme, de hardiesse, d'orgueil, de légèreté, d'instabilité, de jeunesse ramenée parfois jusqu'à la puérilité... On ne saurait négliger par contre la richesse des ressources, non seulement matérielles mais spirituelles, notamment cette source d'énergie qui provient du puritanisme originel. Il ne faut jamais oublier enfin qu'on est au nouveau monde et qu'on y respire encore un air du XVIIIe siècle, dans une société en défense instinctive contre l'Europe réactionnaire, révolutionnaire ou totalitaire. On se trompe si l'on ignore, exagère ou diminue la portée de tel de ces traits, qui ont entre eux un certain équilibre, car, dans ce continent de la quantité, il faut toujours un subtil dosage de la qualité.

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